Votre spot en 4 étapes

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Ça y est. La création de l'agence a été achetée par l'annonceur. Il s'agit d'un film, dont la date d'antenne est prévue : l'espace publicitaire a d'ores et déjà été réservé. Pour l'heure, le spot est juste couché sur le papier, sous la forme d'un story-board, suite de vignettes dessinées. La production du film peut commencer. En France, il se tourne près de huit cents publicités par an, contre six mille en Grande-Bretagne, pour un marché économique équivalent : quand un film marche, les annonceurs français ont tendance à le diffuser pendant des années...
Les délais sont souvent très serrés, en moyenne six semaines du story-board à la diffusion antenne. Difficile de s'imaginer, quand on n'a jamais tourné de spot publicitaire, le nombre de personnes impliquées et la multitude d'étapes nécessaires pour réaliser trente secondes de film... Du TV producer à la postproduction, comment se fabrique un film ? Clap de départ.

1 TV production : votre réalisateur sur un plateau

Chaque matin, lorsqu'elle arrive à son bureau, la première chose que fait Ingrid Vasseur, TV producer à l'agence Enjoy Scher Lafarge, est de visionner les nombreuses cassettes que les maisons de production lui envoient. Clips, courts-métrages, fausses et vraies pubs, rien ne doit lui échapper, car c'est à elle qu'incombe la tâche de trouver le meilleur réalisateur pour tourner un spot. Une fois que le story-board est finalisé, les commerciaux et les créatifs viennent voir le TV producer, qui, à partir du budget et de la date d'antenne, établit un rétroplanning de départ. Il doit également, étape incontournable, envoyer la création validée par le directeur de création au Bureau de vérification de la publicité (BVP), avant même de la présenter au client. En 48 heures, le BVP donne son avis, prévient des risques et donne ses recommandations. Une fois l'aval du BVP accordé, de deux choses l'une : soit l'agence sait avec quel réalisateur elle veut travailler, soit le TV producer organise une compétition entre plusieurs maisons de production. Dans le premier cas, si le réalisateur est disponible et s'il est intéressé par le projet, la préproduction peut commencer. Dans le second cas, tout se complique. Le brief et le story-board sont envoyés à des maisons de production, - entre trois et cinq dans une compétition classique -, qui préconisent un réalisateur. Une fois retenu, celui-ci va se mettre à élaborer une note d'intention, qui n'a d'ailleurs de note que le nom ; il s'agit davantage d'un dossier richement illustré.« Aujourd'hui, le dossier s'apparente presque à une réunion de préproduction,remarque Aram Kevorkian, le nouveau DG de Première Heure, plus importante société de production en France.Étant donné que, sur le marché, l'offre est supérieure à la demande, on est obligé d'être compétitif dès la note d'intention. On va commencer à faire des repérages, à élaborer des références visuelles, voire musicales, parfois même un découpage... »

Budgéter les royalties

« La préparation de la note d'intention peut prendre une semaine si l'on dispose de délais confortables,confirme Gaby Fayol, directrice artistique chez Plein Soleil, autre producteur publicitaire.C'est un vrai travail d'équipe en amont, où l'on essaie de synthétiser ce que le réalisateur a dans la tête, en verbalisant ses idées et en procédant à des recherches iconographiques. »« Les compétitions des maisons de production sont de plus en plus comparables à celles des agences,souligne également François Chilot, le patron des Producers.Tout cela prend du temps et coûte de l'argent : de 1 500 à 7 500 euros, à perte si on ne remporte pas le budget... »En plus des notes d'intention, la maison de production présente une proposition de devis. Le TV producer étudie les dossiers des maisons de production et fait son choix, en accord avec le directeur de création, les créatifs et l'annonceur. Une fois la décision arrêtée, le TV producer établit un devis, en incluant les royalties, le budget production, les coûts des copies antennes et des réserves de cassettes.« Il s'agit de budgéter les royalties au plus près,explique Ingrid Vasseur.Si on a choisi de travailler avec des réalisateurs comme Xavier Giannoli ou Sébastien Chantrel, par exemple, on sait d'emblée qu'ils vont être exigeants sur le casting et qu'ils choisiront peut-être Claude Rich ou Vincent Gallo. De même, si une musique spécifique est préconisée d'emblée par l'agence ou le réalisateur, il faut commencer à se préoccuper des droits phonographiques... »Le devis terminé, il est temps de passer à la préproduction...

