À l’approche des fêtes, nombreuses sont les publicités de marques haut de gamme qui ont recours aux écrans digitaux. Des supports contestés pour leur empreinte et/ou leur gaspillage énergétique. Qu’en est-il ?
Début novembre, dans 25 villes de France, des militants de Greenpeace et d’autres associations ont recouvert d’affiches des écrans ou des panneaux publicitaires rétroéclairés. Leur slogan ? « Laisser ce panneau allumé quand on nous demande la sobriété, c’est absurde ». « C’est la rançon de notre visibilité et de notre puissance, nous sommes un bouc-émissaire facile car visible par tous », constate Caroline Mériaux, directrice du marketing et de la communication de Clear Channel. « On est un totem à abattre, renchérit Alban Duron, directeur marketing chez JCDecaux, on est ancré localement, donc proches et visibles, et on pense qu’on peut soutenir un modèle de croissance décarboné. »
À l’approche des fêtes, les écrans digitaux sont d’autant plus montrés du doigt qu’ils véhiculent souvent une consommation synonyme de luxe, donc d’inégalités. Dans les aéroports, rappelle Alban Duron, il existe par exemple une très grande affinité entre les marques haut de gamme et un environnement premium (83% des passagers y trouvant l’expérience agréable, selon Airport Performance Tracker). Et cela ne pourra que se renforcer avec « Extime », le nouveau label d’accompagnement des voyageurs déployé par ADP sur le terminal 2G de CDG1. Même chose chez Clear Channel où les mobiliers urbains d’information de Paris, les écrans installés dans les centres commerciaux (Sephora Champs-Elysées, Westfield Les 4 temps de La Défense) ou la vingtaine d’écrans géants de 250 m2 sont des réceptacles naturels des annonceurs du luxe en décembre.
Nicolas Nace, chargé de la transition énergétique à Greenpeace France, rappelle que son association n’a pas de position tranchée visant à interdire la publicité, excepté des énergies fossiles. Mais il s’agit, dit-il, de combattre un « sentiment d’injustice » du fait de panneaux digitaux « en forte progression, qui consomment le plus d’énergie et qui ont un impact environnemental, que ce soit en termes de pollution lumineuse, pour le cerveau des enfants et du fait des matériaux utilisés en provenance de pays étrangers ».
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Surtout, c’est la concomitance de ces écrans DOOH avec les mesures de sobriété demandées par le gouvernement qui provoque l’incompréhension : « C’est une question de répartition, ajoute-t-il, on est en pleine crise énergétique qui va durer, on demande de faire des efforts et on laisse en parallèle des écrans allumés qui consomment énormément ». D’après l’ONG, ce ne sont pas les ampoules ou même les écrans LED qui sont la solution : elle se dit favorable si ce n’est à une interdiction des panneaux digitaux, au moins à un moratoire pour les éteindre en hiver en période de pénurie d’électricité et de gaz. Vingt mille écrans seraient concernés.
Le gouvernement, il est vrai, a un peu ouvert une brèche avec ses décrets [lire encadré]. « La France est le seul pays du monde où le digital est contesté », regrette Stéphane Dottelonde, président de l’Union de la publicité extérieure. « De symbole, on est passé à bouc-émissaire », observe-t-il. L’affichage a pourtant son plan de sobriété, prévoyant -10% de consommation électrique en deux ans, et une baisse des émissions de CO2 à -20% en 2025 et -48% en 2050. « On est une des rares professions à présenter une trajectoire en baisse, poursuit-il, nous avons des contrats climat avec le ministère de l’Environnement, des bilans annuels devant l’Arcom, et, depuis mars 2022, le seul calculateur d’empreinte carbone mis en ligne et accessible à tous. » Une étude KPMG a en outre montré que les écrans DOOH représentaient 0,1% des dépenses d’énergie des technologies de l’information et de la communication, soit quatre fois moins qu’une publicité sur un écran personnel, et 0,025% de la consommation électrique.
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Cet impact « infinitésimal » convaincra-t-il les annonceurs sensibles à leur RSE ? L’approche de Mediatransports avec la SNCF est en tout cas intéressante car elle assure qu’en remplaçant 12 000 mobiliers urbains dans les gares par 3 000 écrans, la régie baisse de 45% ses émissions carbone dans l’analyse du cycle de vie et 71% ses consommations électriques. « Cela doit se faire entre le 1er janvier 2022 et fin 2031, mais en réalité, tout sera posé en 2025 », souligne Alexandra Lafay, directrice développement durable & communication de Mediatransports. Mais Greenpeace est convaincue que cela reste l’exception et que le digital se surajoute aux panneaux print. Pour la RATP, où les écrans s’invitent peu à peu, l’objectif est pour 2026 avec -17 % d’émissions de CO2 et -35 % pour l’électricité. Selon Alexandra Lafay, les écrans digitaux sont aujourd’hui moitié moins gourmands en énergie et on fait l’économie de l’impact environnemental du papier (impression, livraisons…). Ce qui n'empêche pas la régie de souscrire à l’effort de sobriété en baissant de 20 % l’éclairage de ses panneaux lumineux (-10 % en électricité) quand Clear Channel éteint ses écrans dès minuit et même dès 23h45 à Paris (avec la tour Eiffel).
Lénaïc Pineau, directrice du développement durable chez JCDecaux, rappelle que son groupe n’a pas attendu 2022 pour se soucier d’environnement : « Entre 2014 et 2021, on a réduit de 80 % nos émissions de gaz à effet de serre sur les scope 1 et 2 (émissions liées à l’entreprise) », dit-elle. La frugalité est pour JCDecaux « au cœur de son business model » avec la récupération des eaux de pluie le reconditionnement sur ses mobiliers. Et ses besoins d’électricité sont couverts par du renouvelable, avec achat de certificats verts si besoin pour « plusieurs millions d’euros » si les mandants n’ont pas un mix énergétique satisfaisant.
Mais la directrice insiste aussi sur les services aux collectivités, les mobilités douces, les abris voyageurs, l’aide à la rénovation du patrimoine que permet aussi l’affichage digital. « On pâtit de la mauvaise connaissance du média qui a un rôle sociétal et environnemental, confirme Caroline Mériaux, c’est le seul qui redistribue 50 % de son CA pub et de son temps de parole aux collectivités ». Il peut sensibiliser au « mieux consommer » ou à la protection de la nature comme Clear Channel grâce à son partenariat avec Brut Nature. « Nous pouvons changer les imaginaires, il ne faut pas le sous-estimer », ajoute Caroline Mériaux, qui souligne qu’avec 2000 écrans, l’afficheur touche 18 millions de foyers.
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Les décrets d’octobre sur la sobriété
Deux décrets sur la sobriété sont parus les 6 et 17 octobre. Le premier prévoit l’extinction des écrans visibles dans la rue entre 1h et 6h du matin dans les sept villes de plus de 800 000 habitants, avec mise en conformité au 1er juin pour le mobilier urbain. Seules exceptions, les aéroports, gares, stations de métro, bus où tramway pendant leurs heures de fonctionnement. Le second prévoit qu’en cas de forte tension sur le réseau électrique, les publicités lumineuses devront être éteintes à distance, ce qui suppose d’équiper les dispositifs en conséquence.