L’enquêteur de Mediapart est le co-auteur de la série «D’argent et de sang», produite par Curiosa, dont la deuxième saison est diffusée par Canal+.
Si Canal+ jouit d’une couverture de presse très élogieuse pour une de ses séries, elle le lui doit beaucoup. Fabrice Arfi, auteur de D’argent et de sang, un livre-enquête paru en 2018, est le co-auteur de la fiction éponyme, dont la saison 2 a démarré cette semaine. Le fruit d’une rencontre entre un journaliste d’investigation, amoureux de Scorcese, et d’un passionné de journalisme et réalisateur du film Illusions Perdues, Xavier Giannoli.
Tout est parti d’une enveloppe kraft siglée de la Préfecture de police de Paris, en 2015. À l’intérieur, un mot d’un syndicaliste policier agissant par amitié envers une famille mêlée à un détournement de la taxe carbone. « Y était joint un courrier complotiste avec des mots en majuscules et des points d’exclamation, parlant d’assassinats, de politiques en France, de Netanyahu, raconte Fabrice Arfi. J’ai mis le document de côté, il me regardait plus que je ne le regardais moi-même, jusqu’à ce que je me m’intéresse à cette histoire de quotas carbone. Ce qui m’a accroché, c’est l’intimité géographique que j’avais avec les personnages : ils venaient de Belleville où j’habite, et j’adore mon quartier. »
En tirant le fil, Fabrice Arfi se passionne pour cette arnaque à la taxe carbone où se jouent des milliards d’euros, sur fond de « capitalisme de casino », qui oppose un trader du 16e à des Tunisiens sépharades de Belleville. « L’un de mes apports est d’avoir lié l’escroquerie aux crimes de sang, rappelle-t-il, ce n’est qu’ensuite que les juges d’instruction ont mis en examen des gens pour assassinats. » En septembre, le journaliste s’est découvert menacé d’une vengeance par le biais d’une sonorisation de la cellule d’un des principaux protagonistes de l’affaire, Arnaud Mimran. Ce qui l’amènera à renoncer à suivre le procès où il passe de l’autre côté de l’enquête.
«Autodidacte permanent»
À l’époque des faits, Éric Woerth est ministre du Budget et le journaliste enquête sur l’affaire Bettencourt. Suivront d’autres révélations sur l’attentat de Karachi, l'affaire Cahuzac et surtout sur le financement par Kadhafi de la campagne de Sarkozy en 2006. A-t-il eu des réticences à voir l’adaptation diffusée par Canal+, dont s’est rendu maître Vincent Bolloré, même s’il traite alors avec Fabrice de La Patellière, alors directeur de la fiction et maître d’œuvre de la création originale à Canal ? « J’ai dit que je voulais une sorte de quitus de la part de Maxime Saada : le groupe Canal+ n’achète rien vis-à-vis de moi ou de Mediapart. On m’a dit que les choses étaient remontées et qu’elles étaient claires. » Suivront le documentaire Media Crash, en 2022, très virulent sur Vincent Bolloré ou des articles du même acabit sur le milliardaire. « C’est ce que les Québécois appellent un accommodement raisonnable », sourit-il.
Comme Edwy Plenel, président de Mediapart jusqu’en mars, Fabrice Arfi n’a pour diplôme que son bac. Le patron loue chez lui « une autodidactie permanente, où on apprend des autres ». Après deux mois dans une école privée de journalisme, il est guitariste de bar à ses heures lorsqu’il rejoint Le Figaro Lyon comme pigiste au service culture en 1999. Gérard Schmitt, un chroniqueur judiciaire, lui donne sa chance en le choisissant pour le remplacer. Mais c’est en 2007, après un chat d’Edwy Plenel, qu’il a candidaté à l’aventure Mediapart. Plus qu’un fils spirituel, le cofondateur voit en lui un frère d’armes ayant eu à surmonter dans le collectif les adversités des débuts. « Il est le meilleur de sa génération, salue-t-il, un enquêteur hors pair, d’une immense ténacité, rigoureux et d’une très grande tranquillité dans sa façon de travailler. » Ce à quoi il ajoute : « un talent de raconteur, qui sait mettre en scène avec le détail qui fait sens ».
Engagé mais pas militant
Fabrice Arfi s’étonne de son côté que les affaires des Irlandais de Vincennes et du Rainbow Warrior, révélées par Plenel, n’aient pas été portées à l’écran, en oubliant peut-être que deux films sont sortis sur le bateau de Greenpeace coulé par la DGSE – sans donner une place majeure à son mentor. De lui, il a hérité de la capacité à cumuler des enquêtes et des livres d’intérêt public avec un sens de l’engagement hostile à tout militantisme. Il voit dans la corruption un « cancer qui détruit » et peut amener à l’extrême droite. « J’aime les idées et je hais les idéologies, dit-il, je suis très attaché à être respecté pour mes informations et pas mes opinions. » Plenel le place « au cœur de sa succession » comme administrateur et membre de la direction éditoriale mais sait aussi qu’il n’est pas prêt à abandonner l’écriture et « le fait de rencontrer des gens pour avoir de bonnes infos et de bonnes histoires », comme dit Arfi.
De l’affaire Sarkozy-Kadhafi, sur laquelle il a enquêté avec Karl Laske, le journaliste de 42 ans ne comprend pas la faible couverture médiatique qu’ont suscitée les révélations de Mediapart, quand ce n’est pas l’instrumentalisation, notamment du côté de Lagardère, par la défense de Sarkozy. « On préfère la force d’un démenti à la brutalité et la sécheresse d’un fait », note-t-il. Sûr, il suivra le procès en janvier-avril 2025. « Si un ancien président est condamné avec trois ex-ministres, ce sera un petit moment de l’histoire de France. » Une histoire qui pourrait donner lieu à une série documentaire, voire de fiction, avec Mediapart.
4 septembre 1981. Naissance à Lyon.
1999. Le Figaro Lyon.
2004. 20 Minutes.
2006. Cofonde La Tribune de Lyon.
2008. Rejoint le pôle Enquêtes de Mediapart.
2013. Coauteur d'un documentaire sur l'affaire Karachi avec Jean-Christophe Klotz.
2015. Porte-parole du Collectif Informer n'est pas un délit.
2017. Co-chef du service enquête avec Michaël Hajdenberg. Publie Avec les compliments du guide, avec Karl Laske, chez Fayard.
2018. Publie D'argent et de sang, au Seuil.
2023. Première saison de la série de Xavier Giannoli.