Internet recompose le marché de l'image

Description

Il est dans ses petits souliers, Franck Perrier. «C'est la première fois que nous faisons visiter: vous verrez, c'est encore en chantier», prévient le jeune directeur général de Corbis France. En face des anciens chais de Bercy, transformés en restaurants et en boutiques branchées, la filiale française du géant international de l'image, propriété personnelle de Bill Gates, a acquis 3400m2 de bureaux, assortis de 1000m2 supplémentaires en sous-sol. Sous quatre mètres de plafond s'imbriquent une salle de rédaction en «open space» digne duWashington Post, des dédales de couloirs et de vastes pièces pour les commerciaux, aux laboratoires photos argentiques et numériques, etc. Les nouvelles technologies sont partout. En sous-sol, la responsable de la documentation s'affaire pour accueillir le coeur nucléaire de la société: les archives de Sygma, célèbre agence photo rachetée par Corbis en juin 1999, soit pas moins de 40millions d'images rangées sur plus de sept kilomètres de rayonnages.«Diana, par exemple, occupe à elle seule 12 ou 13tiroirs», explique-t-elle. Située dans des bâtiments flam-bant neufs, cette surface impressionnante grouille encore, en cette fin octobre, d'ouvriers affairés dans la poussière de plâtre et les bruits de perceuses, moins de quinze jours avant le déménagement, prévu pour le 6novembre. Franck Perrier n'est pas fâché de quitter les locaux vétustes et encombrés de Corbis Sygma, rue Lauriston, dans le XVIe arrondissement de Paris.«Nous passons de l'artisanat à l'ère industrielle», affirme cet ancien commercial de BBDO Paris.Rester dans la courseCe déménagement - qui intervient après le regroupement de toutes les activités de Getty Images France sur un même site, en face du cinéma Le Grand Rex, dans le IXe arrondissement de Paris - symbolise la mutation en cours dans le secteur des photothèques, agences photo et autres banques d'images. Franck Perrier a gardé le meilleur pour la fin: une pièce aveugle où s'alignera une batterie de scanners dernier cri.«Le plus perfectionné numérisera 400photos à l'heure», précise-t-il. La performance n'est en rien anecdotique. Comme ses grands concurrents, Getty Images et Hachette, Franck Perrier sait qu'il s'agit là d'un atout stratégique quand l'avenir du secteur se joue en grande partie autour d'Internet.«Si nous ne faisons pas cet effort aujourd'hui, nous aurons disparu de la circulation d'ici à trois ans», résume Gilles Taquet, Pdg de la photothèque Diaf-SDP, une société française indépendante qui réalise 30millions de francs de chiffre d'affaires annuel. De nouveaux arrivants, comme la société 080 de Romain Grandadam, qui représente la photothèque nord-américaine Masterfile, démarrent d'ailleurs leur activité avec la totalité de leur catalogue en ligne. Créées sans beaucoup de moyens financiers dans les années 60 et 70 par de fortes personnalités, les grandes agences photo ont prospéré pendant vingt ans en accompagnant le développement de la presse magazine d'information et l'envolée de la publicité. Paris fut, durant toutes ces années, la capitale mondiale du photojournalisme, avec des enseignes aussi prestigieuses que Sipa, Gamma ou encore Sygma. Celles-ci sont aujourd'hui à la croisée des chemins.«Au cours des dernières années, l'histoire s'est accélérée,explique Rémi Gaston Dreyfus, Pdg de Gamma.Corbis et Getty Images ont massivement investi. Nous avons dû suivre le mouvement. Or, notre capacité d'endettement s'est révélée insuffisante.»Résultat: Gamma a été rachetée par Hachette. Et le groupe de presse finalise actuellement l'acquisition des agences Rapho et Keystone. Son activité images représente un chiffre d'affaires de 200millions de francs. Pour sa part, Sygma et ses filiales ont été reprises par Corbis, dont le chiffre d'affaires mondial est estimé à 100millions de dollars, loin derrière