Cet outil est de plus en plus utilisé dans les médias pour mesurer l’empreinte des campagnes de publicité. Décryptage de ses atouts et de ses limites.
- Qu’est-ce qu’une calculette carbone ?
Le terme de calculette ou calculateur carbone évoque une machine dans laquelle on entre des données sur son activité pour les convertir en équivalent CO2. C’est à peu près l’idée, avec des données très précises. À l’échelle d’une campagne de publicité en presse, l’annonceur, l’agence ou la régie prennent en compte la fabrication de la pâte à papier, l’impression, le transport vers les kiosques et les abonnés. Pour de l’affichage, il faut calculer la consommation électrique des panneaux et les déchets générés en fin de campagne. Pour le digital, on mesure le type d’appareil utilisé (un ordinateur consomme davantage qu’un téléphone portable), le mode de connexion (la 4G est plus énergivore que le wifi)… On aboutit à une empreinte carbone qui permet aux annonceurs d’identifier les postes sur lesquels ils peuvent agir. Cet outil est également utilisé dans le bâtiment, au niveau d’un chantier.
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- Qui sont les spécialistes ?
Ancien publicitaire, Jean Dagré a fondé Bilobay, cabinet spécialisé dans la décarbonation de la communication. « Le calculateur carbone est une plateforme logicielle SAS (sotfware as a service) qui regroupe l’intégralité des métiers de la communication, de l’amont (la stratégie et la création) à l’aval (la diffusion), en passant par la production (tournage, shooting photo ou création de site) », résume-t-il. La société a notamment conseillé l’assureur Maif et la néobanque Shine sur l’optimisation de leurs campagnes. Axionable, un autre acteur de référence, a créé des calculettes pour M6 et Dentsu. Des initiatives collectives existent, tel le référentiel du SRI (Syndicat des régies internet) pour la mesure de l’empreinte carbone de la diffusion des campagnes digitales, élaboré avec l’agence Sidièse et le cabinet BL évolution.
Début juin, les régies publicitaires des Echos-Le Parisien, du Monde et du Figaro ont présenté la première version d’une calculette unique, conçue avec Ekodev. « Nous sommes trois grands groupes qui se ressemblent au niveau des portefeuilles clients et de la diversification dans le digital, souligne Corinne Mrejen, directrice générale des Echos-Le Parisien, pôle partenariats. Cela avait du sens de développer un outil commun. Nous nous sommes appuyés sur les recommandations du SRI et notre mode de calcul ouvert peut être rejoint par d’autres régies. » « Nous voulions un outil facilement appropriable par les équipes pour être utilisé au quotidien », précise Pascale Luca, directrice générale adjointe chez Les Echos-Le Parisien Médias.
- En quoi est-elle différente d’un bilan carbone ?
« Le bilan carbone est une méthodologie de comptabilité carbone appliquée à une organisation entière, mise au point par l’Ademe avec Jean-Marc Jancovici au début des années 2000, rappelle Tanguy Robert, cofondateur du cabinet Sami. Mais on peut travailler sur un périmètre plus restreint comme une campagne de communication. La démarche de bilan carbone vise la réduction des émissions, la calculette est davantage dans une logique de transparence. » En toute logique, il faut réaliser son bilan carbone avant de développer une calculette. C’est le cas pour les trois régies déjà citées.
- À quelles conditions est-elle efficace ?
« Attention au gadget, il sort beaucoup de calculettes dont on ne sait pas toujours d’où viennent les données, prévient Jean Dagré de Bilobay. Les grandes marques ne peuvent pas se permettre des calculs au doigt mouillé. Il faut se tenir au courant en permanence des évolutions, par exemple le changement de mix énergétique dans un pays fournisseur. » Les cabinets de conseil doivent être des tiers de confiance indépendants, par exemple pour ne pas favoriser une diffusion digitale par rapport au papier ou inversement. Au-delà du calcul réalisé par des ingénieurs carbone, ils doivent aussi compter des consultants RSE pour aider les entreprises à améliorer leurs pratiques.
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- Comment réduire l’impact d’une campagne ?
« Sur le numérique, il existe de vrais leviers d’amélioration. En moyenne, nous faisons baisser de 21 % en six mois l’empreinte environnementale de nos clients », assure Frédérick Marchand, président de Fruggr, entreprise sociale et solidaire qui travaille pour de grands comptes comme L’Oréal, Orange et l’Ademe. En premier lieu, l’écoconception, qui permet de limiter le nombre de requêtes nécessaires pour afficher une page. « Les sites e-commerce comptent 20 % à 30 % de pages inutiles, avec moins de dix visiteurs par mois, qui ont cependant une empreinte », ajoute Frédérick Marchand. Bilobay a conseillé à la Maif de remplacer ses vidéos de communication interne par des podcasts, moins gourmands en énergie et plus percutants. Les marques peuvent jouer sur la définition et la durée des vidéos. Pour un film publicitaire, elles vont préférer un tournage en France plutôt qu’au bout du monde.
- Quid du contenu des messages ?
C’est la limite de la calculette carbone : elle ne prend pas en compte l’impact de la campagne elle-même sur les comportements de consommation. « Elle s’occupe du contenant mais pas du contenu. Pour une campagne sur un SUV, elle va calculer les tonnes de CO2 émises mais pas celles générées par les ventes de véhicules », souligne Tanguy Robert de Sami. « Cette donnée est difficile à objectiver, on sait qu’il existe des effets rebonds, par exemple Vinted favorise l’économie circulaire mais aussi la surconsommation », estime Timothée Quellard, cofondateur d’Ekodev. Après The Guardian, qui a refusé la publicité pour les énergies fossiles, les médias commencent cependant à se pencher sur cette responsabilité.