Menace sur le câble et le satellite

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C'était trop beau ! Il y a un an, le baromètre Ipsos-Stratégiesd'image des chaînes thématiques était très prometteur. Ces dernières avaient enfin obtenu les faveurs du public, de plus en plus pressé de s'abonner. Las, cette ferveur n'aura guère duré. Un an plus tard, l'arrivée annoncée de la télévision numérique terrestre (TNT) remet tout en question. La sixième vague du baromètre Ipsos-Stratégiesest formelle : le numérique terrestre jouit d'une très forte attractivité. Près des trois quarts des téléspectateurs trouvent le projet « très attractif » ou « plutôt attractif ». Plus manifeste encore, l'intérêt de ceux qui pourraient s'abonner au câble et au satellite : ils sont 87 % à trouver l'offre attractive, dont 32 % « très attractive ».« Une vraie compétition s'annonce pour capter ces futurs adeptes du numérique,considère Emmanuelle Simonet, chargée d'étude chez Ipsos Médias.En tout état de cause, les gens choisiront soit le câble-satellite, soit le numérique terrestre, pas les deux. »Plus étonnant et plus inquiétant pour les chaînes thématiques, près des deux tiers des abonnés du câble et du satellite (64 %) se disent séduits, dont 21 % « fortement ». Des scores d'autant plus inattendus que l'offre numérique terrestre reste, à ce jour, extrêmement floue.« La TNT, c'est une sorte de mirage pour le grand public. Tout nouveau, tout beau », estime Danièle Blangille, la déléguée générale de l'Association française des câblo-opérateurs.

Rapport qualité/prix en baisse

Le numérique terrestre va-t-il vampiriser le câble et le satellite?« On peut légitimement le craindre,prophétise Hervé Barbaut, directeur général adjoint d'Ipsos Médias.On ne peut pas soutenir l'idée d'un développement parallèle du câble-satellite et de la TNT. Il y aura nécessairement basculement de l'un à l'autre, dans les deux sens. »La TNT pourrait aussi attirer les déçus des chaînes de complément. Ceux-ci, justement, semblent de plus en plus nombreux, comme en témoigne la baisse de la plupart des indicateurs d'image du baromètre Ipsos-Stratégies. Si la moitié des abonnés s'avouent satisfaits des programmes, ils sont moins nombreux qu'il y a deux ans (63 %) et que l'an dernier (54 %).« Parce qu'elle se banalise, l'offre est jugée avec la même sévérité que celle des chaînes hertziennes »,analyse Emmanuelle Simonet. Ainsi, le rapport qualité/prix joue de nouveau en sa défaveur : plus de la moitié des téléspectateurs (54 % des abonnés du câble et du satellite et 45 % de ceux qui ont l'intention de s'abonner) estiment le prix prohibitif. Quant à la qualité des programmes, elle est encore considérée majoritairement inégale : 57 % fustigent par exemple l'abus des rediffusions. Enfin, l'augmentation du nombre de chaînes déroute 63 % des téléspectateurs et 45 % des abonnés de l'offre élargie. Seuls indicateurs positifs : la facilité de réception et, surtout, l'interactivité. Tout ce qui concourt à utiliser la télévision autrement (choix de programmes personnalisés, jeux interactifs, achats de produits, etc.) est plébiscité par 25 % des téléspectateurs et 31 % des abonnés du câble et du satellite.
Plus chère, moins qualitative, plus déroutante... Hervé Barbaut a beau rappeler que« les indicateurs d'image sont très étroitement liés à l'environnement publicitaire et promotionnel », la situation n'est guère encourageante. D'autant que les intentions d'abonnement s'affichent également à la baisse : seuls 18 % des Français envisagent de s'abonner aux câble et au satellite, contre 22 % il y a un an. Et parmi ceux qui n'en ont pas l'intention (61 %), la part des réticents progresse (42 % contre 30 % il y a un an). Les intentions sont aussi moins fermes que l'an passé, puisque 29 % seulement veulent s'abonner « d'ici à six mois » (- 6 points). Pour Guillaume de Posch, le directeur général adjoint de TPS,« il n'y a pas péril en la demeure ». Si, calcule-t-il, on s'en tient au pourcentage des intentions d'ici à six mois, alors« cela fait tout de même 350 000 abonnés supplémentaires, toutes plates-formes confondues ».
Il n'en reste pas moins que les traditionnels moteurs d'abonnement sont moins forts : - 9 points pour le cinéma, - 7points pour le sport et - 8 points pour l'information en continu. Seul le paiement à la séance progresse très sûrement (+ 8 points).« Tous ces indicateurs sont très inquiétants,estime Hervé Barbaut, qui y voit le signe d'une certaine saturation du marché.Les opérateurs auront sans doute du mal à recruter d'ici à la fin de l'année. »« Nous n'avons aucun signal avancé qui pourrait nous inquiéter,rétorque Thierry Schuck, directeur général de CanalSatellite.Au contraire : 75 % des Français n'ont pas encore accès au numérique. Le potentiel de croissance reste extrêmement important. »Guillaume de Posch confirme :« Sur 21 millions de foyers télé équipés, seuls 5 millions sont aujourd'hui abonnés au câble-satellite. Le potentiel existe donc. S'il y a saturation, c'est moins sur le marché que sur le nombre de chaînes. »Certes, mais la conjoncture économique actuelle ne devrait guère arranger les choses...
Dans ces conditions, on comprend mieux l'inquiétude des opérateurs privés, qui ne décolèrent pas contre le numérique terrestre. TF1 et M6, unis dans TPS, peuvent légitimement redouter que la TNT ne vienne ruiner des années d'efforts et d'investissements.« Le numérique terrestre est un danger pour les opérateurs actuels »,reconnaît Jacques Espinasse, directeur général de TPS. On comprend que la fusion entre les deux bouquets, vieux serpent de mer, redevienne d'actualité. Tous les opérateurs privés plaident pour que cette future technologie soit confiée aux opérateurs existants, non pour protéger leur monopole, mais pour que le numérique terrestre, le câble et le satellite soient complémentaires, affirme Nicolas de Tavernost.« La condition absolue du développement du numérique terrestre, c'est le choix d'un distributeur unique qui ne serait pas créé contre les acteurs du satellite mais avec eux. Sinon, personne n'ira, et le numérique hertzien sera mort-né »,résume Denis Olivennes, directeur général du groupe Canal +.
Cette bronca n'impressionne nullement le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), grand timonier de la future révolution numérique.« Certains s'inquiètent de l'arrivée de la concurrence, d'autres préparent leur candidature dans la discrétion »,souligne Yvon Le Bars, le conseiller en charge du dossier. Cela ne l'a pourtant pas empêché de reporter l'issue de son appel aux candidatures. La France, l'un des premiers pays en Europe à avoir lancé le câble et le satellite numériques, doit trouver le moyen de faire cohabiter harmonieusement deux technologies qui, pour l'heure, s'annoncent plus concurrentes que complémentaires.