Audiovisuel
De BFM à Territoires TV en passant par France 3, les initiatives se multiplient en régions sur le marché de la télévision. En ligne de mire, les annonceurs nationaux si difficiles à capter, mais aussi un intérêt des citoyens pour le local renforcé par la crise sanitaire.

À chaque lancement, c’est la même ébullition. Après Paris fin 2016, Lyon en 2019, Lille et la Côte d’Opale il y a tout juste un an, BFM donnera le coup d’envoi de sa nouvelle chaîne locale, BFM DICI, le 9 mars. Celle-ci couvrira les Alpes de Haute-Provence et les Hautes-Alpes, et fait suite au rachat par le groupe Altice de DICI TV. Suivra le sud-est de la France, de Marseille à Nice, avec l’acquisition d’Azur TV, qui doit encore recevoir le feu vert du CSA. « Nous sommes convaincus que l’information de proximité est l’info de demain, martèle Hervé Beroud, directeur général délégué d’Altice Media. L’info locale est vitale pour les citoyens, d’où notre modèle éditorial nouveau de chaînes d’info en continu en local. Mais la rentabilité doit faire partie du modèle. Les chaînes locales ont trop souvent perdu de l’argent. »

C’est bien là la faille de nombre de projets en télévision locale. « Nous sommes très forts localement mais économiquement, ça reste compliqué. Les déficits d’exploitation s’accumulent, c’est le paradoxe », explique Dominique Renauld, coprésident du syndicat Locales TV et directeur général de ViàVosges. Selon le dernier bilan financier des chaînes locales hertiziennes du CSA, les chaînes locales ont cumulé 11 millions d'euros de recettes publicitaires en 2018, soit 17% de leur budget. À elle seule, la publicité nationale représenterait entre 1,2 et 1,5 million d'euros par an. Faute de rentabilité, plusieurs groupes de presse quotidienne régionale (PQR) ont quitté ce marché, comme Ouest France et La Montagne. D’autres chaînes ont fermé. « Les chaînes locales ont besoin de projets qui rassemblent pour aller chercher la publicité nationale. C’est ce qu’a bien compris Alain Weill avec BFM : le local ne peut tenir que par un réseau », insiste Dominique Renauld.

Des moyens mutualisés

Cette idée de réseau était au cœur du projet Vià, porté par Christophe Musset et Bruno Ledoux, et lancé à la rentrée 2018 avec une vingtaine de chaînes. Marque unique, programmes communs, une même régie publicitaire, RTR : l’objectif était à terme d’atteindre 1% de part d’audience au cumulé pour peser sur le marché publicitaire national, comme les radios indépendantes ont réussi à le faire avec le GIE Les Indés Radios. Fin 2019, Vià Groupe se rapproche de BFM, avant que le groupe Altice ne se retire un an plus tard. Aujourd’hui, Vià Groupe est en redressement judiciaire et les deux têtes de ponts du réseau, ViàOccitanie et ViàGrandParis, sont en vente. « C’était la première fois qu’il y avait un projet de réseau avec des moyens », estime Dominique Renauld. « Vià a eu ce mérite de mettre au centre de la table le fait de travailler ensemble », renchérit Fabrice Schlosser, l’autre coprésident du syndicat Locales TV et directeur de Canal 32, chaîne locale de Troyes.

BFM ne compte pas s’arrêter à cinq chaînes locales. Avec ses déclinaisons Paris, Lyon, Lille et Grand Littoral, elle touche déjà 2,7 millions de téléspectateurs par semaine, selon Médiamétrie. Pour résoudre l’équation économique, le groupe Altice mise sur une marque qui a déjà largement fait ses preuves auprès des téléspectateurs et des annonceurs ainsi que sur des moyens mutualisés avec les antennes nationales, que ce soit pour l’habillage, la météo ou le sport. À terme, BFM vise un réseau de huit à dix chaînes. « Nous voulons occuper les plus grandes régions françaises, mais cela suppose des fréquences existantes et des patrons vendeurs. Nous avançons au gré des opportunités », indique Hervé Beroud, qui parle de « plusieurs discussions en cours ». Pour grossir, le groupe devra surmonter un obstacle de taille : le seuil anti-concentration, qui limite à 12 millions d’habitants, hors Île-de-France, la population qu’une chaîne locale peut couvrir. Celui-ci sera atteint avec l’intégration d’Azur TV. Altice espère obtenir une révision de ce seuil, s’appuyant sur le fait qu’elle dispose d’un réseau de chaînes locales et non d’une seule et même chaîne. S’il ne l’obtient pas, il lui faudra réviser ses plans et passer par des partenariats.

