Le Syndicat national de la presse quotidienne appelle le gouvernement à ne pas autoriser les secteurs du cinéma, de l’édition et l’ensemble de la distribution à la publicité TV. Comptez-vous mettre le lobbying du Monde au service de cette cause ?
J’ai été actif, en tant que président de la coopérative des quotidiens pour reconstruire un modèle économique pérenne pour Presstalis, notamment à travers le choix de sa nouvelle directrice générale Michèle Benbunan, venue de Hachette Livre. Mais Le Monde n’a pas vocation à être un outil de lobbying pour qui que ce soit. IL y a un phénomène de vases communicants et des intérêts contradictoires entre ceux qui ont accès à ces budgets publicitaires et ceux qui veulent y avoir accès. Il est vrai que Le Monde, Télérama et L’Obs sont des supports dont sont friands les éditeurs et les grands acteurs culturels.
Quels seront les résultats financiers du groupe Le Monde en 2017
En 2016, il y a eu un cash flow de 12 millions d’euros, un résultat d’exploitation positif de 6,9 millions d’euros et un résultat net de 100 000 euros avant impôts, ce qui a donné lieu au versement d’un intéressement. Ce sont là des signes que les choses s’améliorent. On a assaini le bilan avec une augmentation de capital de 30 millions d’euros souscrite par nos actionnaires. Nous avons eu aussi une renégociation des emprunts avec nos partenaires bancaires qui a acté que le groupe avait retrouvé un modèle économique. En 2017, nous aurons un cash-flow opérationnel, un résultat d’exploitation et un résultat net en progression. Notre cash flow opérationnel devrait approcher les 15 millions d’euros en 2017.
À quoi devez-vous cette rentabilité ?
D’abord à la solidité de notre activité magazine. Télérama, Courrier international, La Vie et Le Monde diplomatique ont des résultats très performants : +8 millions d’euros pour Télérama en 2016 et +2,5 millions pour Le Monde diplo. Lemonde.fr, isolément, est l’activité la plus rentable. Le site dégage plus de 18 millions d’euros. On devrait finir l’année à 160 000 abonnés purement numériques contre 25 000 en 2010. Nous regardons très attentivement tous les matins l’évolution nette de notre portefeuille d’abonnés numériques. Cela récompense les investissements faits dans la rédaction - il y a 423 journalistes au Monde contre 310 en 2010 - car la meilleure source de recrutement sont les contenus exclusifs ! Enfin, les ventes au numéro du quotidien ont tenu mieux que ce qu’on pensait en cette année électorale.
Vous attendez-vous à ce que les Paradise Papers soient un vecteur d’abonnements ?
Ce type d’opération qui met en valeur des contenus exclusifs fruit d’un travail de longue haleine de la rédaction du Monde est le meilleur vecteur de recrutement des abonnés du Monde. Ainsi le premier jour de publication des Paradise Papers s’est traduit pour nous par un triplement de nos recrutement d’abonnés digitaux, à comparer avec un rythme de recrutement déjà très élevé !
Vous n’êtes présent ni sur Instant articles de Facebook ni sur Google AMP ni sur SFR Presse ni dans les kiosques de Bouygues ou Orange. Pourquoi?
Notre première décision après le rachat du Groupe a été de ne pas participer au kiosque e-presse qui nous est apparu être une usine à gaz où les responsabilités sont diluées et les investissements trop importants. Sept ans plus tard, nous sommes à la fois l’un des rares groupes de presse à n’être présent sur aucun kiosque numérique mais aussi celui avec le portefeuille d’abonnés numériques, le panier moyen et le taux de croissance le plus important. Pour les abonnés des opérateurs télécoms, il est évident que ces journaux sont gratuits. Le jour où l’éditeur verra sa rémunération baisser du fait d’une stricte application de la réglementation fiscale, cet éditeur devra convaincre les abonnés de l’opérateur de payer. C’est risqué et court termiste.
Mais quand on entend Alain Weill dire que SFR va distribuer 50 millions d’euros aux éditeurs, on ne se dit pas qu’on est passé à côté de recettes ?
