Haro sur les forfaits !

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Branle-bas de combat dans le secteur de la santé. L'augmentation des taxes gouvernementales sur les médicaments a jeté un froid sur les budgets de communication. En outre, les fusions à répétition entre les grands groupes ont contribué au mouvement de rationalisation systématique des coûts en 2001. Le nombre de médicaments en promotion s'en trouve diminué et les laboratoires inaugurent de véritables politiques d'achat marketing au niveau européen.

Abus de position dominante

La taille considérable qu'atteignent certains laboratoires par rapport au marché les fait céder à la tentation d'abuser de leur position dominante. À l'automne 2001, GlaxoSmithKline (GSK) a réuni tous ses fournisseurs pour leur demander d'imaginer des moyens de réduire leurs coûts. Novartis a préféré procéder par lettre. Après une enquête auprès des agences, le laboratoire a calculé une moyenne des prix du marché sur laquelle il demande aux agences de s'aligner. Si les petites structures cèdent parfois aux tarifs imposés, les agences adossées à de grands groupes comme DDB Ciel&Terre, Ogilvy Healthcare Group ou McCann Santé se permettent dorénavant de refuser des missions qu'elles jugent sous-évaluées, même après avoir gagné la compétition.« Nous voulons bien être partenaires en temps de crise, mais il faudrait alors que l'on pense à nous augmenter quand les cours de la Bourse flambent »,remarque Bertrand Jacquel, directeur associé de Nex&Com Santé. Plus catégorique, Michel Nakache, président France et directeur pour l'Europe du Sud d'Euro RSCG Healthcare, trouve inacceptable la répercussion des difficultés des laboratoires sur la marge des agences :« Cela fait déjà quatre ans que nous réduisons nos coûts »,souligne-t-il.

Les agences en partie responsables de leur sort

La délégation santé de l'AACC a cependant entamé des discussions avec les responsables achats et marketing de GSK, Novartis et Pharmacia afin d'optimiser la relation agence-annonceur et les coûts associés. La démarche implique une transparence dans les procédures et les tarifs, que les deux parties n'ont pas vraiment l'habitude de pratiquer. Il faut d'ailleurs voir dans ce manque de clarté l'un des freins à la réévaluation de la dimension de conseil des agences santé depuis plusieurs années. Dans les années quatre-vingt, ces dernières se réservaient une marge confortable sur la production et facturaient en contrepartie des honoraires modestes à l'année. Depuis, l'impression des supports de communication a été petit à petit récupérée par les laboratoires, qui travaillent en direct avec l'imprimeur par souci d'économie. La prestation de service des agences a donc évolué dans le sens du conseil stratégique, sans qu'il y ait pour autant de réévaluation des honoraires. La partie production ne représente plus que 20 à 50 % de la marge brute des agences.
Dans le même temps, le métier de conseil est devenu plus pointu suite aux nouvelles contraintes du marché.« Il faut trois mois pour finaliser les supports de communication, à cause de la réglementation, quand on y passait quinze jours auparavant »,explique Bertrand Jacquel, récemment élu président de la Fédération nationale de l'information médicale (Fnim). La loi impose par exemple que chaque aide de visite (une brochure de base en communication médicale) soit déposée au ministère de la Santé pour autorisation de mise sur le marché. Toutefois, ces contraintes réglementaires n'auraient sans doute jamais eu lieu d'être si l'information médicale provenant des agences avait été irréprochable...

Les annonceurs ne sont pas prêts

Pour une même communication, les agences consacrent donc plus de temps et embauchent à un plus haut niveau de compétences. D'où les velléités de la profession à passer du forfait à une rémunération au temps passé, à la manière des Arthur Andersen ou Cap Gemini.« Les laboratoires ont des exigences de plus en plus élevées, des médicaments de plus en plus techniques, qui réclament un haut niveau d'expertise, mais ils ne veulent pas payer le prix d'un cabinet de consulting »,déplore Sophie Darcet, directrice générale associée de McCann Santé. Du coup, les médecins deviennent difficiles à recruter et même à retenir en agence. Les plus demandés se mettent en free-lance pour se vendre plus cher. Difficile alors de rogner sur les honoraires. Sophie Darcet s'insurge contre les services des achats qui tentent de le faire :« On me propose de me payer vingt heures quand l'agence en a travaillé trente-cinq ! »
S'inspirant du passage progressif à la monnaie unique, McCann Santé pratique le double affichage temps passé/forfait. Même si, au bout du compte, les clients négocient selon les bonnes vieilles références forfaitaires. L'usage est, en effet, de convenir d'une base d'honoraires à l'année, auxquels s'ajoutent des forfaits pour chaque opération. L'agence Publicis Wellcare déclare s'être affranchie de ces pratiques peu adaptées à la nature de sa prestation (à 80 % du consulting). Depuis sa création il y a quatre ans, elle a constitué une grille de tarifs journaliers, qui sont majoritairement appliqués pour toute la communication en direction du corps médical (B to B). Pour Didier Brunet, directeur associé, le tarif à la page est totalement obsolète.« Un douze pages ne coûte pas nécessairement plus cher qu'un quatre pages. Nous effectuons un travail d'analyse stratégique qui se compte en journées de médecins, de planneurs stratégiques, etc. »,explique le consultant.
Mais les laboratoires sont loin d'être tous prêts à passer à la rémunération au temps passé. Ce système permettrait pourtant d'harmoniser les tarifs des agences, qu'ils sont les premiers à critiquer pour leur disparité. Dans sa démarche de rationalisation des achats, Novartis a pris les supports types de la communication santé pour convenir d'une grille de tarifs de référence avec l'AACC et l'UDA (Union des annonceurs).« Cela reste une moyenne à partir de laquelle peuvent se positionner les agences plus ou moins chères en fonction de leur offre »,explique Hervé Bonnaud. Le président de l'AACC Santé admet que cette démarche est incohérente avec le passage à un coût horaire des prestations.« Il faut bien démarrer sur une base commune »,argumente-t-il. Ce premier accord aura au moins le mérite de lever le voile sur la facturation et de mettre à jour des pratiques contre-productives de la part des laboratoires comme, par exemple, les briefs mal définis, qui multiplient les allers-retours entre l'agence et son client. Quant à la rémunération au temps passé,« on n'y sera pas avant 2003 ou 2004 »,estime Danièle Yzerman, PDG d'Ogilvy Healthcare Group. Corinne Vallet de Villeneuve, directrice marketing de Novartis Pharma, admet qu'il s'agit d'une pratique« juste », mais avoue ne pas pouvoir la pratiquer pour le moment.« Il faut que je change mon organisation pour cela. L'annonceur doit impérativement anticiper. Cela implique un changement de mentalité et de culture en interne. Agences et laboratoires doivent travailler ensemble pour y arriver, car elles peuvent nous informer sur la façon de nous améliorer. »C'est en tout cas le sens de l'histoire, car, à l'international, on raisonne déjà en taux horaire.