La Norvège, l'autre pays du fromage. C'est du moins ce qu'ont dû imaginer quarante jeunes créatifs européens réunis à Oslo à l'occasion du concours du Best YET (Young European Team) organisé chaque année par les syndicats de la presse quotidienne européenne. Du 10 au 12 mai, les jeunes créatifs ont en effet réfléchi à ce que pourrait être une campagne internationale, en presse quotidienne donc, pour une marque de fromage norvégien, Jarlsberg.
Apportée par des fromagers suisses vers 1830, la recette a été réinventée en 1956 par des chercheurs norvégiens. Aujourd'hui, ce produit est le fromage le plus importé aux Etats-Unis. «Jarlsberg est une variété d'emmental, mais notre produit a en son sein des bactéries secrètes qui lui donnent ce goût si particulier», explique Per-Henrik Finnson, responsable de la marque. Un argument produit assez étonnant et teinté de mystère avec lequel les jeunes créatifs vont devoir composer. «Le brief est assez clair: à l'image d'un Coca-Cola, tout tourne autour du secret de fabrication jalousement gardé. Tout va se jouer dans la capacité à faire le saut créatif autour de ce mystère», explique d'emblée Gilles Fichteberg, cofondateur de l'agence Rosapark et directeur de création pour la France durant ce Best Yet.
Malgré un produit qu'ils jugent «peu inspirant», les deux teams français se lancent dans la compétition. «Au quotidien, nous n'avons pas toujours des produits de rêve sur lesquels travailler. Donc, il faut faire avec», confie Sergio Alonso, créatif en team chez Publicis Conseil aux côtés de Nathan Brunstein.
Sur les deux jours de compétition, les jeunes créatifs ne disposent réellement que de quelques heures pour trouver une ou deux idées qui feront mouche puis se lancer dans leur exécution. «Contrairement à un travail en agence, le temps réservé à la conception est forcément plus réduit», compare Adrian Skenderovic, concepteur-rédacteur au sein de l'agence BETC, en team avec Léa Rissling.
Décrocher un Best Yet n'est plus arrivé à un team français depuis 2006. Mais cette fois, après deux années consécutives de sacre britannique, les Français semblent partir favoris dans une compétition qui se déroule sans les Anglais cette année.
Le team BETC se lance, lui , sur l'idée d'un savoir-faire inexpliqué. Exemple: un homme rencontre une femme dans le métro, dix minutes après, celle-ci se retrouve dans son lit. Le slogan est simple: «Vous ne saurez jamais comment il a fait. C'est la même chose pour Jarlsberg.»
Toujours autour du secret, le team de Publicis Conseil décline une autre variante: une adoption, un grand-père nazi ou une femme ancienne porno star, le genre de découvertes qui peut faire mal… «Si seulement tous les vieux secrets étaient aussi faciles à avaler»,conclut l'annonce. «Cette idée s'appuie sur un humour grinçant que j'apprécie particulièrement. A l'instar des campagnes pour Frolic, Celebrations ou Alka Seltzer que nous avons sorties chez CLM BBDO», décrypte Gilles Fichteberg.
Pour vendre au mieux le fromage Jarlsberg, la majorité des teams en compétition s'est, ainsi, concentrée sur le secret de sa recette. Du coup, contrairement aux années précédentes, les approches culturelles se font moins apparentes entre les différents pays. «Le manque d'aspérité du produit a lissé les propositions des uns et des autres», analyse Léa Rissling, de BETC.
Deux critères
Seule rescapée française dans la sélection finale réalisée par les dix membres du jury, la campagne de Publicis Conseil provoque la polémique. Certains jurés sont mal à l'aise avec la référence au nazisme, d'autres avec l'image de la femme ancienne star du X.
Convaincu par la qualité supérieure des travaux français, Gilles Fichteberg intervient: «Parmi toutes ces campagnes, laquelle mérite d'aller aux Cannes Lions? Puisque notre vote y envoie les gagnants, il faut qu'ils aient le niveau de ce grand rendez-vous international. C'est aussi une façon de maintenir la qualité du Best Yet.» Les autres jurés acquiescent, mais l'enthousiasme n'y est pas. «Aucun des travaux présentés ici ne peut être sélectionné pour Cannes. Et pourtant, il faut en récompenser trois», assène Franck Marinus, directeur de création chez TBWA Bruxelles.
Cannes rejeté, restent deux autres critères: le lien avec le produit et celui avec le support médias. C'est finalement ce dernier qui permet à Cian Torney et Neil Saul, team irlandais issu de Publicis Dublin, de remporter le trophée avec une annonce de presse quotidienne enduite de paraffine à l'instar de celle recouvrant le fromage. Une idée créative néanmoins déjà réalisée en 2010 au Brésil par l'agence Loducca pour la Peugeot 207 Quiksilver.
A l'annonce du verdict, la frustration est à son comble côté français. «C'est la vérité d'un jury. Mais la divergence des jugements révèle aussi les différentes maturités publicitaires de chaque pays», conclut Gilles Fichteberg. Direction l'Autriche en 2013.
Encadré
Le prix PQR 66 remporté par Publicis Conseil
Durant ce Best Yet, Sergio Alonso et Nathan Brunstein, créatifs chez Publicis Conseil, n'ont pas tout perdu puisqu'ils repartent avec le prix décerné par PQR 66 (Syndicat de la presse quotidienne régionale) qui co-organise, chaque année, ce concours. Le team remporte ainsi une campagne en PQR 66 d'une valeur de 390 000 euros, soit deux pleines pages dans tous les titres de la régie.