Les agences face au développement durable

Description

Les événements se mettent au vert. Sous l'impulsion des pouvoirs publics et de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), la Coupe du monde de rugby 2007 a tenu, selon l'Ademe, à « laisser une empreinte formidable dans les esprits, mais pas sur la planète ». Ce serait même le premier événement sportif de cette envergure à réaliser son « bilan carbone ». Les organisateurs ont procédé dans les règles de l'art en évaluant les émissions de gaz à effet de serre de la compétition avant de prendre les mesures adéquates pour les revoir à la baisse. Le déplacement des personnes étant à lui seul responsable de 84 % de ces émissions, une attention particulière a été portée sur les transports. Le comité d'organisation a ainsi privilégié le rail pour le déplacement des joueurs et des délégations, ce qui ne posait guère de problème : la SNCF est l'un des principaux sponsors de la manifestation... Les efforts ont porté sur d'autres points, comme l'équipement en installations solaires de certains stades, la collecte sélective des déchets dans l'enceinte et aux abords des stades, l'utilisation de papier recyclé et d'encres à base végétale, sans oublier une campagne faisant la promotion des gestes écologiques auprès du grand public. Cette démarche a fait l'objet fin août d'une conférence de presse en présence de Jean-Louis Borloo. Le ministère de l'Écologie, du Développement et de l'Aménagement durables veut en effet montrer l'exemple. Avec un objectif affiché : généraliser cette approche à l'ensemble des événements culturels et sportifs qui sont encore peu écoresponsables, exception faite de quelques précurseurs, comme le festival breton des Vieilles Charrues.
Les efforts du ministère commencent à porter leurs fruits. Sous son impulsion, l'association Technopole a conçu en septembre la première Technoparade écologique en agissant sur plusieurs leviers : utilisation de papier recyclé, réalisation du guide Écolo cool, réduction du volume sonore des chars...
Ces efforts rejoignent ceux entrepris depuis plusieurs mois par les professionnels de la communication événementielle. En novembre 2006, l'Anaé (Association des agences de communication événementielle) a convaincu l'ensemble de la filière (traiteurs, prestataires audiovisuels, standistes, loueurs de matériels, etc.) de signer une charte engageant celle-ci dans la voie du développement durable version environnement, les autres aspects, le social et l'économique, revenant à chaque agence. Cette initiative, soutenue et cofinancée par l'Ademe, a donné lieu en juin 2007 à l'élaboration d'un Écoguide recensant les bonnes pratiques autour de dix thèmes : éclairage et sonorisation, location de vaisselle et de mobilier, gestion des sites et des lieux... Son sous-titre, « Carnet de route vers un événement écoresponsable », indique qu'il s'agit d'une démarche vertueuse appelée à s'améliorer. Le site ad hoc (www.eco-evenement.org) se veut d'ailleurs une plate-forme collaborative d'échange d'idées et de pratiques pouvant apporter de l'eau au moulin.

Des situations encore variables

Qu'en est-il sur le terrain ? Côté agences, la mobilisation est loin d'être générale, et souvent le fruit d'une sensibilité particulière d'un dirigeant. C'est le cas de Dan-Antoine Blanc-Shapira, fondateur de Sensation et utilisateur de papier recyclé depuis 1989, ou de Benoît Désveaux, directeur général du Public Système, qui a tenu à transposer à son univers des préoccupations qu'il sentait monter chez ses clients. Tous deux sont d'ailleurs à l'origine du chantier « développement durable » de l'Anaé, une initiative menée de front avec un programme interne visant à développer des comportements écologiques dans leurs agences. Ce qui passe par une multiplicité d'actions, grandes et petites : remplacement des gobelets en plastique des fontaines à eau par des verres, tri sélectif des déchets, mise à disposition de vélos pour les salariés, déplacements en métro ou partage des véhicules pour les rendez-vous d'affaires. Ces agences forment également leurs salariés à l'écoconception d'un événement. Elles utilisent des coursiers roulant en scooters électriques, enregistrent les recommandations de l'agence sur clef USB, optent pour des décors réutilisables, des invitations par courriel, des produits équitables ou de saison pour les cocktails... Leurs actions ne s'arrêtent pas là. Plusieurs agences, ainsi Chaikana, qui a lancé sa propre charte développement durable, reversent une part de leur chiffre d'affaires à Tourism for Development (TFD), une association finançant des microprojets d'aide aux populations démunies des pays visités par les entreprises. Les spécialistes en voyages d'affaires développent également des offres vertes, soit en finançant des projets environnementaux de manière à compenser les émissions en CO2 engendrées par les voyages, soit en incluant un volet humanitaire dans un programme de tourisme d'affaires, comme l'a fait Danone (lire ci-contre). « Cela peut aller d'un match de football avec les enfants d'un village à la réhabilitation d'une école, raconte Benoît Désveaux. Aujourd'hui, nous le proposons systématiquement. »
Dans les grands groupes, les situations sont variables : certaines agences, telle Publicis Events, n'ont pas entrepris de démarche particulière. Ce qui ne les empêche pas de réaliser d'ores et déjà des événements écoconçus à la demande du client, comme c'est le cas pour EDF. Young&Rubicam et sa filiale Pro Deo réalisent depuis un an un bilan carbone en partenariat avec l'Ademe, la maison mère WPP s'étant fixé pour objectif de réduire de 20 % d'ici à quatre ans ses émissions de gaz à effet de serre. Chez Auditoire, une équipe de quatre salariés vient d'être créée pour sensibiliser et former les collaborateurs. Quant à Market Place, filiale de GL Events, un prestataire technique de l'événementiel qui propose déjà des produits écoconçus (matériel recyclable et non polluant, moquettes biodégradables, etc.), le sujet est à l'ordre du jour. De là à parler de retard... « Nous ne sommes pas en retard, commente Cyril de Froissard, d'Auditoire. Quand une entreprise référence une agence, elle l'interroge certes sur sa politique de développement durable, mais ce n'est pas une demande actuelle de nos clients. »

Des événements en phase

De fait, un constat s'impose, même chez les agences particulièrement motivées : les entreprises, dans bien des cas, s'en moquent... « Quand on parle d'utiliser des ampoules LED, plus chères mais plus écologiques, mieux vaut mettre en avant leur côté moderne et branché que leur côté écologique », commente David Dantan, d'Événementis, un autre dirigeant sensible à l'environnement.
« Aujourd'hui, on marche sur des oeufs, notamment lors des compétitions, reconnaît Marc Albouy, directeur général de Pro Deo. Cela peut soulever de l'enthousiasme comme du rejet. Pour certains, on appuie là où ça fait mal, on sort de notre domaine de compétence. Cela reste bien plus facile à concevoir dans le cadre d'une relation durable et avec une entreprise investie en développement durable comme l'est Danone. »
Pas étonnant, donc, que les quelques événements écoconçus par les agences soient ceux qui sont en phase avec le contenu de l'événement lui-même ou la stratégie de l'entreprise, à l'image de la convention des 3 200 managers de Bouygues Construction portant sur la démarche de développement durable du groupe (agence Le Public Système). Pour limiter les déplacements, la manifestation était diffusée depuis le palais des Congrès de Versailles (Yvelines) vers huit sites, le tout relié par vidéotransmission continue et interactive.
« Avant, tout le monde faisait des carrés VIP dans les soirées. Aujourd'hui, c'est très mal perçu, commente Benoît Désveaux. D'ici à quelques années, il sera normal et évident de prendre un bus quand c'est possible et d'écoconcevoir un événement. » La planète ne s'en portera pas plus mal.