Les nouvelles télévisions à la pêche aux abonnés

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Était-ce trop beau? L'automne dernier, le baromètre Ipsos-Stratégiesétait formel: près de 10millions d'individus âgés de plus de quinze ans se disaient prêts à s'abonner aux chaînes thématiques du câble et du satellite. Mieux encore, ils étaient près de 2,5millions à vouloir le faire très rapidement, dans les six mois à venir. Or, la cinquième vague de ce même baromètre, dontStratégiespublie aujourd'hui les résultats, fait état d'un très net coup de frein. Ils ne sont plus que 18% à déclarer vouloir s'abonner «certainement» ou «probablement», contre 22% en septembre dernier. Plus inquiétant encore, ceux qui souhaitent s'abonner diffèrent leur décision. Il y a un an, 29% déclaraient vouloir le faire dans les six mois. En septembre 2000, ce chiffre était monté à 35%... pour retomber à 25% aujourd'hui (10% dans les trois mois et 15% dans trois à six mois). Et 70% des foyers pensent s'abonner d'ici à un an ou plus.«Ce sont les intentions les moins fermes depuis la création du baromètre»,constate Véronique Viviano, directrice du pôle télévision d'Ipsos Médias, qui y voit un véritable avertissement aux opérateurs, même si«les chiffres de l'automne sont toujours un peu euphoriques».Après la conquête, la consolidationAprès une phase de conquête, les opérateurs seraient-ils entrés dans une phase de consolidation? De fait, les courbes de recrutement des deux bouquets satellite accusent un léger ralentissement au second semestre 2000. Entre juin et décembre, TPS (1,1million d'abonnés) a ainsi enregistré 85000abonnés supplémentaires, contre 115000abonnés supplémentaires au second semestre 1999. Le fléchissement est plus significatif encore du côté de CanalSatellite (1,55million d'abonnés) avec 58000nouveaux abonnés recrutés sur les six derniers mois de l'année 2000, contre 170000 au second semestre 1999. Des chiffres que Guillaume de Posch, le directeur général adjoint en charge des programmes de TPS, tient à relativiser: selon lui, il faut tenir compte du taux de désabonnement (à peu près 10% sur les bouquets satellite et 12 à 15% environ sur le câble) et des «taux de décote», c'est-à-dire la transformation des intentions en abonnements.«Si l'on considère que la moitié des foyers qui veulent "certainement" s'abonner, soit 7% des personnes interrogées, et que 30% de foyers qui souhaitent "probablement" s'abonner, soit 11% des personnes interrogées, vont effectivement passer à l'acte, on arrive à un total, câble et satellite confondus, d'environ 150000abonnements dans les trois mois, 230000 d'ici à six mois et environ 1,5million d'ici à un an.»Ces recrutements bénéficieraient pour un tiers au câble (soit 50000foyers d'ici à trois mois, 80000 d'ici à six mois et 500000 d'ici à un an) et pour deux tiers au satellite (100000nouveaux abonnements d'ici à trois mois, 150000 d'ici à six mois, 1million d'ici à un an). Au final,«ces chiffres sont tout à fait conformes à nos prévisions»,affirme Guillaume de Posch, qui se refuse à parler de ralentissement. Sur le premier trimestre 2001, les opérateurs font d'ailleurs état de recrutements«conformes à leurs attentes».«Sur le second semestre 2000, nous avons enregistré une progression de 30% des abonnements par rapport au second semestre 1999,explique Gustavo Veinstein, responsable des relations avec les chaînes chez Noos (780000abonnés).Et le premier trimestre 2001 enregistre des abonnements supérieurs à nos objectifs. Même si les intentions d'abonnement baissent un peu, elles sont au niveau de mars 2000. Beaucoup de ceux qui ont l'intention de s'abonner vont franchir le pas.»Tout aussi optimiste, Nathalie Callabat, directrice des études de CanalSatellite, considère que le ralentissement n'est pas significatif. Mieux,«les intentions d'abonnement sont stables par rapport à mars 2000[18% certainement ou probablement], précise-t-elle.Dès lors, on ne peut parler ni de palier ni de saturation des abonnés.»Quant à l'allongement du délai probable d'abonnement, il est considéré comme modéré, donc peu inquiétant. De même, les opérateurs se déclarent peu inquiets quant aux arguments qui pourraient expliquer cette perte d'appétit pour le câble et le satellite. Et de contester le vieux frein récurrent du prix. Pourtant, pour 43% des Français et 40% de ceux qui souhaitent s'abonner, la télévision de complément reste «plutôt chère par rapport à toute l'offre de programmes». L'argument gagne en puissance parmi les abonnés: plus de la moitié estiment que l'augmentation de l'offre ne justifie pas celle des tarifs.