Mix-marketing et numérique
Les nouvelles technologies sont en train de modifier le rapport des marques avec leur public. Du site Web au SMS, les outils de l'interactivité permettent aux annonceurs de créer de la proximité et d'interagir avec leurs clients. Dans le but avoué de gagner en efficacité et, si possible, de faire des économies.« Il y a deux dimensions dans le métier de l'interactif,soutient Matthieu de Lesseux, fondateur et coprésident de l'agence interactive indépendante Duke, et président de l'Association des agences-conseils en communication interactive (lire son point de vue en page 54).Une dimension de pure communication, ce que l'on pourrait appeler le marketing d'expérience de la marque. Le site Web permet alors à celle-ci de s'exprimer en profondeur et doit contribuer à améliorer la perception du visiteur sur la marque, sans forcément qu'il laisse son e-mail. L'autre dimension est évidemment celle de la relation client. »
C'est dans cet esprit que Duke a mis en place pour Nissan une communication originale et exclusive sur Internet pour le prélancement européen de la nouvelle Micra : une bande dessinée interactive et un magazine de tendances plongeaient le visiteur dans l'univers de la nouvelle voiture. Les internautes étaient évidemment invités, mais après avoir parcouru la BD, à laisser leurs coordonnées électroniques. Pour les constructeurs automobiles, le site Web est un outil de marketing en soi : 20 % des visiteurs en concession ont préalablement surfé sur le site Web de la marque.
Le marketing relationnel - par essence métier de l'interactivité puisque sa problématique est la conquête et la fidélisation de clients - est le plus friand de nouvelles technologies. Celles-ci mettent à sa disposition de nouveaux canaux d'accès aux consommateurs, plus réactifs, plus rapides et normalement moins coûteux.« Internet a donné un nouveau souffle au marketing direct en lui apportant de l'immédiateté dans la réaction et l'analyse, ce qui est moins possible avec le téléphone, le coupon ou le mailing postal »,résume Pierre Désangles, directeur de Rapp Collins, filiale de marketing relationnel de DDB, qui travaille de manière étroite avec Hervé Cuviliez, directeur de Rapp Digital, la filiale interactive du groupe.
L'e-mail marketing multiplie les adeptes
« La technologie rend le marketing plus prédictif car Internet permet de tout tester »,confirme Émile Rastoll, directeur général des agences K Direct Marketing et K Interactive. D'où le déploiement de l'e-mail marketing. Selon une étude menée par DoubleClick et Claritas Interactive auprès de 1 500 directeurs marketing européens, la part du budget marketing consacrée à l'e-mailing est passée de 7 % en 2001 à 10 % en 2002. Et 61 % des professionnels interrogés comptent augmenter ce budget en 2003. En un an, l'e-mail marketing aurait séduit deux fois plus de professionnels : 69 % y ont eu recours en 2002 contre 31 % en 2001. Avec pour objectif principal de fidéliser des clients (69 % des cas) ou d'en conquérir de nouveaux (62 %).
Le site peugeot.fr a ainsi fait une campagne d'image par e-mailing pour le nouvel an et se déclare satisfait des résultats. Une carte de voeux a été envoyée aux 50 000 contacts collectés sur le site avec un module de marketing viral. L'internaute pouvait renvoyer la carte en y insérant son message. Bilan : «55 % des e-mails ont été ouverts et 1 500 ont été transférés, soit un taux de transformation de 6 %, trois fois supérieur à un bon taux en mailing traditionnel, pour un coût dix fois moindre »,affirme Sophie Bruand, directrice de projet chez B2L Proximity, qui a fait appel à I-média, spécialiste des communications électroniques, pour l'envoi des e-mails.
Mais si l'e-mailing peut produire des résultats satisfaisants en fidélisation, il doit encore faire ses preuves en matière de recrutement. Et ce en raison de la qualité des bases et de la difficulté à segmenter la population ciblée. Les adresses doivent être régulièrement requalifiées car, comme le souligne Marc Bensadoun chez Total,« le taux de " n'habite plus à l'adresse indiquée " est important sur les fichiers e-mail : de l'ordre de 25 % ».Pour espérer un début d'efficacité, l'e-mailing doit être utilisé en « opt-in », c'est-à-dire avec la permission des prospects (« l'opt-in » est intégré dans le projet de loi « pour la confiance dans l'économie numérique », qui devait être débattu au Parlement à partir du 25 février, lireStratégiesn° 1265).
