La presse pro, valeur refuge

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Le ban et l'arrière-ban des états-majors européens de la presse spécialisée se sont succédé, ces dernières semaines, dans le bureau d'Éric Licoys, le directeur général de Vivendi Universal. Le groupe Reed Elsevier (propriétaire deStratégies), les financiers Apax Partners, BC Partners ou Paribas Affaires industrielles sont venus faire acte de candidature pour le rachat de la branche professionnelle du groupe de Jean-Marie Messier. Dans la corbeille, les titres les plus anciens et les plus puissants du secteur, commeL'Usine nouvelle,Le Moniteur,La France agricoleou01 Informatique. C'est finalement le fonds d'investissement britannique Cinven, associé à 50 % avec Apax Partners, qui a emporté la mise moyennant un chèque de 2 milliards d'euros (13,12 milliards de francs). Un montant qui donne la mesure de leur intérêt, car il représente deux fois le chiffre d'affaires de cet ensemble gigantesque et quinze à seize fois le montant de l'Ebitda, estimé à 130 millions d'euros (853 MF).« Nous avions évalué les actifs cédés à un peu plus de 2 milliards d'euros (13,12 milliards de francs),constatait alors Arnaud Frérault, analyste financier à la Société générale.Le prix convenu est plutôt bon. »

Résistance à la crise

Ce n'est pas un hasard si Cinven s'intéresse d'aussi près à la presse professionnelle et spécialisée. Le 25 juillet 2001, ce fonds d'investissement a empoché une plus-value de 290 millions d'euros (1,9 milliard de francs) en vendant le groupe IPC à Time Inc. après l'avoir acheté, trois ans plus tôt, au groupe Reed Elsevier. Si Cinven ne renouvellera peut-être pas l'opération avec le même succès, la presse professionnelle, moins concurrentielle que la presse grand public, n'en reste pas moins attractive car elle offre des capacités de résistance à la crise et des marges stables.« Dans les pires années de crise, la CEP n'est jamais descendue au-dessous de 10 % de rentabilité d'exploitation », vante Fabrice Fries, jusque-là directeur général adjoint de Vivendi Universal Publishing, qui prend la tête du nouvel ensemble. Une sécurité appréciée par les analystes.« Bien gérée, la presse professionnelle dégage un cash flow récurrent,confirme Christian Litt, directeur chez Natexis Finance.Et elle conserve un potentiel de croissance externe important. »Il faut dire qu'elle compte encore beaucoup de sociétés de taille petite ou moyenne. Fabrice Fries ne cache pas, d'ailleurs, son intention d'agrandir de 15 à 30 millions d'euros (100 à 200 MF) le périmètre du groupe, qui atteint 1 milliard d'euros (6,5 milliards de francs) de chiffre d'affaires, avant de l'introduire en Bourse.
L'évolution de la conjoncture pourrait lui donner raison. Si, comme le constate Aline Moreau, directrice presse à l'agence médias MPG Arena,« le ralentissement économique observé depuis le début de l'année s'est accentué depuis le 11 septembre, surtout dans les secteurs des services, de la banque et de la finance », la presse professionnelle semble moins touchée. Certaines familles ont certes enregistré une baisse de près de 10 % de leur pagination publicitaire, mais les éditeurs restent sereins.« Je n'ai pas vu le moindre catastrophisme,assure Philippe Clerget, président de l'Association Presse Pro et du Groupe Industrie Services Infos (VUP).Nous anticipons simplement avec sang-froid des périodes un peu plus dures. »
Difficile de brosser un tableau d'ensemble. Les magazines suivent de très près l'économie du secteur dans lequel ils interviennent.« Aujourd'hui, les activités dans lesquelles nous sommes présents (électricité, électronique, boulangerie ou éclairage) résistent mieux que d'autres : notre chiffre d'affaires publicitaire n'a pas baissé », affirme par exemple Jacques Darmon, gérant de CPI Médias qui réalise 2,29 millions d'euros (15 MF) de chiffre d'affaires dans la presse. Même analyse chez Wolters Kluwer, présent via le groupe Liaisons dans les domaines social, fiscal, assurance, santé ou transport.« Il n'y a pas eu pour l'instant d'impact notable sur notre chiffre d'affaires dans l'Hexagone, à l'exception des titres tourisme et hôtellerie », estime Jean-Marc Detailleur, membre du comité exécutif, qui table toujours sur une progression de l'activité par rapport à 2000. Au sein de Vivendi Universal Publishing,Le Moniteur,LSAouLa France agricoles'en sortent également sans dommages, selon Fabrice Fries.« Deux secteurs sont chez nous plus touchés que les autres : l'industrie avecL'Usine nouvelleet l'informatique avec le groupe Tests(01 Informatique)», précise-t-il. En 2001, Philippe Clerget s'attend à une légère érosion de son chiffre d'affaires à périmètre constant.« Mais l'année 2000 était remarquable », rappelle-t-il.
La presse médicale, en revanche, a enregistré cette année de fortes baisses de sa pagination publicitaire.« La chute de l'activité publicitaire du médicament atteint 25 % depuis janvier », constate Bruno Thomasset, directeur général du groupe Impact Médecin. Une inflexion qui ne date pas d'hier et tient d'abord à la pression croissante des gouvernements sur les dépenses de santé. Impact Médecin devrait limiter la baisse à 5 % de son chiffre d'affaires, notamment grâce à une politique offensive de diversification. De manière plus attendue, les tour- opérateurs et les assureurs ont aussi reporté leurs campagnes commerciales ou leurs offensives de recrutement dans les magazines professionnels.

Une pagination publicitaire stable à fin août

Globalement pourtant, la presse professionnelle résiste bien : fin août, sa pagination publicitaire était presque stable à - 1 %, selon Sécodip. Par comparaison, la presse magazine recule, elle, de 4 %.« Sur les budgets captifs, ces titres sont indispensables,explique Aline Moreau.Les entreprises ont besoin de communiquer vers les professionnels, peut-être même davantage en période de crise. »Les portefeuilles publicitaires sont généralement aussi plus diversifiés que ceux de la presse grand public, donc plus sûrs. Sur huit cents annonceurs dansL'Usine nouvelle, le plus lourd ne dépasse pas 2 % du chiffre d'affaires de l'hebdomadaire. La base reste donc solide mais, paradoxalement, la crise peut jouer à la marge sur les titres les plus attractifs.« La partie du chiffre d'affaires liée au hors-captif risque d'être compromise,note Aline Moreau.Lorsque le marché se contracte, les annonceurs ont tendance à aller sur les leaders plutôt qu'à élargir leurs dispositifs sur plusieurs supports. »La conjoncture va évidemment peser sur les plus fragiles : les magazines récemment lancés, et les n° 3 ou 4 sur leurs créneaux.
Plutôt préservés pour l'instant, les grands éditeurs retrouvent en tout cas les réflexes de défense rodés pendant les années de crise. Les stratégies de diversification sont plus que jamais d'actualité (lire les pages suivantes). Impact Médecin occupe la période creuse d'été avec des numéros loisirs et travaille sur de nouvelles offres éditoriales. Autour de ses titres, le groupe Usine nouvelle développe depuis l'an dernier des programmes de conférences-journées, des stages interentreprises et son offre Internet Usipass, qui vise 20 % du chiffre d'affaires du pôle Industrie-Service-Information en 2004. Pour 2002, les budgets tablent sur un chiffre d'affaires en stagnation, voire en légère baisse.« Mais on a trop tendance à comparer avec une année 2000 vraiment exceptionnelle », souligne Philippe Clerget. Les lendemains de fête sont parfois difficiles.