Concevoir un champagne facile à boire en apesanteur, sans en perdre les qualités gustatives : c'est le pari qu'a relevé la célèbre maison Mumm, avec la mise au point d'une cuvée spéciale, baptisée Grand Cordon Stellar. À l’origine de ce projet fou, pas de plan stratégique, ni de brainstorming dans des bureaux, mais une belle rencontre avec Octave de Gaulle, ancien étudiant de l'Atelier de Sèvres et fondateur de l'agence de design d'objets spatiaux Spade. « Octave de Gaulle nous a parlé de son travail sur des objets conçus pour évoluer dans l’espace. Progressivement, est venue l’idée d’une bouteille de champagne qui pourrait elle aussi vivre en apesanteur », se souvient Quentin Meurisse, VP Marketing Champagne chez Mumm.
« Il nous a fallu trois ans pour mettre au point le premier prototype », se remémore Octave de Gaulle. Une période de développement finalement assez brève selon lui, au regard du temps nécessaire pour créer une voiture par exemple. « La bouteille que nous avons imaginée est sur le point d’être qualifiée pour un vol spatial », se réjouit-il. De quoi mettre un peu de convivialité à l’intérieur des stations spatiales. « Dans l'espace, les problèmes sont adressés de manière cru et technique. On a oublié d’y d’emmener le confort, l’ergonomie et les petits gestes qui nous permettent de nous sentir humain loin de la terre », analyse le patron de l'agence Spade, âgé de 32 ans et arrière-petit-neveu du général de Gaulle.
En apesanteur, les liquides sont bus à la paille. Pour le champagne, ce mode de dégustation n’est pas idéal, d’autant que, comme le rappelle Octave de Gaulle, ce sont avant tout les coupes qui dirigent les arômes. « On sait aujourd’hui que 80% des plaisirs du vin passent par le nez. D’où notre défi d’impliquer de nouveau l’odorat dans la dégustation », note-t-il. Trois années de travail ont donc été nécessaires à la mise au point cette cuvée Grand Cordon Stellar. « Quand on dessine un objet, on prend en compte l’usage que l’on veut en faire, le rapport au corps, à l’oeil, mais aussi la relation avec l’environnement. Une grande partie des paramètres décisifs dans l’élaboration d’un objet sont ceux de la gravité. »
Envisager un nouveau design susceptible d’être plaisant et fonctionnel en apensanteur suppose d’établir de nouvelles règles. « J’aime l’idée de me débarrasser de tous les réflexes que nous avons pour dessiner des objets sur Terre. Il a fallu aller chercher des formes pertinentes, c’était pour moi un eldorado », ajoute Octave de Gaulle. Par rapport au vin, la difficulté était de tenir compte de la pression exercée par le gaz contenu dans le champagne ainsi que de l’importance de conserver l'aspect pétillant du breuvage lors de sa dégustation. Mais la plus grande problématique semble avoir été celle du service.
« On me demande souvent pourquoi il fallait une bouteille particulière. Il faut s’imaginer qu’en apesanteur, on ne peut pas la vider car le liquide ne suit pas », explique Octave de Gaulle. Ensuite, on a l’habitude de servir le champagne dans une coupe, mais, là aussi, les choses ne se déroulent pas de la même façon en apesanteur que sur Terre. C'est pourquoi le jeune homme a élaboré un système breveté permettant de maintenir le gaz dans la bouteille de champagne. Concrètement, il s’agit de produire une bulle, laquelle vole pendant quelques secondes dans l'air avant qu’on puisse l’attraper avec un verre, lui aussi spécialement conçu pour cet usage. Haute de dix centimètres, la coupe a la forme d’un tee de golf. En bouche, la mousse se transforme en liquide avec de petites bulles qui explosent.
Pour évaluer la magie et le glamour de la chose, rien de tel qu'un test grandeur nature. « Nous avons invité à bord d’un Airbus zéro gravité au départ de Reims notre ambassadeur Usain Bolt, ainsi que des journalistes de différents pays, venus pour certains depuis l’Australie ou le Japon, mais aussi des bloggeurs et des influenceurs », raconte Quentin Meurisse, de la maison de champagne. En septembre 2018, ces personnes ont ainsi eu la chance de vivre l’expérience de l’apesanteur dans ce laboratoire si particulier, accompagnée de cette coupe de ce champagne si spéciale. « C’est avant tout un projet d’innovation mais qui s’est accompagné d’un relais communication, avec des résultats assez spectaculaires puisqu’il y a eu précisément 22 700 retombées de par le monde », se félicite Quentin Meurisse. Pour la marque Mumm, cela a été une belle opportunité pour valoriser sa capacité à innover et à casser les codes.
« Une vraie nouveauté sensorielle », Jean-François Clervoy, astronaute et président de Novespace
« J’ai été impliqué dès le début dans ce magnifique projet. Grâce à un astucieux système de levier situé dans le culot de la bouteille, on peut contrôler la sortie du liquide piégé près du goulot. Ainsi, le champagne en sort sous forme d’émulsion, dont le gaz était dissous avant ouverture. La consistance est intermédiaire entre la mousse et le liquide. En apesanteur, nos sens nous jouent parfois des tours car le fonctionnement de nos cellules gustatives et olfactives est légèrement modifié. Mais la vraie nouveauté sensorielle est le plaisir accru procuré par le champagne envahissant toute la surface interne de la bouche. En tout cas, boire du champagne en apesanteur, cela ne s'était jamais fait ! »