Lobbying
Avant le projet de loi sur la transition écologique de Barbara Pompili, responsables politiques et représentants de l'industrie de la publicité et des médias fourbissent leurs armes, arguments contre arguments. Épilogue à l'été 2021.

Ce n’est pas encore un tsunami mais une grande vague montante et d’une couleur claire. Vert clair. Elle commence en juin par le rapport de 150 citoyens tirés au sort à l’occasion de la Convention citoyenne pour le climat, dont Emmanuel Macron a approuvé 146 propositions sur 149, comme le rappelle le site de L'Elysée. À l’intérieur, une phrase clé : « la surexposition publicitaire n’est pas compatible avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40% d’ici 2030. » Début octobre, une proposition de loi d’une quinzaine de députés emmenés par Matthieu Orphelin, demandent des programmes éducatifs sur l’impact environnemental dans les études de publicité ou de marketing, une interdiction sur sept ans des produits les plus polluants comme les SUV à partir de 2022 et le bannissement des écrans publicitaires sur la voie publique. « Nous sommes dans l’écologie de l’action plutôt que dans l’incantation », argue le député ex-LREM, Hubert Julien-Laferrière tandis que son collègue Mathieu Orphelin pointe « l’injonction paradoxale qu’il y a à inciter à consommer d'un côté et de l’autre à sensibiliser au climat ».

Carbone score

Leur proposition de loi écartée en commission, tous les regards se tournent désormais vers le projet de loi de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili. Attendu en conseil des ministres avant la fin de l’année pour un examen au premier trimestre et un vote avant l’été 2021, le texte en préparation vise à « réguler la publicité en mettant en place un carbone score ou un CO2-score afin de de connaître l’impact environnemental des produits carbonés », comme dit un conseiller de son cabinet, contacté par Stratégies. Pour la ministre, il s’agit de passer entre les fourches du Conseil constitutionnel qui ne manquera pas d’être saisi pour atteinte à la liberté d’expression ou d’entreprendre : « On réfléchit à objectiver l’impact carbone à travers ce qui est le plus efficace, l’interdiction ou des messages incitatifs, poursuit le conseiller, mais il y aura une trajectoire, cela ne se fera pas du jour au lendemain. » À voir si cette « objectivation » rencontrera l'agrément du président et de Bruno Le Maire, son ministre de l'Économie, qui a dit son opposition à l'interdiction et sa préférence pour « l'information » en matière d'émission CO2. Barbara Pompili, de son côté, s'est déclarée « favorable à un encadrement » et a souligné que la publicité « incite à consommer », alors qu'il y a des produits « dangereux pour l'environnement ». À Greenpeace, Jean-François Julliard, son directeur général abonde : « Il faut une régulation et pas seulement une autorégulation, dit-il. Il nous faut une loi pour affronter la crise environnementale. Comme on l'a fait avec l'alcool et le tabac ». Quid du risque de fragilisation supplémentaire lié à un encadrement contraignant en pleine crise du Covid ?  « "C’est pas le moment"... C’est ce qu’on a dit à l’écologie dans les années 197O. On voit où on en est. Il suffit de regarder Mad Men pour voir le poids du tabac dans le CA des publicitaires des années 1960. Ils ne sont pas morts de son interdiction », argue le conseiller de Barbara Pompili. 

« Rompre avec le lobbying à la papy »

C’est peu dire que la profession et ses instances représentatives sont vent debout contre ces propositions. SUV consommant plus de 4L/100km ou 95 g de CO2 au km, vols de moins de 4h30 pour les compagnies aériennes, malbouffe avec ses aliments trop gras, trop sucrés ou trop salés… De nombreux produits sont dans le collimateur. Mais dans une France en pleine tentative de relance, alors que les agences anticipent une baisse de 20 à 25% de leurs recettes, n’est-ce pas jouer aux « apprentis sorciers » que de sortir un texte qui pourrait enlever « 1 milliard d’euros » aux médias ? Dans une tribune publiée le 5 octobre et cosignée par Franck Gervais, président de l’Union des marques, Mercedes Erra, présidente de l’Association pour les actions de la filière communication et Laurent Habib, président de l’Association des agences conseils en communication (AACC), il importe de « réfléchir avant d’interdire ». Laurent Habib [interrogé alors qu'il était encore en fonction à l'AACC ndlr.] dénonce « une mauvaise évaluation de l’impact des mesures par la Convention citoyenne pour le climat, dont 10% des propositions visent la pub, et qui vient du fait qu’elle n’a pas assez discuté avec la profession. » 

