L'humain c'est capital

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Les annonces quotidiennes de plans sociaux, y compris dans de grands groupes dont les résultats restent florissants, et la baisse des petites annonces sur l'emploi dans la presse au premier trimestre 2001 n'entament pas vraiment la confiance des professionnels des ressources humaines. Après trois années d'euphorie, ils ne veulent pas croire à un inversement de la tendance.«Depuis quelques mois, on sent un certain ralentissement,reconnaît Thierry Happe, président des activités communication ressources humaines du groupe Havas Advertising,mais cela ne va pas inverser le système.»La «guerre des talents», chère à Mc Kinsey, est loin d'être finie.«La pénurie de compétences reste toujours une préoccupation des entreprises,rappelle Xavier Bergès, directeur commercial du pôle ressources humaines de l'agence Publicorp.Et n'oubliez pas que les années à venir vont être marquées par le départ à la retraite de la génération du baby boom.»Pas de doute, l'optimisme reste de rigueur. Selon une enquête réalisée en février pour Bernard Hodes Group, 85% des grandes entreprises françaises affichent, pour 2001, des objectifs de recrutement au moins identiques, voire supérieurs, à l'an dernier. De son côté, l'Association pour l'emploi des cadres (Apec) prévoyait encore, le 14mars dernier, une «année 2001 faste, en dépit d'un léger ralentissement». La vraie incertitude concerne en fait la durée de cette pause. Se limitera-t-elle au «trou d'air» de trois mois enregistré début 1998 ou va-t-elle se poursuivre plus longtemps?«Le marché de l'emploi est très cyclique, il a tendance à caricaturer l'économie,explique Serge Perez, président de Mediasystem.Mais nous sommes toujours dans une période de croissance. Cette phase de digestion et d'intégration, logique après les recrutements massifs de l'an dernier, n'excédera pas quelques mois.»Une analyse partagée par Rose-Marie Ponsot, directrice du cabinet de recrutement Mercuri Urval en France, qui rappelle que l'alternance euphorie/pénurie a toujours existé dans le recrutement.«La seule nouveauté, c'est que les cycles sont désormais de plus en plus courts»,précise-t-elle.Le retour en grâce des DRHEn fait, il n'y a guère que Daniel Prin, directeur général de TMP AdComms, à faire preuve de davantage de prudence.«Le premier trimestre 2001 n'a pas du tout été bon aux États-Unis,remarque-t-il.Mon collègue de Californie a ainsi vu son activité se réduire de 50% par rapport au premier trimestre 2000, en raison du gel des recrutements décidé par les grands groupes.» De là à penser que la situation pourrait toucher la France rapidement et que le marché des petites annonces dans la presse pourrait connaître le même sort qu'en 1992 - à l'époque, elles avaient enregistré une baisse de 80% -, il y a un pas... qu'il n'est pas loin de franchir. Cette incertitude ne peut néanmoins pas masquer une évolution inéluctable: les ressources humaines se sont imposées en quelques mois comme un enjeu majeur de la croissance des entreprises. Selon une enquête de Manpower publiée le 2avril dernier, les directeurs des ressources humaines (DRH) français ressentent d'ailleurs le besoin de faire évoluer leur fonction vers de nouvelles activités, notamment la gestion des carrières, la gestion du temps de travail, le recrutement et la formation. Devant la difficulté de recruter et de fidéliser leurs salariés, ils commencent à comprendre que leur avantage concurrentiel réside dans les compétences de leur personnel, que le capital humain est tout aussi important que le capital financier et qu'il est temps de considérer leurs collaborateurs comme des clients.«Dans le rapport de force qui s'établit entre une entreprise et un candidat, ce dernier a pris l'ascendant,affirme Christophe Burgaud, directeur du département commercial du cabinet de recrutement Michael Page.Il se comporte comme un vrai consommateur par rapport à son job et considère les entreprises comme des marques qui lui permettront, ou non, de s'épanouir.»Du coup, les DRH ont retrouvé du poids auprès de leur direction générale et la communication ressources humaines est désormais partie prenante de la communication corporate au sens large.«Elle est même le principal vecteur, avec la communication financière, de la communication d'une marque»,affirme Antoine Jeandet, PDG de Bernard Hodes Group en France. Signe qui ne trompe pas, les interlocuteurs des agences ont tendance à changer: à côté du DRH, qui reste leur clé d'entrée dans une entreprise,«nous travaillons de plus en plus avec le directeur de la communication, la direction informatique, pour les gros projets Internet, voire la direction générale quand elle a compris que la gestion de ses collaborateurs était tout aussi importante que le suivi de ses clients»,souligne Éric Denaiffe, directeur général de l'agence ORC. Logiquement, les budgets moyens des campagnes ressources humaines suivent le mouvement, sauf pour la création, qui a encore du pain sur la planche pour redorer son blason.«L'image du concours de dessin nous colle à la peau,déplore Pierre-Yves Frelaux, directeur général de TBWA\Corporate.Il est pourtant rare, aujourd'hui, de voir des créatifs présenter une dizaine de projets différents. Nous nous positionnons plutôt sur le terrain de la stratégie et du conseil.»Ce n'est pas un hasard si de plus en plus d'agences demandent à être rémunérées en honoraires, et non par des commissions sur l'achat d'espace, ou si certaines enseignes parviennent à débaucher des teams créatifs dans des agences de publicité traditionnelles.«Il y a trois ans, nous n'étions que quatre à la création,précise Jean-Charles Amaudruz, directeur de la création d'ORC.Aujourd'hui, nous sommes dix-huit.»Une évangélisation à poursuivreIl faut dire que la communication RH joue sur toute la gamme des moyens utilisés dans une campagne de publicité classique: presse, télévision, affichage, radio, cinéma, événementiel, relations publiques, relations presse, Internet... On est loin de la petite annonce traditionnelle, même si«celle-ci reste en France un socle très fort»,reconnaît Bernard Ronsin, président de l'Association des conseils en communication pour l'emploi (ACCE). Dernier exemple en date, la campagne réalisée, début avril, par Connex et Onyx, deux entreprises de Vivendi Environnement. Pour recruter des conducteurs de bus et des équipiers de collecte des ordures ménagères, le groupe a choisi de mettre en place, avec l'agence RHW, une grande campagne destinée à revaloriser les métiers de proximité, en mettant l'accent sur les valeurs de l'entreprise à travers les qualités professionnelles spécifiques à chaque poste. Au programme, une présence massive en affichage (4x3, mobilier urbain et «culs» de bus) et dans la presse, mais également la distribution de dépliants dans les autobus ainsi que la mise en place d'un Numéro vert destiné à collecter les candidatures. Un dispositif complet qui sera renouvelé au mois de mai, pour la promotion de l'apprentissage et des postes cadres.«Mais attention à ne pas faire trop de promesses,prévient Thierry Happe.Il est essentiel de traduire la culture d'entreprise dans la communication pour l'emploi, mais il est tout aussi important de ne pas travestir la vérité. Sinon, la déception des nouveaux arrivants risque d'être forte.»Si cette démarche de communication globale commence réellement à faire école, il faudra du temps pour l'imposer définitivement.«Nous devons encore faire preuve de pédagogie et d'évangélisation»,reconnaissent à l'unisson agences et cabinets de recrutement.«L'aspect cyclique du métier fait que les entreprises hésitent à investir de façon pérenne dans les ressources humaines,ajoute Serge Perez.En période de pénurie de talents, elles n'ont pas le choix, il faut qu'elles séduisent leurs futurs collaborateurs. Mais qu'en sera-t-il quand elles auront moins le couteau sous la gorge?»