Publicité automobile

Description

S'il y a un pays où l'on ne plaisante pas avec les voitures, c'est bien l'Allemagne. Objet sacralisé, la voiture allemande a la réputation non usurpée d'être puissante, solide et confortable. En publicité, elle est filmée comme une oeuvre d'art, avec les codes du luxe. Mercedes, BMW ou Audi ont largement inspiré les campagnes des constructeurs français. Championnes du haut de gamme, ces marques ont imposé un modèle de voiture classique, statutaire et viril, celui du père de famille qui a réussi. À quelques nuances près. BMW mise sur sa dimension sportive. Le roi du moteur à propulsion place le conducteur au coeur de ses préoccupations, s'adressant à lui comme à un pilote. De son côté, Mercedes se veut plus ostensiblement statutaire et moins chargé en testostérone. Mais c'est Audi (Volkswagen) qui a su le mieux user du levier publicitaire pour faire évoluer son image. Oublié le temps - au début des années quatre-vingt-dix - où le constructeur concluait sa campagne par l'effarant (même au second degré) « Il a la voiture, il aura la femme ». Au fil du temps, la « voiture de l'ingénieur », fiable et de bon rapport qualité/prix mais carrée, n'a cessé d'arrondir ses angles. Dès 1992, Audi est la première marque à tenir un discours sociétal, notamment sur la sécurité. La première aussi à mettre en scène une femme enceinte au volant (d'une A6), en 1997. La première enfin à tenir un discours de modestie : en 2002, le spot pour la nouvelle A8 reconnaît qu'il faut passer par des échecs pour arriver au succès.
Audi se voit donc en objet de culte, certes, mais avec une approche humaniste.« L'individu est toujours placé au-dessus de l'automobile,souligne Patrice Franke, directeur de la marque en France.Audi tient un discours responsable : le premier système de sécurité restera toujours l'homme. »Ce qui n'empêche pas le constructeur de revendiquer une part du mythe sportif automobile. Le coupé TT, mis sur le marché en 1998, avait déjà amorcé un virage hédoniste. La marque mise aujourd'hui sur son modèle A3 Sportback, présenté comme un « break de chasse », pour séduire des clients à la recherche de sensations. Là encore,« s'il est question de plaisir, ce n'est pas pour déconnecter les neurones,précise Patrice Franke.Mais nous affirmons notre caractère, nous nous latinisons. »
Cette prudence, voire cette discrétion, Peugeot ne semble pas s'en prévaloir. Avec son agence BETC Euro RSCG, le constructeur français travaille son image à l'allemande, et ce « pour que l'automobile soit toujours un plaisir ». La marque revendique plus que jamais la sensation de fierté que donne la possession d'un bel objet technologique. Amorcée par la campagne pour la 406 en 1997, « l'opération séduction » s'est prolongée pour la 206 deux ans plus tard, puis pour la 607 et, dernièrement, la 407, avec la signature « Et si on reparlait automobile ».« Sur la forme, le spot "Toys" est très séduisant,juge Hervé Plumet, directeur de création chez Publicis Conseil, où il travaille sur Renault.Mais le schéma est allemand : la voiture est un attribut de puissance. »

Jouer la latinité

La « vieille dame de Sochaux » se serait-elle muée en BMW français ?« Peugeot a fait le choix de dissocier sa communication de marque de sa communication d'entreprise,rétorque Raphaël de Andreis, en charge du budget chez BETC.L'entreprise s'engage sur la sécurité ou la pollution, mais la publicité n'a pas à traduire cette dimension. Elle doit réassurer la dimension de plaisir sans complexe. »Conscient que les voitures allemandes structurent l'imaginaire du secteur, Peugeot veut être au même niveau sans avoir la même histoire. En comparant sa 407 aux autres véhicules, présentés comme des jouets, le constructeur assène que l'automobile n'est pas un produit jetable - c'est le deuxième poste de dépenses des ménages - et lui reconnaît sa valeur statutaire. Dans le même temps, il a aussi très bien su user du design pour accentuer sa latinité (finesse, rapidité et élégance) et s'approprier le meilleur de la germanité (la solidité sans la lourdeur). Avec un tel dosage, la marque s'affirme comme une alternative à ce modèle allemand qu'elle a elle-même en grande partie épousé.
De Boulogne-Billancourt, on voit les choses différemment. Leader français, Renault ne louche pas sur les standards d'outre-Rhin. Il effectue même, subtilement mais sûrement, un retour au bercail. Après avoir installé la signature « Voitures à vivre » autour de modèles innovants comme l'Espace ou la Twingo, Renault avait décidé, à la fin des années quatre-vingt-dix, de monter en gamme. Avec pour figures de proue deux modèles au design osé, l'Avantime puis la Vel Satis, et un nouveau positionnement : celui de « créateur d'automobiles », plus statutaire et plus glamour, avec cette inimitable touche de chic français très payante à l'international. Le film fondateur, en 2000, paraît tout droit sorti d'un catalogue de mode, avec un casting scintillant comme la tour Eiffel un soir de réveillon : Jean-Paul Gaultier, la place Vendôme et l'Avantime, magnifiée à l'extrême.
Près de quatre ans plus tard, et malgré l'échec commercial de l'Avantime, Renault a réussi son pari : la marque a une image plus sexy et les réserves émises quant à l'équipement des modèles ou leur fiabilité ont disparu sans laisser de traces. Les multiples modèles gratifiés de cinq étoiles aux tests allemands Euro Ncap sont là pour le prouver. Pour autant, la dernière campagne pour le Scénic, signée « Votre nouvelle adresse », semble marquer une inflexion.« Nous n'avons jamais vraiment quitté l'univers des voitures à vivre,estime Christian Barluet, le directeur de la communication monde de Renault.Nous souhaitons aujourd'hui renouer avec une certaine philosophie, mélange d'humanisme et d'ouverture aux autres. »Illustration : le lancement de la Modus, qui déboule en ce mois de septembre sur le segment de la Clio et de la 206. La voiture, un petit monospace au design sympathique mais sans affèterie, bénéficie d'une campagne au traité « seventies » qui critique la grisaille du monde de l'entreprise, le tout assorti d'une signature gentiment régressive, en phase avec les atermoiements contemporains : « Grandir, pour quoi faire ? ». Impossible de renier son histoire : le temps de la mythique régie Renault et de son cortège d'enjeux sociaux restent ancrés dans l'inconscient collectif. Loin de la vision un rien froide et chichiteuse de la campagne « Créateur d'automobiles », Renault remet plus que jamais le conducteur au coeur de sa communication. Sans oublier ses passagers et la société qui les entoure.
Ces débats n'ont pas l'air d'émouvoir Volkswagen (en allemand, « la voiture du peuple »). Le constructeur, champion de la publicité à fort impact, fidèle à son agence DDB depuis quarante-cinq ans, maintient mordicus son inénarrable ton de communication mêlant sobrement humour et provocation.« Volkswagen a défini un vrai ton, celui de l'autodérision, tout en imposant sans complexe le modèle de la petite voiture »,souligne Olivier Altmann, vice-président de Publicis Conseil en charge de la création. De fait, la marque a été la première à désacraliser l'automobile. Exit la dimension statutaire, maintes fois décriée dans ses publicités. La bagnole, cette vieille histoire de mecs, prend un autre sens avec Volkswagen, quand le père dit à son fils « Nous, on a une Golf ». Ce créneau du message « intelligent » qui s'adresse aux automobilistes « intelligents » et qui parle de voiture sans montrer le produit, a assuré à la marque une image de modernité et à ses possesseurs celle d'un rapport distancié à l'automobile.
Mais on s'interroge désormais, dans le Landerneau publicitaire, sur la pertinence d'un tel positionnement et sur son éventuelle arrogance. Le discours individualiste de Volkswagen cadre de plus en plus mal avec l'air du temps, fort critique sur la place de l'automobile dans la cité.« Volkswagen n'a pas de langage frontal sur la pollution ou la sécurité,reconnaît Christian Vince, coprésident de l'agence V (DDB), qui a repris en main le budget.Mais c'est fait de manière indirecte. »Le récent film « Les radars sont nos amis », qui rebondit sur la question de la sécurité à propos du régulateur de vitesse, amorce peut-être un renouveau.