PQR vs BFM

Face aux appétits de BFM en région, la PQR s’active. Les quatre groupes qui détiennent encore des chaînes locales – Le Télégramme, Sud Ouest, La Voix du Nord et La Nouvelle République du Centre-Ouest – ont créé une société commune, Territoires TV, dont l’objectif est de développer des projets tant sur le plan éditorial que commercial. Le 29 mars, une première émission commune sera lancée, Extra-Locale, sur la politique, diffusée chaque semaine sur les sept chaînes qu’ils totalisent, sur leur site internet ainsi qu’auprès de médias partenaires. Des discussions avec Public Sénat n’ont pour l’instant pas abouti. Également en projet, une émission culinaire, Tous des chefs, prévue pour le printemps, un programme autour du made in France, attendu au second semestre, et en 2022 une émission autour de la mobilité et une autre sur la santé. Un programme quotidien d’actualité pourrait aussi être lancé à la rentrée, de même qu’une plateforme digitale Territoires TV. « L’éruption du numérique et du multicanal a fait exploser les audiences TV avec des programmes désormais découpés et diffusés sur les réseaux sociaux. La délinéarisation nous aide beaucoup », explique Patrick Venries, directeur général de Sud Ouest et président de Territoires TV. Déjà, les deux chaînes de Sud Ouest, TV7 et TVPI, rapportent 12 à 13 millions d’euros par an, sur un chiffre d’affaires du groupe de 180 millions. « C’est une diversification qui compte », assure le directeur général. Au Télégramme, 10 % à 15 % des audiences numériques se font aujourd’hui sur la vidéo, pour moitié issue des deux chaînes locales du groupe, Tébéo et Tébésud.

L’intérêt de cette alliance est aussi commercial, avec le lancement de la régie 366#TV, détenue à 50% par Territoires TV et à 50% par 366, la régie nationale de la PQR (lire p.18). Elle succède en quelque sorte à la régie RTR, qui commercialisait jusque-là une trentaine de chaînes locales, dont celles de la PQR, et qui a été liquidée début février suite à l’échec du réseau Vià. « Nous créons les conditions de la commercialisation de la vidéo. Nous ne voulons pas laisser ce marché à d’autres au prétexte que nous sommes des journaux », s’emporte Patrick Venries. Des discussions sont en cours pour que 366#TV commercialise aussi les espaces d’autres chaînes locales ainsi que l’inventaire vidéo d’autres titres de PQR. Du côté de la régie de BFM, Next Media Solutions, la porte n’est pas non plus fermée à des prises en régie de télés locales. Des annonces sont attendues dans les semaines qui viennent dans le but d’augmenter le maillage local de la régie. « Nous avons un sujet de contexte, nous n’avons pas vocation à faire entrer une dizaine de chaînes », tempère Raphaël Porte, son directeur général.

La publicité segmentée, une nouvelle donne

Cette montée en puissance des régies en région intervient alors même que vient d’être autorisée la publicité segmentée, qui permet notamment aux chaînes nationales de proposer aux annonceurs de faire de la géolocalisation en télévision. « La publicité segmentée et les TV locales ne rendent pas le même service et n’ont pas le même ticket d’entrée », estime Raphaël Porte chez Next Media Solutions. « Les possibilités de ciblage par la data avantagent la TV segmentée mais le cadre légal favorise la TV locale, puisque l’annonceur peut y mettre l’adresse de son point de vente », souligne Dorothée Caulier, directrice générale du groupe CoSpirit MediaTrack. « Les chaînes locales pourront venir en complément de plan en TV segmentée, pour un renfort local », estime de son côté Philippe Bigot, responsable du département vidéo chez Havas Media France. Autre sujet, celui de la mesure d’audience, réalisée par Médiamétrie sur un rythme semestriel voire annuel. « La mesure sera un frein si elle ne s’améliore pas pour les chaînes locales », avance Dorothée Caulier.

Ces prochains mois, il faudra aussi de plus en plus compter sur France 3, engagée dans un plan de régionalisation. « Le modèle de France 3 va être inversé pour arriver à treize chaînes régionales avec un décrochage national », résume François Desnoyers, directeur du réseau régional. Depuis deux ans déjà, certaines antennes régionales (13 actuellement, 24 d’ici la fin de l’année) diffusent une matinale commune avec France Bleu, au nom des synergies voulues par le gouvernement au sein de l’audiovisuel public. Depuis fin janvier, le décrochage régional du soir a aussi été avancé à 18h30, avec un nouveau rendez-vous d’information davantage magazine, décliné sur treize éditions. Le sport régional va aussi prendre une place plus grande à l’avenir, avec par exemple le 28 mars un dimanche sportif, qui concernera sept régions. « À terme, France 3 ne sera pas une chaîne d’information de plus. La coloration régionale touchera aussi l’info service et le débat citoyen au sens large. De plus, nous couvrons des régions où les villes sont beaucoup plus petites, c’est notre mission », rappelle François Desnoyers. Pour que la télé locale ne soit pas seulement la télé des grandes villes.

Avis d'experte

« Des chaînes actrices de la vie locale »

Céline Ségur, maitresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine

« Les chaînes locales répondent au besoin des habitants d’information de proximité, elles sont avant tout regardées pour ça. Les téléspectateurs attendent aussi d’elles qu’elles soient actrices de la vie locale, qu’elles valorisent les initiatives sur le territoire. À côté du “spectacularisme” souvent reproché aux chaînes nationales, les habitants veulent un média ancré dans la réalité, qui mette à l’honneur ce qu’il se passe, ce qui fonctionne bien, avec un ton positif. Il y a aussi une attente d’interactivité sur le terrain : les téléspectateurs veulent participer aux émissions et pouvoir identifier ce qu’ils voient à l’écran. Les télés locales sont vues comme accessibles. »

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