Le nouvel eldorado des majors du disque

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Catastrophe. En janvier dernier, lors du Midem qui se tenait à Cannes, les dirigeants du Syndicat national de l'édition phonographique (Snep) annonçaient que, pour la première fois depuis plusieurs années, les ventes de disques en France étaient à la baisse: chute de 4,9% en volume entre 1998 et 1999, et de 2,5% en chiffre d'affaires. Les techniques numériques de copies sont les premières accusées. Internet, tout d'abord, qui a développé la circulation illégale de millions de fichiers musicaux, notamment grâce au fameux format MP3. Les graveurs de CD, ensuite, qui rendent florissant le commerce de disques pirates. Inventé au début des années90, le MP3 était au départ destiné au cinéma. Depuis, le format s'est imposé comme un standard sur le Web. Il offre une excellente qualité sonore sur un fichier de taille réduite. Selon un sondage mondial d'Ipsos-Reid, 36% des internautes de plus de 25ans et 41% des 12-24ans ont déjà téléchargé un morceau musical sur le Net. En France, cette pratique est surtout utilisée par les adolescents: 31% des internautes français de 12 à 17ans avouent avoir déjà téléchargé un fichier musical. Plus grave, d'après NetValue, 8% des internautes avouant copier de la musique sur Internet reconnaissent également que leurs achats de CD ont diminué. Un problème d'autant plus important que, selon l'institut GFK, en France, 86% des 600000possesseurs de graveurs CD utilisent leur installation pour la copie.Nouvelle norme mondialeEn France, 90millions de CD vierges ont été vendus en 1999, soit 2,5fois plus qu'en 1998. Dans le monde, un CD vendu sur cinq est pirate. À ce stade, l'industrie musicale a été obligée de réagir.«Deux cents sites ont été fermés grâce à l'envoi de mises en demeure,indique Marc Guez, directeur général de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP).Une quinzaine d'autres font l'objet d'une procédure judiciaire.»Mais le problème n'est pas enrayé, notamment à cause de Napster (site d'échange des morceaux MP3). Ce site n'héberge aucun fichier pirate, mais il met en relation tous les internautes désirant s'échanger des morceaux MP3. Une véritable communauté virtuelle de pirates.«Notre métier a été touché de plein fouet car il était la proie la plus facile,observe Olivier Montfort, président de Sony Music France.Curieusement, les nouveaux business modèles ont oublié la propriété intellectuelle. Cependant, et c'est un paradoxe, l'industrie musicale a pris de l'avance sur les autres secteurs en matière de protection.»En effet, cet été devrait entrer en vigueur une nouvelle norme mondiale, le SDMI. Elle est sécurisée, et elle permet la traçabilité de l'oeuvre. Cette norme a été mise au point et acceptée en moins de deux ans par l'ensemble des acteurs de l'industrie musicale. Un délai record. D'ici à la fin de l'année, le SDMI donnera le vrai coup d'envoi au téléchargement commercial grâce à l'arrivée de nouveaux équipements. Quant aux copies de CD, un système de cryptage doit bientôt voir le jour pour être généralisé avec l'arrivée prochaine du DVD audio. Une taxation pour copie privée sonore est également d'actualité pour les nouveaux supports numériques, comme cela existe pour les cassettes audio et vidéo. L'an passé, cette dernière a rapporté 93,5millions de francs. Une taxe de un ou deux euros (6,5 à 13francs) par CD enregistrable est envisagée.«L'industrie musicale ne va pas s'arrêter du jour au lendemain en raison du piratage,grogne Pascal Nègre, président d'Universal Music France.Les beaux jours sont encore devant nous. À nous de trouver les nouveaux systèmes économiques.»Offrir une visibilité aux artistesLe téléchargement sera la première étape avant l'arrivée d'autres systèmes, comme la possibilité d'entendre ou d'envoyer un morceau musical sur son téléphone portable.