Appelant à une démarche « constructive » plutôt que « punitive », la filière veut rompre avec son image de « lobbying à la papy », comme dit Matthieu Orphelin. « La pub met déjà en avant les véhicules hybrides, le mieux manger ou l’origine géographique des produits, mais pour aller plus loin, argue Laurent Habib, elle a besoin de référents simples (comme le bio) pour le consommateur. » Pas si simple. « Dans la mode, doit-on mettre en avant les kilomètres parcourus par un t-shirt, les conditions sociales des travailleurs ou bien l’origine naturelle des produits ? Il faut donc une approche sectorielle pour rendre plus facile le rôle de la pub », estime l'ex-président de l’AACC. « Les transformations sociétales se font là où chacun joue son rôle, et la publicité ne peut pas faire des choix industriels pour l’automobile », ajoute-t-il. Justement, les États généraux de la communication visent à remettre une liste d’engagements au président Macron début 2021.

Du côté des annonceurs, on pointe aussi le manque de vision des propositions de loi. « Aujourd’hui, quelle entreprise ne va pas déjà dans le sens d’une production plus verte ? » interroge Franck Gervais. « Il faut un temps pour changer, de la R&D, mais en attendant, on ne peut pas empêcher les industriels de vendre sur la base de leur outil de production actuel pour réinvestir », pointe-t-il. Ce qui ne les empêche pas d’anticiper. Airbus a annoncé son avion à hydrogène pour… 2035. Dans l’automobile – dont les ventes ont chuté de 29% sur les neuf premiers mois en France selon le Comité des constructeurs français d'automobile – les campagnes sur l’hybride et l’électrique se sont multipliées. Elles auraient même doublé entre 2019 et 2020, ce qui fait dire à Matthieu Orphelin que la machinerie du « greenwashing » fonctionne à plein régime. Avec cette limite que pointe un directeur marketing d’une marque qui lancera son SUV électrique au début 2021: « L’électrique est un boulevard pour s’exprimer en communication, mais personne ne gagne encore d’argent dessus, donc nous sommes regardés de très près par le siège, et nous avons beaucoup moins de budget pub là-dessus. »

Incitations positives

Le SUV pèse 38% de la demande automobile dans le pays. Faut-il alors communiquer pour vendre des produits qui s’achètent ou pour faire rêver à un monde d'après ? Pour autant, la publicité n’a-t-elle pas pour essence de susciter l’envie et de créer le besoin ? Oui mais… Pour le publicitaire Olivier Altmann « la meilleure des pubs ne peut pas vendre un produit dont les gens ne veulent pas. Nous passons notre temps à analyser l’opinion et les tendances pour que les clients soient en phase avec l’époque et non pas l’inverse. » « Si on pense que certains produits sont nocifs, interdisons-les et arrêtons l’hypocrisie plutôt que de s’attaquer à la partie émergée qu’est la pub » lance-t-il. Lui préfère que celle-ci soit utilisée comme un levier de transition avec des « incitations positives ». Le spectre des Gilets jaunes n’est pas loin : « les taxes et interdictions créent des tensions sociales entre riches bobos et gens modestes qui aimeraient bien, eux, que l’auto électrique soit moins chère. »

1 milliard de manque à gagner

Du côté des médias, l’inquiétude est aussi réelle. David Larramendy, président du Syndicat national de la publicité télévisée, rappelle que son média s’attend à la plus grosse baisse de CA de son histoire en 2020 (-15%). Pour lui, interdire dès 2022 la pub des véhicules les plus polluants, revêt une méconnaissance d’un métier : « La publicité anticipe les changements de comportements des Français. Il suffit de comparer le pourcentage de véhicules propres sur les écrans de pub par rapport à celui des immatriculations. » Autrement dit, la dynamique publicitaire sert la transition écologique. Mais pas question de décorréler la pub de l’évolution de l’industrie. « La transition publicitaire doit se faire au même rythme que la transition industrielle », insiste-t-il. Donc, la publicité TV est prête à s’adapter à tout, pas à essuyer les plâtres, et à condition d'avoir du temps. « On ne ferme pas une usine de moteurs thermiques le vendredi pour en ouvrir une électrique le lundi, relève-il. Si les industriels s’entendent sur une trajectoire, nous serons très heureux d’en proposer une correspondante. » Un peu avant mais pas trop en avance. Si les mesures les plus extrêmes sont appliquées, il chiffre à « 1 milliard d’euros » de manque à gagner pour la radio et la télévision.