2 Préproduction : ne laissez aucune place à l'imprévu

Un film réussi, c'est d'abord une préparation bien faite : aucune place ne doit être laissée à l'imprévu lors du tournage. La préproduction va prendre entre deux et trois semaines. Une équipe est mise en place autour du réalisateur. Et ça représente beaucoup de monde ! On choisit d'abord une équipe de production, pilotée par le directeur de production, qui comprend les divers techniciens ainsi que l'indispensable partenaire du réalisateur, le chef-opérateur, qui va définir l'ambiance visuelle du film, rendre la lumière vivante. Incontournable également, le régisseur général, qui se charge de toutes les autorisations légales. On fait aussi appel à un repéreur, un styliste, un décorateur, un maquilleur, un coiffeur et un directeur de casting. C'est ce dernier qui va donner une première indication visuelle sur ce que sera le film, en choisissant les acteurs, mannequins ou « gens de la rue » qui incarneront les personnages. Les briefs varient du très précis au complètement flou. Ainsi, Juliette Ménager, directrice du studio de casting Joule, s'est vu demander pour une publicité de parfum« une fille ronde comme le flacon, avec une bouche pleine ».Les références à des acteurs ou des actrices sont très nombreuses, avec des effets de mode liés bien souvent à l'actualité cinématographique. On s'en doute, les recherches de jeunes filles fragiles à laAmélie Poulainsont actuellement légion...« Il y a eu une tendance "vraie vie", où nous étions censés rechercher des Monsieur et Madame Tout-le-monde,remarque le directeur de casting Philippe Elkoubi, qui a récemment travaillé pour Calvin Klein, Mercedes ou encore Dim.La mode revient à l'onirisme et au lyrisme. On nous demande à nouveau des physiques singuliers. »Le directeur de casting va passer par des agences de comédiens spécialisées dans la publicité (Rebecca ou DI pour les plus connues), des agences de mannequins ou des agents artistiques (ArtMedia, Intertalent, etc.). Il peut aussi pratiquer des castings de rue.« Il s'agit d'interpréter le casting,explique Juliette Ménager, qui a notamment travaillé sur le dernier spot Levi's de l'agence BBH.En général, je m'efforce de choisir deux ou trois directions possibles pour donner le choix à l'agence et au réalisateur, qui soumettent la sélection au client. »Malgré les briefs et les notes d'intention du réalisateur, rien n'est figé, et certains comédiens s'imposent parfois de manière tout à fait inattendue.« Sur Crunch, on m'avait demandé une bimbo,raconte Juliette Ménager.J'ai choisi de présenter Emma de Caunes, pourtant éloignée de la demande initiale, qui a tout de suite été retenue. »

Se prémunir contre les mauvaises surprises

Le casting, le stylisme, les repérages sont validés au cours des sacro-saints PPM ou « préproduction meetings », où les différents stades de préparation sont infirmés ou validés avec l'agence et le client. Pour certains films complexes à réaliser du point de vue visuel, la maison de production aura déjà contacté des postproducteurs.« Avec l'expérience, on se rend compte que certains boards qui fonctionnent sur le papier sont irréalisables,souligne Jean-Lin Roig, directeur de clientèle chez Mikros, une maison de postproduction.Avant que le film ne commence, on établit donc une liste de recommandations que l'on fait parvenir aux équipes de production afin de s'assurer que certains éléments seront tournés et que l'on pourra effectuer les trucages par la suite. Cela évite nombre de mauvaises surprises... »Une fois les plus infimes détails réglés, il est temps de partir en tournage. Denis Leduc, directeur de production chez Plein Soleil, a fait sienne cette phrase du réalisateur René Clair :« Le film est terminé, il ne reste plus qu'à le tourner. »

3 Préproduction : moteur, on tourne

Ce n'est pas un scoop : beaucoup de films publicitaires sont aujourd'hui tournés à l'étranger. Avec une préférence pour l'Afrique du Sud, dont le climat permet de filmer des spots d'été en hiver, avec une variété de paysages hors du commun et des infrastructures perfectionnées.« Malheureusement, on délocalise de plus en plus les productions, pour des raisons économiques,explique Aram Kevorkian, directeur général de Première Heure.Les prix à Prague ont augmenté de 30 % en cinq ans. Résultat : maintenant, on va tourner en Roumanie... »