«Ce type de commercialisation ne devrait représenter qu'une petite partie de notre chiffre d'affaires,ajoute Pascal Nègre.Mais l'enjeu est important pour les maisons de disques.»Les nouvelles techniques vont faire évoluer la distribution traditionnelle.«Notre métier dépend trop de la disponibilité du produit,indique Olivier Montfort.De nouveaux magasins ou points de vente vont voir le jour. Des concepts hybrides, simples et conviviaux où l'on pourra trouver un nombre important de références.»Internet ouvre également la porte à de nouveaux acteurs. La promesse de ces start-up est relativement simple: offrir une visibilité à tous les artistes ne bénéficiant pas d'un contrat avec une maison de disques. Le seul critère de sélection retenu devient la qualité technique de l'oeuvre. Les groupes bénéficient sur ces sites d'un espace pour faire leur promotion et présenter leurs productions. Quelques morceaux peuvent être téléchargés gratuitement, les autres le sont pour quelques francs. Les bénéfices sont partagés entre l'artiste et l'hébergeur.«Nous ne sommes pas producteurs,se défend Xavier Filliol, cocréateur du site Mp3.fr.Nous nous positionnons plus comme un média ou une plate-forme de découverte de nouveaux talents.»De son côté, Vitaminic présente déjà plus de 10000artistes sur l'ensemble de ses huit sites nationaux. La société annonce 2,5millions de fichiers téléchargés par mois, dont 2% payants.«Nous ouvrons de nouvelles portes pour les artistes,affirme Isabelle Veil, directrice marketing du site en France.Un jour, nous créerons peut-être un label, mais pas une maison de disques. On ne peut pas les remplacer, mais ensemble, nous sommes complémentaires.»Cette nouvelle concurrence ne fait cependant pas peur aux entreprises installées.«Notre rôle n'est pas seulement de recevoir des cassettes et de les vendre au tout venant,lâche Pascal Nègre.Par ailleurs, c'est le talent et non les millions de francs que pourront rassembler certaines entreprises qui leur permettra de se développer. Pour le moment, les personnes qui ont du talent sont chez nous.»Le Web n'est pas le seul sujet de conversation agaçant les dirigeants de l'édition musicale. Depuis quelques mois, les patrons des maisons de disques sont partis en guerre contre les radios. Le rétrécissement des «play-lists» des stations est critiqué. Certes, selon Ipsos Music, le nombre de morceaux joués par les radios est passé de 2800000 en 1998 à 2950000 l'année dernière. Mais dans le même temps, le nombre de titres différents programmés a baissé de 38000 à 32600, soit 15% de moins. Enfin, les quotas de diffusion des oeuvres francophones ont été revus le mercredi 28juin, avec l'adoption de la nouvelle loi audiovisuelle. En 1999, conformément à l'ancienne règle, les radios avaient programmé plus de 40% de chansons francophones. Désormais, les opérateurs peuvent choisir entre deux cadres de programmation pour leurs radios: soit 35% de titres francophones, dont 25% de nouveaux talents, soit 60% de titres francophones dont 10% de nouveaux talents. Une solution qui, a priori, rassemble tous les acteurs.«Ce n'est pas un problème de chiffres,explique Marc Lumbroso, président d'EMI France.Il faut simplement que nos nouveaux talents soient diffusés et que les radios arrêtent de se méfier des nouveautés.»Enfin, le dernier sujet de discorde concerne la revalorisation des droits de diffusion payés par les radios. L'an passé, ils se sont élevés à 131millions de francs. Insuffisant, jugent les maisons de disques qui veulent doubler le montant de cette perception.«Les radios reçoivent plus d'argent de notre part en tant que publicité qu'elles en paient pour les droits de retransmission», s'insurge Pascal Nègre. En 1999, les majors avaient investi plus de 600millions de francs bruts en publicité sur les radios. La musique adoucit les moeurs. Elle a également l'avantage de remplir les portefeuilles.