Non, car je perdrais une relation directe avec mon abonné. Un des actifs qu’on a, c’est la qualité de notre relation et la capacité de s’adresser directement à lui. Quand je lis que le kiosque SFR est utilisé par 150 000 personnes par jour et que je constate que nous atteindrons 160 000 abonnés digitaux à la fin de l’année, j’ai tendance à penser que j’ai raison. (dernière phrase supprimée car pas compréhensible à mon avis)
Et sur les formats AMP de Google et Instant articles ?
Sur ces formats qui ont tendance à diluer la singularité de nos marques, notre régie aurait une capacité très faible à monétiser les contenus. A l’étranger, la tendance est d’ailleurs plutôt de sortir d’Instant Article qui a permis d’augmenter l’audience mais pas la monétisation. Pour autant, on a retenu la solution d’ad serving de Google et on travaille avec Facebook sur la vidéo ou le développement de notre portefeuille d’abonnés à travers le ciblage des offres vers des consommateurs. On sait être opportuniste et agile mais on ne veut pas s’installer dans une relation de dépendance sur le plan publicitaire.
Les agences médias et les annonceurs tiennent-t-ils suffisamment compte des fake news sur les plateformes ?
Il y a eu une mode avec des annonceurs qui sont allés massivement chez les Gafa au détriment des médias. Ce qu’on découvre aujourd’hui avec leurs publicités publiés dans des contextes compliqués ou de fake news va se traduire par un effet de balancier, peut-être mineur mais réel, vers les médias à l’audience plus qualitative. C’est pour répondre à ce besoin de puissance mais aussi cette exigence de qualité que nous avons créé Skyline avec Le Figaro pour désintermédier la vente de nos espaces numériques et offrir une forte qualité d’audience. L’impératif de brand safety est d’autant plus forte que nous avons des abonnés numériques qui demandent une publicité moins intrusive et plus qualitative. Avec Skyline, nous avons 1 million d’euros le premier mois, dont 40% de nouveau business.
«À nous d'inventer une écriture de l'image»
L’expérience du Monde sur le service Discover de Snapchat est-elle concluante ?
Snapchat nous permet de toucher une audience chaque jour de 500 000 à 1 million de personnes. On a pu recruter en septembre pour Le Monde.fr deux fois plus que lors des précédentes campagnes de recrutement auprès des jeunes. C’est pour nous une des traduction de notre présence sur Snapchat qui est une petite activité rentable mais, en R&D c’est une de nos expériences les plus probantes.
Orange sort de son métier en allant dans la banque. Un éditeur doit-il s'arrêter à ses frontières ? Le digital ne l'incite-t-il pas à les dépasser ?
Notre métier premier est de produire des contenus indépendants et de qualité. Avec Jérôme Fenoglio, nous sommes très vigilants à ce que nos pistes de diversification ne remettent pas en cause cette fonction essentielle. Si je développais demain des produits financiers siglés Le Monde, j'altérerais la relation de confiance avec nos lecteurs. En termes de diversification, l'un de nos axes est la francophonie avec Le Monde Afrique qui touche 7 millions de lecteurs et réalise des conférences à Paris, Dakar et Abidjan. Une autre piste porte sur les événements : Le Monde Festival qui aura une édition canadienne en 2018, Télérama Dialogues... Enfin, nous avons recruté Emmanuel Davidenkoff pour porter nos développements autour de l'éducation : des salons, des pages, des cahiers. On est une marque légitime auprès des parents, des étudiants, des professeurs.
Et pour ce qui est de la croissance externe?
C’est une réflexion permanente. Nous avons réservé un étage dans notre futur immeuble dans cette perspective.
Où en êtes-vous de ce projet ?
Fin 2016, nous avons signé un crédit-bail permettant de financer notre projet immobilier. Cela devrait se traduire au deuxième trimestre 2019 par l’installation des équipes du groupe près de la gare d’Austerlitz dans un ensemble de 23 000 m2 conçu par le cabinet Snohetta. Le budget global est de 190 millions d’euros. Rappelons nous que les premières graves difficultés du Monde se sont traduites il y a trente ans par la vente de l'immeuble du boulevard des Italiens. Le fait que Le Monde redevienne propriétaire de son immeuble est aussi le signe d'un rétablissement financier.
