L'automobile désacralisée
Nous voici en Inde. Un homme, à bord d'une voiture, fonce en marche arrière dans un mur. Puis emboutit volontairement l'avant de son véhicule. Il fait ensuite s'asseoir un éléphant sur la carrosserie, avant de marteler férocement ses portières. Pulsion autodestructrice ? Non, cet homme veut juste que sa voiture ressemble à la Peugeot 206, dont il garde précieusement la photo sur lui... La nouvelle campagne internationale Peugeot, conçue par Euro RSCG MCM (Milan) et produite par la cellule en charge du budget chez Euro RSCG Worldwide, n'a pas été évidente à imposer.« Il y a eu beaucoup de discussions autour du script,racontent Didier Richard et André Cherid, membres de la direction de la communication publicitaire de Peugeot.Car en cassant une voiture, on fait aussi voler en éclats un tabou ! »Plus étonnant encore, la 206 n'apparaît que sur une page de magazine tenue par le personnage, sans les sempiternels plans ultra-léchés du véhicule.« Au lieu de la montrer, nous " icônisons " la 206,poursuivent-ils,à l'instar de ce que nous avions fait pour la 205, avec le petit garçon dans une caisse à savon. »
Dans la même veine, on se souvient du spot Fiat (agence Leo Burnett Paris), où un concessionnaire fonçait dans le mur pour montrer à un client la résistance du modèle. Ou encore des spots Volkswagen (agence Louis XIV DDB), qui démontraient par l'absurde que le diesel avait perdu sa mauvaise réputation : dans les années soixante-dix, un homme est rejeté par ses amis parce qu'il vient justement d'acheter une voiture à moteur Diesel... Leader du marché, Renault n'est pas en reste, avec sa campagne Scénic (agence Publicis Conseil) qui propose de « voir la vie autrement », en faisant découvrir un univers bucolique et loufoque, où les vaches mâchent du chewing-gum et les loups jouent à saute-mouton. Et, tout récemment, un spot pour l'Audi A4 Cabriolet (agence Louis XIV DDB) montre, en caméra subjective, un enfant qui, se sentant prisonnier dans une automobile classique, tente de s'évader en regardant un cabriolet par la fenêtre. Voilà décidément qui change des habituelles campagnes ostentatoires, très « frime » de ce genre de modèles.
Stratégie de valeurs
La perception de la voiture aurait-elle changé ? L'automobile serait-elle descendue de son piédestal ?« Dans les années quatre-vingt, l'achat d'une voiture était extrêmement statutaire,note François Michel, directeur général de TBWA\G1, la structure intégrée qui gère le budget Nissan chez TBWA.Auparavant, les hommes voulaient se prendre pour James Bond. Aujourd'hui, comme partout, le consommateur recherche plus de sens dans l'automobile. La publicité Citroën avec la voiture sur le porte-avions serait aujourd'hui complètement dépassée ! » « Les temps changent, les références aussi », constate la campagne Skoda, réalisée par l'agence V.« Il est vrai que les consommateurs sont beaucoup plus matures dans leur approche de l'automobile,souligne Christian Vince, coprésident de l'agence V. La concurrence est énorme, du coup ils sont plus exigeants, et ne sont plus sensibles au côté gadget des années quatre-vingt. »Pour Fiona Ferrier, directrice-conseil chez Ogilvy&Mather sur le budget Ford, les références ont effectivement évolué, particulièrement dans le haut de gamme.« On a tendance à évoluer vers une stratégie de valeurs davantage que vers une stratégie de volume,remarque-t-elle.On vend moins mais plus cher, en valorisant les finitions et l'équipement. Par ailleurs, le marché est beaucoup moins homogène. On peut aujourd'hui voir des grands patrons qui roulent, non pas en Jaguar, mais en Range Rover avec chauffeur... »
Pas de doute : les Français se passionnent toujours autant pour la voiture.« Il n'y a qu'à voir la vague du tuning[qui consiste à personnaliser, "customiser" sa voiture]ou l'engouement pour les courses automobiles »,remarque Christian Vince. Malgré une dégringolade de 17,7 % des immatriculations en août dernier par rapport à août 2001, le marché français avait bien résisté à la crise les mois précédents.« Le marché a tenu grâce notamment à la créativité des constructeurs,estime Yves Del Frate, coprésident d'Euro RSCG 27 (ex-Euro RSCG Works), l'agence de Citroën.On n'a jamais lancé autant de concepts automobiles ! »
La sécurité avant tout
Les Français sont certes « fans » de voitures, mais quelles sont vraiment leurs priorités d'achat ? L'observatoire Siemens de l'innovation a présenté le 17 septembre dernier un sondage réalisé par Ipsos, intitulé Les Innovations dans l'automobile : qu'attendent les Français ? La réponse est : sécurité, sécurité, sécurité ! Cette obsession est transversale à toute l'étude. À la question « Quelles sont, selon vous, les innovations automobiles que vous voudriez pouvoir utiliser dans votre voiture les dix prochaines années ? », arrivent en tête les dispositifs d'aide à la conduite (20 %), dont l'ABS (12 %) et la sécurité de l'habitacle, principalement incarnée par les Airbags (14 %). Le confort est le second levier d'achat, en particulier à travers la climatisation (18 %).« Il faut du temps pour que les consommateurs s'approprient les nouvelles technologies,remarque Xavier Guéroux, directeur du département Stratégies d'entreprise chez Ipsos.C'est pourquoi les réelles innovations technologiques restent assez minoritaires dans les réponses et concernent principalement le GPS. »Les débats actuels sur l'écologie et le développement durable ne semblent pas - pour l'instant - tracasser outre mesure les automobilistes : les attentes en matière environnementale sont assez peu citées et concernent surtout les moteurs moins polluants et les nouveaux types de carburants.
Sécurité, confort, design. Les attentes fondamentales des automobilistes ne changent pas. Et si on peut traiter la voiture avec dérision en publicité, il s'agit surtout de ne pas oublier un élément fondamental : le rêve.« L'automobile reste un secteur béni en publicité, qui attire toujours les plus grands photographes et réalisateurs,estime Yves Del Frate, d'Euro RSCG 27.La voiture ressemble de moins en moins à un véhicule austère, que l'on sort seulement pour les promenades ennuyeuses au bois de Boulogne ! »