Gaming
Depuis l'annonce de Facebook, la course au métavers est lancée, alors même que ce fantasme de technophile se concrétise déjà dans le secteur du gaming.

C’est la promesse d’un monde virtuel en trois dimensions aux allures de paradis terrestre, dans lequel il est possible de se promener, d’interagir, de jouer, de travailler, de faire du sport et même des emplettes. Le 28 octobre 2021, Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, a projeté son auditoire dans le futur probable d’internet, d’ici à 2030, avec la présentation de son tentaculaire projet de « métavers » (du grec « meta » qui signifie au-delà), pour lequel il compte débourser 10 milliards de dollars. À cette occasion, le groupe Facebook s'est stratégiquement renommé Meta. « Il préempte le terme car nommer, c’est posséder », analyse Christophe Ollivier, head of content strategy à StudioM, l’agence de brand content de GroupM.

Le métavers était jusqu'à récemment évoqué à bas bruit. Le terme a fait son apparition en 1992 dans le roman de science-fiction Le Samouraï virtuel de Neal Stephenson. Le concept a été popularisé en 2018 avec la mise en image de « l’Oasis » du film Ready Player One de Steven Spielberg, et il fait, depuis la présentation de Mark Zuckerberg, l’objet d’un engouement planétaire. « Dans quelques années, il y aura le même écart technologique entre le minitel et internet qu’entre internet et le métavers », prédit Ismaël El-Hakim, directeur de la création de Biborg, agence créative et digitale spécialisée dans l'industrie du jeu vidéo.

Metaverse natives

« Facebook ne construit certainement pas un monde virtuel pour vous et moi mais cherche à cibler les futurs adultes qui ont actuellement 10-13 ans et qui sont déjà dans des métavers », prévient Mathieu Lacrouts, CEO de Hurrah Group. À l'heure actuelle, les trois métavers les plus visités sont Minecraft (propriété de Microsoft) et Roblox (édité par Roblox Corporation), deux jeux de type « bac à sable » dans lesquels les joueurs construisent eux-mêmes leur univers, ainsi que Fortnite (Epic Games), un jeu de « battle royale ». Chacun d'eux dépasse la centaine de millions de joueurs actifs par mois dans le monde, selon l'Agence française pour le jeu vidéo, et cumule des audiences de quelques millions de joueurs par heure, selon les données du site Playercounter.com.

Le secteur du jeu vidéo, qui a déjà investi le concept de métavers, représente un concurrent de poids pour Meta. D'autant que le gaming, en plein essor, a atteint un record historique en 2020, avec la crise du covid et le besoin d’évasion des individus confinés. En France, ce secteur a connu une croissance de 11,3 % sur un an, pour un chiffre d’affaires évalué à 5,3 milliards d’euros l'an dernier par le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs. L’enjeu pour un réseau social comme Facebook, à l’audience vieillissante, est donc de capter les futures générations en suivant les tendances. « Il y a eu les digital natives (nés avec internet), les social natives (nés avec les réseaux sociaux), c’est désormais au tour des métavers natives », renchérit Mathieu Lacrouts. Après la Gen Z, la Gen M ?

Second Life, première vie virtuelle

Pourtant, les métavers ne datent pas d’aujourd’hui. Dès 2003, avant l'ouverture de Facebook au grand public en 2006, l'entreprise américaine Linden Lab offrait la possibilité de flâner dans Second Life, un monde virtuel toujours en ligne et dont l’intérêt est l’interaction avec les autres joueurs. Sa dimension sociale a été renforcée en 2008 avec la fonctionnalité « Second Life instant messenger » permettant aux utilisateurs de se parler. « Pendant la conversation, l’avatar prenait des mimiques et donnait le sentiment d’une présence plus riche qu’au téléphone », se souvient Richard Malterre, directeur de l’expérience digitale de Landor & Fitch.

D’autres jeux ont installé le concept de métavers dans le paysage numérique avec, au début des années 2000, Habbo Hotel ou encore World of Warcraft. Ce dernier a même eu des répercussions IRL (In Real Life) avec des rencontres amoureuses et des naissances. Facebook a également apporté sa pierre à l'édifice du social gaming avec la popularité, aux alentours de 2010, des jeux en communauté comme Farmville ou encore Pet Society.

