La grande lessive
L'exigence d'un monde totalement sécurisé est excessive car des incidents peuvent à tout moment survenir. »Cette phrase, ô combien d'actualité, est d'Ulrich Beck, professeur de sociologie à l'université de Munich et spécialiste de la gestion du risque. Elle est tirée de son intervention publiée dans le dernier numéro du magazineEuropean Business Forum(EBF) sur le thème « Est-il trop risqué, aujourd'hui, de diriger une entreprise ? » Un sujet sur lequel doivent méditer, ces temps-ci, les patrons des grands groupes mondiaux de communication. Et ce à double titre, en leur qualité de conseils des dirigeants des plus grandes sociétés au monde et de chefs d'entreprise.
De fait, les groupes publicitaires n'ont pas été épargnés par le « syndrome Enron ». On serait même tenté de dire que la vague de suspicion des investisseurs a particulièrement touché ce secteur. Rappelons que les deux leaders du marché, Omnicom et Interpublic, ont tour à tour été mis en cause ces derniers mois. Le premier sur ses méthodes comptables, jugées douteuses dans le cadre d'acquisitions de sociétés Internet. Le second pour des manipulations financières concernant notamment son réseau McCann en Europe. C'est dans ce contexte sulfureux que les trois principaux acteurs du marché, les deux groupes américains précités et le britannique WPP, ont décidé de ne fournir aucun chiffre relatif à leurs filiales portant sur l'exercice 2002. Les autres groupes, à commencer par Publicis et Havas, cotés à Paris mais aussi à New York, se sont empressés de leur emboîter le pas. Paradoxalement, cette année, la transparence sera bel et bien sacrifiée sur l'autel de la vérité des chiffres.
La course aux marketing services
En attendant quelques serrages de boulons, les groupes se contentent de publier des données globales. En dépit des rumeurs, Omnicom reste largement en tête des holdings publicitaires, du haut de ses presque 7 milliards d'euros de revenus, et apparaît comme le plus dynamique. Comme à son habitude, le groupe dirigé par John Wren a procédé à de nombreuses acquisitions dont celle, controversée, de l'agence Internet Organic, aux États-Unis. Le numéro deux, Interpublic, a quant à lui emprunté un autre chemin. Compte tenu de ses difficultés financières, le groupe, qui vient d'ailleurs de changer de patron dans la tourmente (David Bell ayant succédé à John Dooner en février 2003), cherche à se séparer de certains de ses actifs. La vente de la société d'études NFO à Taylor Nelson serait par exemple imminente. De son côté, WPP a développé son nouveau réseau Red Cell en rachetant en octobre dernier Les Ouvriers du paradis.
Mais la nouveauté de cette année 2002 est sans conteste l'arrivée de Publicis dans le haut du tableau. Avec le rachat de Bcom3, maison mère de Leo Burnett et de D'Arcy, le groupe français se rapproche du trio de tête. Il renforce sa présence en Amérique du Nord, où il a réalisé l'an dernier, dans une configuration pro forma, près de 48 % de ses revenus. Soit à mi-chemin d'Omnicom (56,9 %) et de WPP (43 %). En revanche, le groupe présidé par Maurice Lévy enregistre encore un certain retard en matière de marketing services. Comparé à celle d'Omnicom (43,5 %) ou à celle d'Havas (49 %), la part de son activité liée à la publicité s'élève encore à 56 %. Plus proche en fait de la part des revenus de WPP émanant de la publicité (53 %). Cette course aux marketing services constitue le principal enjeu de ces grands groupes avec, à la clé, la constitution d'une offre enfin intégrée.