La haute juridiction avait été saisie par Reporters sans frontières devant le refus du régulateur de mettre en demeure CNews pour manquements à l'honnêteté, au pluralisme et à l'indépendance de l'information.
Un « camouflet », une « défaite pour l’Arcom » : l’avocat de Reporters sans frontières, Patrice Spinosi, a posé des mots sur la décision du Conseil d’Etat, mardi 13 février, d’enjoindre l’Arcom « de réexaminer dans un délai de six mois le respect par la chaîne CNews de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information », à la suite d’une saisine de RSF. En plus du décompte des personnalités politiques, l’Arcom devra désormais prendre en compte la participation des intervenants, « y compris les chroniqueurs, animateurs et invités » pour apprécier le respect par un média audiovisuel d’information de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance éditoriale.
Au nom de la liberté d’expression, son président, Roch-Olivier Maistre, s’était toujours opposé à prendre en considération, dans le contrôle du respect du pluralisme des courants de pensée et d’opinion sur les chaînes d’information, le temps de parole des journalistes suivant un étiquetage politique, quand bien même leurs interventions venaient manifestement en soutien d’un courant de pensée.
Le nouveau cadre posé par le Conseil d’Etat met fin pour l’Arcom, selon l’avocat, à une « approche abstraite de ses missions » et consistant à « saucissonner [son] analyse ». C’est même une décision qui « construit pour l’avenir » car elle oblige l’instance de régulation à s’assurer du contrôle du pluralisme et de l’indépendance alors qu’existe « le risque pour un média de voir sa ligne éditoriale influencée par son actionnaire principal ».
Après avoir rappelé que le démantèlement de la Fairness doctrine sous Reagan, assurant l’équilibre des points de vue, avait permis la mise en place de la chaîne Fox News et la « fragmentation de la société américaine », Christophe Deloire a mis en évidence que les Etats généraux de l’information, dont il est par ailleurs le délégué général, faisait ressortir « deux attentes très fortes » de nos concitoyens : l’indépendance de l’information et la pluralité des points de vue. « Pour mettre en œuvre ces principes prévus par la loi de 1986 sur l’audiovisuel – l’honnêteté de l’information, le pluralisme et l’indépendance – on a besoin d’un organe de régulation qui fasse son travail et qui ne se contente pas de contrôles formels ».
Pour lui, la chaîne CNews est passé d’une chaîne d’information à une « chaine d’opinion », ce qu’elle nie, et « l’Arcom ne s’est pas montré à la hauteur des enjeux ». Qualifiant la décision du Conseil d’Etat d’« historique », il a estimé que la régulation audiovisuelle allait entrer dans « une nouvelle logique systémique avec une conception renforcée du pluralisme ». Il a également précisé qu’il s’agissait d’une « décision de nature démocratique et non pas politique ». « On n’est pas en train de dire quelle ligne éditoriale serait préférable «, a-t-il ajouté.
Dans un communiqué, mardi 13 février, l’Arcom a fait savoir que la nouvelle donne renforçait sa « capacité de contrôle ». « Nous nous adaptons toujours aux décisions du Conseil d’Etat », avait rappelé son président, Roch-Olivier Maistre, le 1er février, devant l’Association des journalistes médias. Il affirmait alors qu’une nouvelle interprétation du pluralisme ferait jurisprudence, la plus haute juridiction administrative n’ayant jamais eu à se prononcer contre le décompte établi jusqu’ici.
Le régulateur a désormais six mois pour trouver un autre mode de calcul de façon interne ou en faisant appel à un partenaire extérieur. Selon l’avocat de RSF, ce peut être « un mal pour un bien », l’Arcom ayant désormais toute légitimité pour exercer un contrôle plus contraignant. Même si, laisse-t-il entendre, on peut regretter que l'ex-CSA n’ait pas eu la bonne mesure à un moment où il y a « un risque d’instrumentalisation de certains médias à des fins politiques et de désinformation ».