«L'effet nouvelle technologie innovante ne joue plus,estime Véronique Viviano.Or, les Français comparent peut-être avec le téléphone ou même Internet, qui restent moins chers. C'est un avertissement récurrent depuis plusieurs mois dont les opérateurs devraient tenir compte.» «L'offre du câble et du satellite est jugée plutôt chère et non trop chère,nuance Nathalie Callabat.Et la majorité des abonnés estiment que le prix est plutôt justifié par rapport à l'offre de programmes.» «Il faut que les gens comprennent que l'on ne peut pas tout avoir gratuitement,renchérit Gustavo Veinstein.Cela prouve qu'il reste un travail à faire sur le marketing qualitatif des chaînes. Elles sont appréciées, bien notées, il n'y a aucune raison qu'elles soient bradées.»De son côté, Guillaume de Posch applique cet argument davantage au câble que pour les bouquets satellite, qui proposent un prix forfaitaire très attrayant. Autre réticence manifeste, les Français expriment une saturation face à la multiplication des programmes. Les abonnés et les non-abonnés s'accordent pour estimer que le paysage audiovisuel de complément offre «tellement de programmes que l'on s'y perd». Plus des deux tiers des Français - et le chiffre est paradoxalement supérieur chez les abonnés - estiment que la diversité de chaînes, programmes et services est «amplement suffisante». En somme, trop de programmes tuent le programme.«Mieux vaut communiquer davantage sur la pertinence des chaînes que sur leur nombre»,traduit Véronique Viviano.«Rien ne sert d'avoir une offre pléthorique,acquiesce Bruno Barbier, le directeur du marketing d'Eurosport France.Mieux vaut privilégier des chaînes très bien marketées.»À cet égard, Eurosport est exemplaire. De vague en vague, la chaîne campe en tête du palmarès des thématiques les plus connues des téléspectateurs et la plus citée par les abonnés du câble et du satellite.«Non, l'offre ne tue pas l'offre»,assène Nathalie Callabat, qui admet qu'il faut veiller à l'homogénéité de l'offre plus qu'à sa richesse.«Nous avons toujours privilégié l'exhaustivité et la variété de notre offre, afin que chacun puisse composer son menu à la carte,explique Gustavo Veinstein.Mais il est possible que nous ralentissions le mouvement d'intégration de nouvelles chaînes. C'est le marché qui décidera.»Pas question non plus pour TPS de réduire la voilure sur le choix, selon Guillaume de Posch. Sur les zones dites «rurales», qui ont largement contribué au développement de TPS, le bouquet est loin d'avoir fait le plein.«Nous n'en sommes qu'à 30% des 8 à 9millions de foyers potentiels»,estime Guillaume de Posch. TPS a l'intention très marquée de pénétrer dans les agglomérations de plus de 20000habitants qui, selon les résultats du baromètre, pèsent davantage qu'il y a un an dans les intentions d'abonnement. Un terrain sur lequel TPS entre en concurrence frontale avec le câble, dont le développement géographique se poursuit à mesure que les regroupements capitalistiques des opérateurs se multiplient. L'optimisme des opérateurs tranche donc avec les avertissements du baromètre Ipsos-Stratégieset avec les inquiétudes exprimées tant par l'Association des chaînes du câble et du satellite que par les chaînes elles-mêmes.«Il va être de plus en plus difficile de recruter. Les opérateurs doivent maintenant s'attaquer aux téléspectateurs réticents,prédit ainsi Bruno Barbier, qui pointe les taux de désabonnement préoccupants, notamment sur le câble.Les opérateurs et les chaînes elles-mêmes devront retrousser leurs manches pour proposer des produits de qualité et très fortement marketés.»Une ambition qui a un coût. Reste à savoir qui en paiera le prix.