«Besoin de douceur». Dimanche 16 avril, Agathe Bousquet publiait sur sa page Facebook cette phrase sibylline sous la photo d'un énorme bouquet de fleurs. Deux jours plus tard dans le grand auditorium Havas à Puteaux, la coprésidente d'Havas Paris annonçait à l'ensemble de ses équipes, médusées, son départ pour un poste de présidente de Publicis Groupe France. Un coup de tonnerre! Prévenu le mercredi précédent, Yannick Bolloré, président d'Havas, ne cache toujours pas sa surprise: «Elle était heureuse chez nous, elle travaillait en bonne entente avec les équipes et la progression de l'agence était excellente... tous les voyants étaient au vert. Oui, c'est une grosse suprise. C'est son choix, celui d'un projet m'a-t-elle dit. Pour ma part, je reconnais ne pas le comprendre».
Sentiment d'abandon
En interne, c'est la déception. Certains même éprouvent un sentiment d'abandon, voire de trahison. Car le transfert n'est pas anodin. Après dix-sept années passées chez Havas dont les quatre dernières à la tête de l'agence porte-étendard du groupe, passer chez l'ennemi héréditaire Publicis laisse un goût amer dans les couloirs de l'immeuble du quai de Dion Bouton à Puteaux.
Christophe Coffre, coprésident de l'agence en charge de la création, a ainsi lâché lors de l'annonce en interne: «Il y a ceux qui sont Rolling Stones ou Beatles, Barça ou Real et ceux qui sont Publicis ou Havas. Moi, je suis Havas!» Un message sans filtre mais qui illustre la déception générale. Le même, rassurant quant à l'avenir de l'agence, faisait peu après un parallèle avec la fameuse série Game of Thrones où, dans le dernier épisode de la première saison, le héros Ed Starck est décapité: «On était loin de la fin de l'histoire... après, il y a eu sept saisons».
Pour l'heure, chez Havas, on fait le dos rond. Yannick Bolloré assurera la coprésidence à titre transitoire: «Il n'y a pas péril en la demeure. Havas Paris est une agence de plus de 500 personnes avec un comité de direction solide. Nous allons peut-être en profiter pour peaufiner l'organisation, après ces dernières années de fortes croissance. Le choix d'un successeur se fera dans les prochains mois, sans précipitation.» Agathe Bousquet doit, en théorie, assurer son préavis jusqu'en juillet, au moins pour le suivi des principaux clients qu'elle gérait en direct, notamment EDF et surtout La Poste.
Le 1er septembre, elle prendra donc possession de ses nouvelles fonctions avenue des Champs-Elysées. Son recrutement au poste nouvellement créé de présidente de Publicis Groupe en France s'inscrit dans «la transformation du groupe entreprise il y a dix-huit mois [avec] sa nouvelle organisation "The Power of One" [visant à] casser les silos entre les différentes expertises. [Agathe Bousquet] supervisera [...] les quatre pôles de solutions: Publicis Communications, Publicis Media, Publicis Sapient et Publicis Health», précise le communiqué de Publicis Groupe, diffusé mardi 18 avril.
Recrutement rondement mené
Après avoir désigné les patrons des quatre nouveaux pôles du groupe (1), Maurice Lévy, président du directoire de Publicis Groupe, et Arthur Sadoun, CEO de Publicis Communications, qui lui succédera le 1er juin, ont souhaité nommer un responsable pour coordonner l'ensemble. Leur choix se serait d'emblée porté sur Agathe Bousquet. Trois qualités plaident à sa faveur selon eux, sa capacité à mettre le client au centre, à instaurer une relation de confiance avec ses équipes et à mener à bien l'intégration des expertises (avec notamment la fusion réussie entre Havas Paris et Havas 360). Le fait qu'elle soit une femme, jeune (43 ans), a également pesé dans la balance. Au final, les discussions n'auront duré que quelques semaines. Manifestement emballée par la perspective d'accompagner Arthur Sadoun dans le début de son aventure à la tête du groupe, Agathe Bousquet donne rapidement son accord.
Stéphane Fouks, vice-président d'Havas Groupe et président exécutif d'Havas Worldwide, solde ce départ surprise avec une pirouette: «C'est tout compte fait un hommage au succès d'Havas Paris.» Même si ce dernier doute de l'intérêt du futur poste d'Agathe Bousquet: «Devenir le patron des patrons de divisions opérationnelles qui gèrent les grands comptes n'est pas un exercice facile, cela s'apparente davantage à un poste fonctionnel et plutôt bureaucratique».
Mercedes Erra, présidente executive d'Havas Worldwide et cofondatrice de BETC, est tout aussi sceptique: «C'est étonnant qu'elle bouge pour ce poste. Chez Havas Paris, elle était à la manoeuvre. Chez Publicis, elle entre davantage dans une fonction d'appareil. Tout le contraire de ce que je croyais qu'elle était.» Mais elle ajoute aussitôt: «Agathe est très volontaire, elle apprend vite. Elle a le sens du travail et du devoir avec cette capacité à ne jamais lâcher, à vouloir faire toujours très bien... c'est une vraie fille! Elle saura sûrement faire évoluer son poste.»
Chez Havas, certains regrettent toutefois que le groupe n'ait pas réussi à garder un tel talent. Sa décision, qui n'a laissé place à aucune discussion, serait-elle le résultat d'un manque de reconnaissance? «Elle a tout eu ici: recrutée à peine sortie du monde associatif, patronne d'Havas Paris à 36 ans avec toutes les perspectives de croissance à venir...», rétorque un dirigeant du groupe. Une sous-estimation de son ambition? «Elle ne laisse pas transparaître ses doutes...», tente d'expliquer rétrospectivement Mercedes Erra. Sans doute son côté bonne élève.
Incarner le «nouveau» Publicis en France
Agathe Bousquet semble tout simplement avoir saisi une opportunité. Celle d'accèder à un poste lui permettant d'activer toutes les manettes du métier: technologique, créative et média. C'est aussi l'occasion pour elle de s'ouvrir de nouvelles perspectives. Quant à la nature même de son futur poste, Maurice Lévy la place résolument du côté des clients: «Elle aura pour mission d’aider nos clients à tirer le meilleur parti de nos talents et de bénéficier de la totalité des ressources du groupe». Elle sera donc appelée à incarner la nouvelle offre intégrée de Publicis en France. Avec à la clé, une mission concrète de développement, «une nouvelle manière d'aller démarcher les clients», confie-t-on dans le groupe qui rappelle qu'«elle aura autorité sur toutes les agences».
Une autorité qu'elle a su rapidement imposer en 2012 à la suite du départ de Laurent Habib, patron emblématique d'Havas Paris. Mais chez Publicis, il s'agira de travailler avec de fortes personnalités ayant une parfaite maîtrise de leur agence respective et... de leurs clients. Entre les ressentiments chez Havas et les défis qu'elle va avoir à relever à Publicis, on comprend qu'Agathe Bousquet ait un peu «besoin de douceur».
Dates clés
1991-1996. Diplômée de Sciences-Po Paris, maîtrise de philosophie politique et master de gestion à Paris-Dauphine.
1996. Directrice des opérations à Solidarité Sida.
2001. Consultante au sein du pôle Marque d'Euro RSCG Corporate.
2003. Directrice associée d'Euro RSCG C&O.
2008. Partner de l’agence (Développement et Communication).
2010. Directrice générale adjointe.
2012. Présidente-directrice générale d'Havas Paris.
2017. Présidente de Publicis Groupe en France.