Une fois sur le lieu de tournage, tout est censé « rouler », après une préparation intensive.« Le tournage doit être une formalité,estime Aram Kevorkian.Si on avait plus de temps de préparation, on éviterait la plupart des dérapages. Mais dans 90 % des cas, tout se passe bien. »Sauf quand la météo s'en mêle : le mauvais temps peut compromettre un, voire plusieurs jours de travail. Quand on sait que, en moyenne, un tournage dure trois à quatre jours, cela peut avoir des conséquences désastreuses et faire grimper les budgets.« Certains annonceurs choisissent de prendre une assurance sur le temps, ce que l'on appelle le "weather day", mais cela ne se fait pas systématiquement,remarque Jérôme Rucki, directeur de production chez Première Heure.Ceux qui ont le plus ce souci sont les annonceurs du secteur automobile, dans lequel la qualité de la lumière est extrêmement importante. »
Si les créatifs et le TV producer sont systématiquement présents sur un tournage, le client ne s'y rend pas toujours.« Certaines agences préfèrent que le client soit là pour valider le tournage,remarque Denis Leduc, directeur de production chez Plein Soleil.Les annonceurs apprécient ce moment, c'est toujours une expérience enrichissante. Mais certains ont une politique différente : ils décident de ne pas venir pour garder un regard frais lorsqu'ils découvriront le montage. Cela leur laisse aussi la possibilité de dire qu'ils ne sont pas satisfaits... »
François Chilot, patron des Producers, s'est toujours promis de tenir un carnet de bord pour consigner ses souvenirs de tournage :« À chaque fois, il y aurait mille anecdotes à raconter,indique-t-il.Les meilleurs souvenirs de spots sont souvent des rencontres avec des cultures, des pays où l'on ne se serait pas rendu si le film ne nous y avait pas entraînés... Mais le plus incroyable, c'est l'osmose entre les différents partenaires, le fait que pendant quelques jours, vingt-cinq à trois cents personnes vivent ensemble avec le même objectif en tête. »

4 Postproduction : c'est dans la boîte !

Une fois le tournage terminé, tout est dans la boîte : il s'agit de développer les négatifs. Un film classique représente en moyenne dix boîtes de pellicule, soit cinquante minutes de rushes. Ceux-ci partent ensuite chez le monteur, qui va choisir, en accord avec le réalisateur, les meilleures prises lors du dérushage. Sur une heure trente de rushes, par exemple, on retiendra cinq à six minutes de film.« La difficulté dépend du découpage du film,explique Mario Batistell, monteur free-lance qui travaille aussi bien sur des longs métrages que pour la publicité.Les films de voiture, par exemple, sont très découpés, un peu comme un vidéo-clip. On a donc, au départ, beaucoup de rushes. Pour un film de comédie, c'est a priori plus simple. »En moyenne, le montage prend quatre à cinq jours. Il est ensuite présenté à l'annonceur et à l'agence, qui, souvent, demandent des modifications.

Le travail du son participe pour 50 % à la réussite du film

Une fois validé, le montage est expédié à une maison de postproduction. Elle va effectuer ce que l'on appelle le télécinéma : ce procédé transfère le film en vidéo. Puis, place à l'étalonnage, travail sur l'image qui permet de régler la luminosité, les contrastes... Selon la complexité du film, la maison de postproduction va ensuite réaliser des trucages.« La plupart des films, même les plus simples, sont truqués,souligne Jean-Lin Roig, directeur de clientèle chez Mikros.Il y a toujours de petits détails d'image à modifier et à nettoyer. »Les logiciels les plus connus ont pour nom Flame et Henry. L'utilisation des machines peut être assez onéreuse : une heure de Flame coûte de 450 à 900 euros... La durée de la postproduction varie selon les films entre une journée et un mois.
Le son est une partie non négligeable de la postproduction.« On dit que le travail du son représente 50 % de la réussite d'un film,précise Louis Arcellin, chez Première Heure.Le "sound design" va créer l'atmosphère sonore du film. En France, cette partie de la postproduction n'est pas toujours bien traitée, au contraire de la Grande-Bretagne notamment qui consacre beaucoup de temps et d'argent à la production son. »
Une fois le montage, le travail de l'image et du son terminés, n'oublions pas le packshot, présentation de la marque et du produit... L'image est évidemment très nettoyée, et le travail typographique est à la charge soit du directeur artistique de l'agence de publicité, soit de la postproduction qui peut faire des contre-propositions.
Le film est terminé. Il doit être envoyé au BVP, qui va l'examiner, et donner son avis dans un délai de quarante-huit heures. Attention, il a uniquement un rôle consultatif, mais si son avis est défavorable, les chaînes ne diffuseront pas le spot... Lorsque l'aval du BVP est obtenu, le TV producer réalise les copies antennes et les envoie aux chaînes de télévision. Le film va enfin être vu du grand public...