En règle générale, il doit être couplé avec du mailing papier (ou du téléphone) pour obtenir un meilleur rendement. Mais les fichiers couplés sont chers. Pour leur client Carvantis, Rapp Collins et Rapp Digital ont testé le canal qui offrait les meilleurs coûts d'acquisition de prospects.« Si le Net offre davantage de rentabilité et de volume, les contacts y sont plus spontanés et donc moins aboutis qu'avec les techniques de marketing direct classiques, comme l'envoi d'une brochure ou d'une plaquette,indiquent Pierre Désangles et Hervé Cuviliez.En taux de transformation, le hors ligne, qui offre moins de volume, se défend finalement bien. »
Le parrainage, une arme à double tranchant
Les nouvelles technologies permettent également l'acquisition de consommateurs par toutes les techniques de parrainage connues. Telle est la spécialité de Franck Chemière, PDG de l'agence lilloise Touche étoile, qui propose des solutions de promotion par le Web, le SMS, l'Audiotel et le courrier. Ce procédé se développe d'une manière anarchique, car les annonceurs comprennent souvent sur le tard qu'obtenir des fichiers de profils est compliqué et onéreux. Mal conseillées et attirées par des opérations facilement réalisables, les marques risquent de mettre en péril leur image. Ainsi Alapage, site marchand de produits culturels, a-t-il lancé courant février une opération auprès de ses clients pour leur faire gagner des bons de réduction de deux à cent euros... sous réserve de « parrainer » trois amis, c'est-à-dire de divulguer trois adresses électroniques. Une façon de contourner le problème du spamming... mais surtout une opération plus coutumière de marques de yaourt que d'un libraire !« Si la promesse de gains est perçue comme insuffisante et mal adaptée, l'opération peut se retourner contre la marque »,commente un expert. Dior a également pris le risque de décevoir les visiteurs de son site en leur proposant de gagner un échantillon de parfum en échange de coordonnées électroniques d'amis. Le lot n'est acquis que si ces amis participent à leur tour au jeu... Le jeu est d'ailleurs l'un des ressorts principaux du marketing interactif. Mais il doit être utilisé avec discernement. On distinguera les loteries gratuites, qui visent à recruter des profils moyennant la promesse d'un gain ou d'un lot conséquent, de ce que l'on appelle « advertainment » (advertising/entertainment), qui attire l'internaute par la seule qualité du jeu.
Ciblé et efficace : le SMS
Autre outil de marketing relationnel, totalement réactif et à fort potentiel viral, le SMS est apparu à la mi-2002. Ce message court (160caractères maximum) envoyé sur les téléphones mobiles semble promis à un bel avenir, si l'on en croit les instituts d'études et les sociétés spécialisées (Mobile Permission, PhoneValley, Plurimédia, I-média, Ideonet, etc.). Le trafic explose : en 2002, les trois opérateurs français ont enregistré plus de 6 milliards de SMS sur leur réseau, selon l'Observatoire Orange/Mobile gagnant. Si le SMS est aujourd'hui surtout un moyen de communication personnelle, il commence à gagner le marketing. Selon l'institut Forrester Research, seulement 9 % des directeurs marketing européens utilisaient le SMS en 2001, mais 56 % se déclaraient prêts à y venir d'ici à fin 2003. Selon une autre étude, réalisée par Enpocket, les campagnes de permission marketing par SMS seraient en moyenne 50 % plus efficaces qu'une campagne télévisée et 130 % plus percutantes qu'une campagne radio. Les premiers essais révèlent d'ailleurs des taux de réponses très élevées, entre 6 et 17 %. En Australie, Coca-Cola a obtenu des résultats étonnants à sa première campagne SMS, lancée début 2002. La marque faisait gagner pendant treize semaines plus de 380 lots, selon le principe de l'instant gagnant. Le consommateur envoyait par SMS+ le code inscrit sur sa canette et connaissait aussitôt le résultat.« L'opération menée par Legion, filiale de Plurimédia, a généré l'envoi de 7,2 millions de SMS+, ce qui représente 4 % de la population australienne,indique Fabrice Sergent, président de Lagardère Active Brodband et de Plurimédia.Outre les profils recrutés, cette opération a permis à la marque d'obtenir des informations de géomarketing sur le consommateur - Coca-Cola ayant sérialisé les packs, elle savait si les joueurs avaient acheté leur canette dans un supermarché ou un bar - et ainsi d'optimiser la distribution. »
Le SMS est pour l'instant particulièrement adapté à la cible des 15-25ans, qui utilisent ce mode de communication à 90 %. Mais il toucherait déjà 60 % des 25-45 ans.« Le potentiel est fort. Le parc français de téléphones mobiles comptait 38 millions d'utilisateurs en 2002 et devrait atteindre les 45 millions en 2003 »,souligne Christophe Sauvan, directeur de Mobile et Permission. Reste que ces 160 caractères limitent les champs du possible et sont surtout efficaces dans les registres du vote (pratiqué par les chaînes de télévision ) et du divertissement (dédicaces). Mais, avec l'arrivée de l'i-mode et des MMS (des SMS avec son et image couleur), le marketing mobile devrait dès cette année gagner en créativité.