Comment exister en plein krach boursier

Description

J'ai compris les craintes des investisseurs et l'impact sur le cours après les événements du 11 septembre 2001 ; j'ai compris la réaction du marché en avril quand l'augmentation de capital n'a pu être réalisée ; j'ai compris également, fin juin, les inquiétudes précédant l'annonce officielle de la solution de financement des 49 % de Globeground[une société récemment rachetée alors par Penauille à la Lufthansa]. Aujourd'hui, clairement, rien ne justifie ce mouvement brutal et la baisse actuelle du cours de Bourse. »Ce communiqué, daté du 19 septembre dernier, est signé Jean-Claude Penauille. Diffusé en catastrophe suite à une demande de suspension du cours de sa société, en chute libre depuis deux jours, ce coup de sang du président de Penauille Polyservices, groupe spécialisé dans les services aux entreprises et les services aéroportuaires, coté au Premier Marché d'Euronext Paris, en dit long sur le véritable sentiment d'impuissance actuel de bon nombre de patrons face à l'irrationalité des marchés financiers. Les scandales à répétition, concernant notamment les sociétés américaines Enron et Worldcom, ainsi que les comptes plombés des Vivendi Universal et autres France Télécom sont passés par là. Une défiance généralisée plane désormais sur toutes les places financières du monde, dans une ambiance de krach boursier. Dans ce contexte, la communication financière a-t-elle encore une utilité ? Si certaines entreprises ont la tentation de se faire les plus discrètes possible, la plupart d'entre elles savent que la communication n'a, en fait, jamais été aussi essentielle. Simplement, pour éviter le naufrage, quelques règles de base sont à respecter.

Anticiper les excès du marché

Les derniers résultats de l'Eurobaromètre de la Sofres pour Société générale Asset Management etLa Vie financièrene sont pas encourageants. Alors qu'en juin dernier seulement 25 % des acteurs de la communauté financière se déclaraient pessimistes quant aux perspectives économiques en Europe, 58 % d'entre eux affichaient un moral en berne en septembre. Toute rumeur pouvant devenir catastrophique, mieux vaut suivre au plus près les attentes du marché.« Les entreprises nous demandent de plus en plus des études sur les risques d'opinion, compte tenu de la perméabilité qui existe désormais entre actionnaires, salariés, consommateurs, etc. »,constate Frédéric Chassagne, directeur du département Communication financière de Taylor Nelson Sofres. Dans la foulée, les sociétés les plus avisées prévoient des scénarios de crise. Dans le cas de fuites sur une opération financière, l'exercice s'impose, comme le souligne l'agence Cicommunication dans sa récente étude sur les nouveaux enjeux de la communication financière, menée en collaboration avec Sciences-Po Paris.« Dans ce genre de situation, les entreprises qui ont une tradition du " no comment ", quelle que soit l'opération qu'elles réalisent, s'en sortent mieux. Celles qui sont habituées à communiquer largement ne peuvent pas se permettre de ne pas commenter une fuite, au risque de mettre l'opération en danger »,note Catherine Isnard, présidente de l'agence. Voilà qui encouragera les adeptes d'une communication minimaliste, ou du moins prudente. Mais la première des anticipations, selon Jean-Yves Léger, vice-président d'Euro RSCG C&O, consiste d'abord à rester très attentif au reporting :« Plus on contrôle en amont de possibles dérapages financiers, moins on risque les désagréments des profit warnings. »

Rassurer l'interne

Le cas Michelin qui, lors d'une réunion d'analystes en septembre 1999, annonçait benoîtement à la fois des bénéfices et un plan social, reste encore dans toutes les mémoires.« Il est indispensable d'avoir le même discours quels que soient les publics auxquels l'on s'adresse. Cela paye à terme, comme l'a montré la BNP lors de son opération sur Paribas. Son message ne s'est pas limité aux seules synergies de coûts mais a souligné les complémentarités commerciales et le respect des emplois. Il a convaincu les actionnaires, notamment salariés, de Paribas de choisir son offre plutôt que celle de la Société générale, pourtant plus généreuse »,rappelle Catherine Isnard, présidente de Cicommunication. L'actionnariat salarié, justement, est une cible à privilégier pour les entreprises dans ce contexte trouble.« Le problème est qu'il y a encore très peu de réflexion au sein de l'entreprise sur le statut de cette population d'actionnaires-salariés »,indique Jean-Claude Muller, directeur général adjoint d'Altedia Communication.« Face à la méfiance générale, le seul moyen d'aborder de nouveau le sujet est d'y revenir de façon pratique, comme l'a fait Alcatel en proposant un système de stock-options à une grande partie de ses salariés »,ajoute-t-il. Une prime à la pédagogie que prône Muriel Humbertjean, directrice générale adjointe de Taylor Nelson Sofres :« Pourquoi une société comme France Télécom ne communiquerait-elle pas auprès de ses salariés à propos de l'influence des " edge funds "[fonds spéculatifs]sur sa situation financière ? Les entreprises ont tout intérêt à communiquer sur le fond, c'est un investissement à moyen terme ».