Proximité souriante

Dernière grande famille d'automobiles : les voitures populaires. Lorsqu'on les croise au détour d'une rue, impossible de réprimer un mouvement de sympathie : Autobianchi, Fiat 500, sans parler de la bonne vieille « deuche », ont incarné en leur temps une certaine vision de la liberté automobile. Mais où sont donc passés leurs équivalents aujourd'hui ?« L'âge moyen d'accession à un premier véhicule neuf se situe désormais autour de trente-cinq ans,constate Xavier Del Sarte, coprésident de l'agence V.Il existe un problème d'accessibilité dans le marché : la sophistication des véhicules fait que les prix ont augmenté. »
Autrefois fer de lance de l'auto populaire, Fiat a passé la main aux constructeurs asiatiques, Toyota, Nissan, voire Hyundai.« Nos campagnes de communication jouent sur la fiabilité, la proximité - comme dans notre saga " Belle-mère " pour l'Avensis - et la valeur d'usage »,expliquent Emmanuel Collin et Guillaume Gonzague, en charge du budget Toyota chez Saatchi&Saatchi. Chez Hyundai, l'offensive sur les prix a déjà commencé : le groupe coréen dispose de sa marque Kia, qui devrait concurrencer les voitures statutaires, à des prix 25 à 30 % moins élevés. Et la marque se donne les moyens de ses ambitions. Elle vient de recruter deux cadres, venant l'un de Toyota et l'autre de BMW (son agence, Diamant vert, a embauché une pointure créative, Serge Fichard, ex-directeur de création chez Publicis Conseil).
Citroën joue lui aussi la carte de la proximité souriante, au sein du groupe PSA, avec des campagnes promotionnelles mettant en scène l'entraîneur de football Guy Roux.« Notre ambition est de rendre nos véhicules accessibles au plus grand nombre »,souligne Jean-Marc Savigné, directeur marketing France de Citroën. Pour autant, la marque aux chevrons a décidé de se positionner plus fermement sur la « technologie utile », son credo officieux. Pendant ce Mondial de l'auto, elle lance la C4, sur le segment des Mégane et autres Golf, et un spot TV sur la sécurité que l'on promet décoiffant, signé par Jan de Bont, le réalisateur deSpeed, et annoncé sur les écrans pour le 1er octobre.« Citroën a toujours été en pointe en termes de sécurité active,souligne Jean-Marc Savigné.Cet item est récurrent dans les demandes de nos clients, et c'est aujourd'hui un enjeu sociétal majeur. »
Signe des temps, les constructeurs explorent de nouvelles voies. Cible incontournable dans les années à venir : les « momos », alias les mobiles moraux, cousins germains des bobos. Ils veulent des voitures propres et ont une approche strictement utilitaire de l'automobile. Ils seraient plutôt clients du moteur hybride de la Prius de Toyota ou de la posture antifrime de Skoda. À l'heure où la consommation automobile se concentre dans les périodes promotionnelles, il y a sans doute aussi une carte à jouer avec les modèles ultra-économiques. Renault sera-t-il le premier généraliste à investir massivement ce créneau ? Sa Logan à 5 000 euros est pour l'instant principalement commercialisée dans les pays de l'Est. Pas pour longtemps...