Getty Images et ses -presque- 250millions de dollars réalisés en 1999. Reste encore Sipa avec 60000images en ligne. Pour rester dans la course, les photothèques et les agences doivent impérativement numériser leurs fonds. Par rapport au modèle traditionnel, basé sur une livraison physique des photos, Internet apporte quatre avantages incontournables aux directeurs artistiques des agences de publicité et aux rédacteurs en chef des médias: un choix immense et instantané, un temps de recherche réduit, des délais de livraison raccourcis et une simplicité de paiement. Mais l'ampleur du chantier donne le tournis. Gamma, par exemple, compte numériser dans les deux ans entre 500000 et 700000images sur un fonds de 10millions. Chez Sygma, 800000photos sont déjà numérisées et Franck Perrier n'a pas l'intention d'en rester là. Il se refuse toutefois à dévoiler ses plans, ce type d'information étant considéré comme relevant de la stratégie de l'entreprise. Christian Leveneur, directeur général de Hafimage, le pôle images d'Hachette Filipacchi Médias, prévoit, lui, la digitalisation de 1,5 à 2millions d'images dans les trois prochaines années.Recours à l'e-commerceL'effort financier est considérable. Le coût purement technique de la numérisation de chaque image (dans une définition moyenne) oscille entre 30 et 50francs. À cela s'ajoute le plus souvent un travail parallèle d'indexation des photos. Gilles Taquet, chez Diaf-SDP, va embaucher cinq personnes pour affecter à chaque image 10 à 20mots clés, qui permettront de la retrouver dans le cadre d'une recherche multicritères. Fort heureusement pour elles, les photothèques n'ont pas l'intention de numériser la totalité de leur fonds.«Sur les 40millions d'images dont nous disposons, ne comptent vraiment que celles qui sont susceptibles de générer du chiffre d'affaires,reprend Christian Leveneur.Celles-là seulement seront numérisées.»Aucun des grands acteurs du marché français de l'image n'a accepté de dévoiler le montant de ses investissements. Pour rentabiliser leurs efforts, tous regardent dans une même direction: le commerce électronique.«La vente d'images est un modèle parfait d'e-business qui permet d'échapper à l'ensemble des contraintes logistiques», reconnaît Gilles Taquet. Mais tous ne font pas preuve d'un égal volontarisme. Alors que Getty Images incite fermement ses clients - essentiellement des agences de publicité - à acheter en ligne, Corbis et Hachette, qui travaillent surtout avec la presse, ont décidé de s'adapter simplement aux demandes de leurs clients. Lesquelles restent globalement assez limitées. Chez Sygma, la consultation en ligne représente un tiers des recherches, mais seulement 15% des ventes se réalisent en ligne.«Nos clients traditionnels n'achètent pas encore en ligne», confirme Rémi Gaston Dreyfus, le Pdg de Gamma. Getty Images, pour sa part, réalise 17% de son chiffre d'affaires européen en ligne. C'est deux fois moins que les chiffres mondiaux pour le troisième trimestre 2000, mais la firme met les bouchées doubles.«Le développement des ventes sur le Web est un axe de développement en France,indique éric Guidoin, directeur général de Getty Images dans l'Hexagone.La demande croît maintenant plus vite ici qu'aux États-Unis.»Tous s'engouffrent dans la brèche. Gamma vient d'ouvrir un site de commerce électronique, gamma-presse.com. Corbis prépare une version française de corbisimages.com pour janvier. C'est aussi la date à laquelle l'agence Stock Image mettra en ligne une version e-commerce de son site, stock-image.fr. Getty Images ouvrira son portail français, gettyimages.fr, au cours du premier semestre 2001. Ses deux marques phares, Stone et Photodisc, enrichissent leur catalogue en ligne de 2000images supplémentaires chaque mois. À plus long terme se profilent de nouvelles cibles de clientèle, notamment les PME. En attendant le grand public.