Cibler les actionnaires individuels

En période de crise, les actionnaires salariés et les actionnaires individuels en général sont souvent gages de stabilité. Mieux vaut donc les chouchouter.« Avoir 20 à 30 % d'actionnaires individuels dans son capital est une bonne chose »,remarque Caroline de la Marnierre, directrice générale de Publicis Consultants Ecocom. Avec 40 % de petits porteurs, Air liquide, connu pour le soin qu'il porte à cette catégorie d'actionnaires, dispose donc d'un confortable coussin amortisseur. Réviser ses plans médias par rapport à cette cible peut s'avérer intéressant.« Les clients nous demandent non pas tant de réduire les budgets que d'affiner le médiaplanning afin qu'il soit plus ciblé, plus concentré et plus efficace »,constate Philippe Meilhan, directeur général de Valefi (McCann-Erickson). Dans cette quête de stabilité, les gérants de fortunes ou de petits portefeuilles visant plutôt le long terme ne sont pas à négliger.« Notre client Maurel&Prom, spécialisé dans le pétrole, s'est activement engagé dans une politique de marketing boursier, privilégiant le one to one sur des places défiscalisées comme Monaco, Luxembourg ou même Bruxelles, Zurich et Édimbourg »,explique Christophe de Lylle, président de l'agence Actifin, qui a créé Finance Road Show, une cellule spécialisée dans ce domaine. Cette stratégie du one to one est à privilégier même quand l'entreprise se porte mal, note Éric Levasseur chez Actus :« Pendant les périodes difficiles, les investisseurs regardent beaucoup en prévision d'engagements futurs. Les rencontrer, les informer, peut se révéler un investissement fructueux à moyen terme. »

Revenir aux fondamentaux

« Aujourd'hui, les marchés attendent d'être rassurés sur le modèle économique et stratégique de l'entreprise. Il faut revenir aux fondamentaux, ouvrir ses usines, expliquer ses process industriels, démontrer la qualité du management, rappeler ses positions commerciales et mettre en avant ses biens incorporels (marques, parts de marché, etc.) »,conseille Jean-Yves Léger, d'Euro RSCG C&O. La communication corporate est alors utile, comme en témoigne, en dépit de la chute du marché publicitaire, la bonne tenue du titre TF1, qui bénéficie de sa bonne image financière sur le marché.« Nous passons de plus en plus de temps à préparer la présentation des résultats à nos clients,constate Caroline de la Marnierre, de Publicis Consultants Ecocom.Il faut entrer dans les détails liés à la structure financière de l'entreprise par des sujets peu abordés dans le passé, comme la nature de l'endettement, l'échéance de la dette, le cash flow et le hors-bilan. De même, il ne faut pas hésiter à évoquer les risques inhérents à l'entreprise et insister sur la croissance organique, un critère de plus en plus privilégié. »
Ainsi, dernièrement, la société Atos, qui a réalisé un gros effort de présentation de ses résultats, a vu son cours augmenter alors qu'elle présentait des chiffres plutôt moyens. À l'inverse, en dépit de résultats semestriels satisfaisants, Altran, groupe de conseil en hautes technologies, n'a pu enrayer la chute vertigineuse de son titre (- 90 % depuis janvier dernier), à cause d'une communication financière calamiteuse.« Le cours d'Altran aura du mal à se redresser car il existe un potentiel de mauvaises nouvelles supplémentaires. Or, les cours sont aujourd'hui principalement guidés par le " news flow " et non par les niveaux de valorisation »,notait récemment un analyste de CIC Securities. Dans ce contexte, Fabrice Baron, CEO de Gavin Anderson France, invite systématiquement ses clients à aborder d'eux-mêmes les sujets sensibles :« L'entreprise a tout à gagner à montrer au marché qu'elle ne se dérobe pas ».Une politique de transparence qui renvoie aussi à l'autre grande règle de la communication financière : l'anticipation.