Boutiques virtuelles

Dans la décennie 2000, Second Life a fait l’objet d’un emballement médiatique. Le jeu, qui possédait sa propre monnaie, le Linden Dollar, a ouvert la voie au « free-to-play » (jeu en accès gratuit dans lequel il est possible d'effectuer des achats). Free to pay également puisque le métavers est le reflet du monde dans lequel il est développé et calque le modèle capitaliste et son consumérisme. En 2006, American Apparel ouvre sa boutique dans Second Life et vend des vêtements modélisés sur la collection en cours, à moins d'1 dollar, pour habiller les avatars. Une opération avant-gardiste alors que les exemples du type se sont multipliés ces derniers mois. « Lorsqu’on pense gaming, on pense consommateur, gamer et donc avatar », résume Emmanuelle Mede, planneuse stratégique pour Addiction Agency.

En septembre 2021, la marque de luxe Balenciaga a ouvert sa boutique dans Fortnite pour vendre des « skins » (des apparences pour personnaliser les avatars) pour quelques dizaines d’euros. La marque de skateboard Van’s a, quant à elle, ouvert le lieu « Van’s World » dans Roblox. Avantage pour les marques : dans le métavers, elles peuvent faire des opérations de notoriété, proposer de nouvelles expériences et vendre des produits sans les coûts du monde physique (production, logistique…). Si les métavers créent de nouvelles habitudes d’achat chez les consommateurs et mettent à l’épreuve les stratégies de pricing des marques (comment fixer le prix d’un objet virtuel ?), ils donnent aussi lieu à des dépenses inconsidérées, à l’instar d’un joueur qui a déboursé 4 115 dollars pour un sac virtuel Gucci dans Roblox, alors même que le sac virtuel était disponible pour environ 5 dollars, et que le « vrai » sac affichait un prix de 3 400 dollars dans les magasins du monde physique.

Marché en ébullition

La consommation virtuelle sera-t-elle massive ? Au début de la décennie 2020, les étoiles sont alignées : la galaxie des cryptomonnaies et l’émergence des NFT, qui promettent la possession certifiée de biens virtuels, ouvrent des perspectives pour l’e-commerce. Conforté par ces technologies, le marché mondial du métavers entrera en ébullition ces trois prochaines années, selon Bloomberg Intelligence. D’ici à 2024, celui-ci pourrait peser 800 milliards de dollars, contre une estimation de 500 millions en 2020. « Tout le monde y va de son annonce avec le mot-clé "métavers" : il y a une volonté des acteurs de se positionner », constate Richard Malterre, de Landor & Fitch. Encouragé par l'adoption massive du télétravail, Microsoft développe un métavers dédié au monde de l’entreprise. Le géant chinois du e-commerce Alibaba a déposé trois marques : « Ali Metaverse », « Taobao Metaverse » et « DingDing Metaverse ». Et la rumeur court qu'Apple serait en préparation d'un métavers. Le frémissement est également perceptible du côté des start-up avec la levée de 93 millions de dollars par The Sandbox, un métavers basé sur la blockchain, début novembre.

Derrière le jeu vidéo, les événements en direct pourraient bien être le deuxième pôle lucratif du métavers, selon Bloomberg Intelligence. En avril 2020, le rappeur américain Travis Scott a déjà réuni au cours de cinq représentations dans Fortnite 27,7 millions de spectateurs. En guise de merchandising, les joueurs pouvaient acheter des « skins ». La crise sanitaire a propulsé l'avènement des événements virtuels et le métavers n'est finalement que le prolongement de cette tendance. Ainsi, le célèbre festival artistique Burning Man a lancé son « multivers », du 30 août au 6 septembre 2021, baptisé « Virtual Burn ». De son côté, Universal Music a annoncé en novembre vouloir créer un groupe de musique virtuel ex nihilo pour la terre promise numérique. La conquête du métavers est aux acteurs du divertissement et du commerce ce que représente la conquête de Mars pour l'astronautique : une réinvention dans un « au-delà », couplée d'un challenge technologique.

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