Y aura-t-il des rapprochements de titres, des synergies ?
On veillera à préserver l’identité de nos titres qui tient beaucoup à la singularité de chacune de nos rédactions. Il n’est pas envisagé de rapprocher une rédaction d’une autre. Au contraire, on va veiller à ce que chacune soit dans un espace dédié. Pour les autres rapprochements métiers – abonnements, comptabilité, régie etc. – c’est déjà le cas.
Y aura-t-il des studios TV et cela préfigure-t-il la naissance d’une chaîne vidéo d’informations ?
Oui, il y aura des studios TV car nous pensons que l’écriture audiovisuelle est un axe important de notre développement. Mais je ne suis pas sûr que cela passe par des formats en continu. On est conscients que des budgets publicitaires migrent sur les vidéos numériques et que les nouvelles générations s’informent plus par la vidéo que par le texte. A nous d’inventer pour chacune des marques du groupe une écriture de l’image. On le fait avec Discover de Snapchat où la moitié de l’équipe est constituée de motion designers.
«L'actionnariat de l'un n'est pas forcément l'actionnariat de l'autre»
Le fait d'avoir de plus en plus d'abonnés numériques vous incite-t-il à avoir plus de contenus spécifiques pour ces abonnés et à vous adresser moins au grand public ?
Cela change mais le site gratuit a plus que jamais vocation à être la principale façon pour nos futurs abonnés de découvrir les contenus. On n’a donc pas intérêt à les appauvrir. En revanche, on travaille de plus en plus spécifiquement sur des contenus diffusés en priorité auprès de nos abonnés. L’application la matinale du Monde est un formidable outil de fidélisation et on pourrait avoir d'autres produits du même type. On n’abandonnera jamais notre vocation généraliste mais au-delà de certains sujets on peut imaginer développer une expertise spécifique et la valoriser.
M le magazine parvient-il à conserver ses positions après le lancement des magazines des Echos et du Parisien?
M le magazine est légèrement en progression en 2017. La qualité ses contenus font que cela reste un objet à part. Les Echos proposent une audience très spécifique et Le Parisien un autre type de lectorat. Cela ne concurrence pas pour l'instant notre portefeuille publicitaire. Il nous reste à voir comment être plus et mieux présent sur le numérique.
Quelles synergies envisager avec Free ou Mediawan?
Les actionnaires nous demandent de regarder les possibilités de collaboration avec des sociétés avec lesquelles ils sont liés avec la même attention, la même rigueur et la même ouverture que l’on regarderait une proposition venant d'un tiers. L'actionnariat de l'un n'est pas forcément l'actionnariat de l'autre et ils nous demandent d’être très vigilants là-dessus. Si on doit doit travailler avec telle ou telle structure, cela doit être un choix économique positif pour le Monde.
Où en êtes-vous de la fusion de l’Obs et du groupe Le Monde ?
Ce sont deux entités cousines. L’Obs est détenu à 2% par Le Monde et à 98% par Le Monde Libre, qui possède par ailleurs 72% du groupe Le Monde. Il n’y a aucune urgence ni calendrier en la matière. En mars 2019, L’Obs déménagera dans un espace qui lui est réservé dans le nouvel immeuble.
Le prononcé du jugement sur l’affaire Aude Lancelin est attendu le 8 décembre. Vous attendez-vous à gagner?
Oui. Cela concerne L'Obs et non Le Monde, mais je n'ai rien trouvé de factuel qui me laisse penser le contraire dans les arguments donnés à l’audience.
Qu'est-ce que change un duo d'actionnaires Niel-Pigasse plutôt qu'un trio avec Bergé?
Pierre Bergé avait anticipé les choses en demandant à Xavier Niel et à Matthieu Pigasse de reprendre ses parts de façon à ce que sa disparition ne change rien à l'équilibre de la gouvernance du groupe.