À l’Union de la publicité extérieure, Stéphane Dottelonde, son président, refuse d’incarner « le seul secteur économique à qui on interdirait sa transition numérique ». « Nous représentons 0,007% de la consommation d’énergie des écrans et 210 millions d’euros sur 33 milliards pour la communication, comment nous accuser d’être responsables de la surconsommation ? », plaide-t-il. Sans compter qu’il n’y a, selon lui, pas de média plus réglementé entre la loi Grenelle 2, les règlements locaux d’urbanisme, le code de l’environnement… « Il faut une autorisation pour chaque panneau numérique », signale-t-il. Toute interdiction serait attentatoire aux libertés d’entreprendre et d’expression, au droit de propriété et à la libre administration des collectivités locales, rappelle-t-il.

Menaces sur la publicité digitale

Quant à Sylvia Tassan Toffola, qui préside le Syndicat des régies Internet (SRI), elle perçoit la menace de la Convention citoyenne à travers la volonté d’imposer un contrôle de la publicité digitale au niveau du navigateur. Ainsi le principe du cookies wall, qui fournit du contenu contre de la pub, peut être remis en cause. « Le risque est de pénaliser les acteurs nationaux alors que les plateformes n’ont aucun encadrement et s’alimentent à 80% d’une long tail d’acteurs digitaux qui sont dans une logique de pollution, assure-t-elle. Dans nos environnements, nous respectons le consommateur, comme le prouve notre label digital Trust, nous passons devant l’ARPP pour un pre-roll et nous respectons un contrat de confiance. » La Cour des comptes enquête d’ailleurs sur l’égalité de traitement entre plateformes et médias nationaux.

La présidente du SRI estime toutefois que la publicité digitale a un rôle pédagogique à jouer en faveur d’une communication responsable. Il s’agit de contribuer à la baisse de l’impact carbone. Avec l’agence Sidièse, elle travaille ainsi sur un indicateur de façon à intégrer des engagements écologiques. « Ce sera au printemps prochain, soit dans le label digital ad trust, soit en dehors », confie-t-elle. La conclusion revient à Jean-Luc Chetrit, DG de l’Union des marques, qui s’est fait à l’Udecam l’avocat de toute une profession : « La publicité, par nature, est positive. Elle est construite sur des messages positifs. Et si on l’utilise comme un levier de la transition écologique, on va être beaucoup plus puissant que si on l’interdit. »

Les propositions de la Convention citoyenne sur le climat

Parmi les 149 propositions de la Convention citoyenne sur le climat, certaines concernent la publicité. Les citoyens proposent ainsi de « mettre en place un score carbone sur tous les produits de consommation et les services » et de « rendre obligatoire l’affichage des émissions de gaz à effet de serre dans les commerces et lieux de consommation ainsi que dans les publicités ». Ce « CO2-score » doit servir à « réguler » en « interdisant la publicité de certains produits qui atteignent un seuil maximum », à déterminer de façon concertée, et/ou « en étant affichés de manière claire et suffisamment visible dans toutes les publicités quel que soit le canal utilisé ». La convention entend aussi « limiter les incitations à la consommation des produits les plus polluants et favoriser l’information et la communication autour de produits, services et comportements écoresponsables ». Dès 2023, elle propose d’« interdire la publicité sur les produits les plus polluants [une sorte de loi Evin sur le climat] et réguler la publicité en général, afin de réorienter la consommation sur des produits plus vertueux sur le plan climatique et en mettant un frein à la surconsommation ». La convention demande aussi le bannissement sur la voie publique des publicités, en particulier digitales.

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