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Il y a, désormais, deux fois plus de salariés chez Grey interactive, la filiale multimédia du groupe, qu'au sein de Grey Paris, l'enseigne publicitaire proprement dite. Cent vingt personnes et une marge brute qui a bondi, en un an, de 6 à 45millions de francs: l'évolution est impressionnante. Elle l'est d'autant plus que ce n'est pas précisément de ce côté-là qu'on attendait un tel dynamisme, Grey ayant plus la réputation d'une vieille dame à la recherche d'un deuxième souffle que d'une start-up innovante. C'est dire l'ampleur de la révolution culturelle provoquée dans le milieu publicitaire par l'arrivée des dotcoms, ces marques digitales. Michel Chevassus, le patron du cabinet de conseil en choix d'agences Vidéothèque, n'en revient toujours pas. Ce fin observateur du marché, qui s'est prêté au jeu de l'entretien croisé avec sa concurrente, Sabine Gibory (voir pages suivantes), loue l'intelligence du dirigeant de cette enseigne, Jacques Hébert, et relève que le changement intervenu chez Grey est à la fois mental et financier.Créer des structures pour le NetLe cas de cette entité n'est pas isolé, comme le prouvent les enquêtes que nous avons réalisées auprès des cinquante premières structures de communication françaises. Toutes, l'an dernier, ont, peu ou prou, négocié rapidement le virage Internet, ou sont en passe de le faire. Certaines ont carrément changé leur fusil d'épaule. Ainsi, Image Force s'est-elle rebaptisée Imageforce.com, pour draguer dotcoms et annonceurs classiques en mal de Net. BDDP France, de son côté, a créé une structure transversale, Comwebco, pour accompagner ses clients, depuis le financement des projets jusqu'aux campagnes de communication, en passant par la conception des sites. Enjoy Scher Lafarge s'est associée à un spécialiste du multimédia, Pixelpark. Hémisphère droit a quitté le giron d'Euro RSCG France pour rejoindre Europstat, un groupe qui a fait fortune dans la gestion de la relation client et le business intelligence, et se retrouve aux premières loges pour engranger les bénéfices d'Internet. Jean&Montmarin, qui a désormais en portefeuille houra.fr et monster.fr, envisage une acquisition multimédia... tout comme J. Walter Thompson ou Alice. Certains penchent pour une filialisation, quand d'autres ne jurent que par l'intégration.«En matière de nouveaux médias, je préfère racheter des compétences plutôt que des volumes d'affaires,plaide Philippe Bernard, le Pdg de Lowe Lintas&Partners (ex-Ammirati Puris Lintas).Il faut que ce soit dans l'agence, et non à l'extérieur.»Louis XIV, qui cultive les budgets de plusieurs jeunes pousses, comme nouvo.com, veut, elle aussi, intégrer des compétences multimédia. Jusqu'ici, l'agence accueillait dans ses murs une structure spécialisée, Duke. Mais elle grandit tellement vite qu'elle va devoir bientôt émigrer...Le plus dur: s'adapter à l'urgenceL'enjeu, pour les agences, n'est pas seulement de maîtriser le multimédia pour élargir la palette des services qu'elles destinent en priorité à leur clientèle classique. Aujourd'hui, il y a une autre urgence: profiter de la manne des start-up qui déferlent dans les grands médias pour se faire un nom et créer du trafic sur leur site. Les moyens d'action classiques ne déroutent pas les publicitaires. Mais l'urgence dans laquelle vit le monde Internet a modifié leurs modes d'organisation. Là où, il y a peu de temps, ils préparaient une campagne en trois mois, ils doivent aujourd'hui la livrer en trois semaines, plan médias compris. Il a fallu parer au plus pressé. Au Nouvel Eldorado, François Glorion, l'un des managers de l'enseigne, a pris les rênes d'une structure ad hoc, @n-@ff, qui intègre des spécialistes de l'achat d'espace. François Petitjean, l'un des responsables d'Euro RSCG Works, explique qu'il a fallu apprendre à travailler plus rapidement, et constituer des équipes spécialisées. Tout va très vite dans le monde Internet, et c'est parfois douloureux. Ce même François Petitjean, qui avait aidé Multimania à se bâtir une image de site iconoclaste et décalé, l'a, aujourd'hui, bien mauvaise d'avoir été remercié par ce client, qui vient de lui préférer FCB Netbrand, filiale du groupe FCB. Un nouveau tour de table chez l'annonceur aura suffi pour que son interlocuteur habituel perde la main au profit des nouveaux investisseurs. D'un coup, le publicitaire a dû tirer un trait sur 20millions de francs de budget. En aparté, de nombreux publicitaires ne cachent plus leur inquiétude face aux comportements de certaines dotcoms. Que dire des méthodes de canal+.fr, qui a d'abord retenu Young&Rubicam après compétition, avant de jeter l'ensemble de son travail et de lancer une nouvelle compétition pour choisir, in fine, de partager son budget entre deux des agences consultées, concurrentes au départ, l'américaine MVBMS Euro RSCG et Euro RSCG Works, toutes deux filiales d'Havas Advertising? Certains s'étonnent des budgets avancés par les jeunes pousses. Ainsi, aquarelle.com, qui consulte plusieurs agences, annonce un budget de 100millions de francs. Cent millions, en Europe, et sur dix-huit mois, mais surtout 100millions qu'elle n'a pas encore...«On en voit certains arriver avec des budgets colossaux,raconte un patron d'agence,mais quand on discute avec eux, ils commencent immédiatement à vouloir négocier. C'est tout juste s'ils ne voudraient pas qu'on produise des films pour rien!»Dans le climat d'euphorie actuel, ces voix discordantes sont encore peu entendues. Il faut dire que les publicitaires sont sur un petit nuage. À périmètre constant, les agences membres de l'Association des agences conseil en communication (AA- CC), qui regroupe plus de 90% du secteur, ont enregistré, l'an dernier, une croissance de leurs revenus bruts de 12%. Dans l'attente des résultats de l'année 2000, c'est le meilleur résultat de la décennie.«C'est la fin d'une période difficile, qui a occupé l'essentiel des années90,souligne Jacques Bille, vice-président délégué général de l'AACC.On retrouve la tendance des années80. Surtout, et c'est très réjouissant, pour la première fois depuis dix ans, la progression du revenu suit celle du marché. Les années précédentes ont toujours connu un décalage, la croissance du revenu étant inférieure aux investissements, ce qui révélait un problème de rémunération pour les agences. Visiblement, cette question, au moins pour cette année, paraît réglée.»Un avenir incertainEt demain?«Il est toujours difficile de faire des prévisions,reprend Jacques Bille,surtout quand il s'agit de l'avenir.»La boutade, empruntée à Pierre Dac, trahit, malgré tout, quelques incertitudes. Car, après la Coupe du monde de 1998, 1999 aura aussi été riche en éléments conjoncturels, qui ont gonflé, un peu artificiellement, l'activité publicitaire: bagarres bancaire et pétrolière, avec les OPA de BNP et Total, passage à l'an 2000, éclipse du Soleil ... La fin de cette année 2000 aura, elle aussi, son événement, et quel événement: le passage à un nouveau millénaire. Et après? Quand le secteur de l'Internet va commencer à se structurer et que huit marques sur dix vont disparaître? Il ne faudrait quand même pas que, pour les publicitaires, la vie.com vire au cauchemar.