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Les grands acteurs du marché publicitaire ne ressentent pas les effets de la crise boursière sur les investissements publicitaires. Mais les inquiétudes sont bien là, notamment pour 2012.

Les feux ne sont déjà plus au vert, pas encore au rouge, ni même au orange… car il s'agit plutôt d'une couleur indéterminée. «Ils clignotent, explique Gérard Noël, vice-président de l'Union des annonceurs (UDA), mais ce sont de mauvais clignotants qui peuvent inciter beaucoup d'entreprises à lever leurs dépenses de communication.»

La situation née de la crise de la zone euro est en tout cas jugée suffisamment préoccupante pour avoir été à l'ordre du jour d'un conseil d'administration de l'UDA, le 16 septembre dernier. Objectif: inciter les annonceurs à ne pas céder à la panique et à maintenir leur pression publicitaire pour soutenir la consommation.

La conjoncture défavorable se vérifie pour quelques grands secteurs, comme les banques, en pleine tempête boursière, l'agroalimentaire, qui subit la hausse de ses coûts de distribution et de production, l'automobile, qui craint un freinage de la consommation, ou encore les télécoms, qui ont sans doute reporté à la fin de l'année un surinvestissement lié à l'arrivée de Free dans le mobile.

Résultat, comme le constate Corinne In-Albon, directrice marketing du pôle publicité de Kantar Media, six des dix plus grands annonceurs français ont diminué leurs investissements publicitaires bruts sur la période janvier-août 2011.

Les deux premiers, Renault et Peugeot-Citroën, sont respectivement en baisse de 16,5% et 4,6%, Orange et SFR affichent, eux, –5,3% et –14,7%, tandis qu'Unilever est quasi-stable (–0,7%) et Procter en recul (–12,1%). Heureusement qu'il y a la grande distribution, notamment Carrefour, en position défensive (+6,1%), et E.Leclerc (+12,9%), pour afficher une croissance brute.

«En août, les investissements plurimédias sont en hausse de 3,1%, soit la tendance du deuxième trimestre (+3%), laquelle témoignait d'un ralentissement par rapport au premier trimestre (+8,6%)», note-t-elle.

Une atmosphère plus qu'une crise

Compte tenu de la conjoncture économique et d'un effet de base négatif par rapport à une fin d'année dynamique en 2010, il est probable que les deux derniers trimestres de 2011 seront plus difficiles. Mais pour l'heure, comme le dit Hervé Brossard, président d'Omnicom Media Group France, l'emporte davantage «une atmosphère de crise qu'une crise réelle».

«Après une croissance à deux chiffres en juillet et août, on ne constate pas de coupure sèche des investissements publicitaires mais un grand attentisme, déclarait Pierre-Jean Bozo, PDG du quotidien gratuit 20 Minutes, le 13 septembre lors d'un point presse. Mais la visibilité est inférieure à dix jours.» Sébastien Danet, président de Zenith Optimedia, confirme qu'«en dehors de l'alimentaire à la télévision, le reste tient pas trop mal».

Dominique Delport, président d'Havas Media, est encore plus rassurant: «On ne constate pas de fléchissement, à cette date, de notre portefeuille. On compte sur les doigts d'une main les coupes de clients et elles ne sont pas liées à l'affolement des marchés, mais à l'inflation du coût des matières premières.» Pour lui, la nécessité pour les marques de conserver des parts de voix et de lancer des offres nouvelles dans des environnements concurrentiels entretient la machinerie publicitaire. «L'exubérance des marchés financiers n'a pas contaminé les directions marketing, ajoute-il. Nous sommes moins sensibles aux variations de la zone euro que d'autres secteurs.»

Le président d'Havas Media, qui se dit d'un «optimisme mesuré», estime que le marketing de l'offre domine chez les annonceurs, qu'ils sont soucieux de se distinguer avec des stratégies de contenu et des investissements numériques, notamment via les réseaux sociaux, induisant une relation nouvelle avec le consommateur. «Les annonceurs ont sans doute l'expérience de la gestion de crise, renchérit Catherine Lenoble, directrice générale de M6 Publicité. Ceux qui ont coupé ont plus perdu que ceux qui ont maintenu leurs investissements. On n'est plus dans la réaction à chaud.»

Gérard Noël, de l'UDA, martèle aussi que l'investissement publicitaire est vecteur de croissance: «Les entreprises, comme l'Oréal, qui ont maintenu leur pression en publicité sont sorties de la crise de 2008-2009 avec des parts de marché renforcées et des valeurs boursières augmentées.» Justement, Jean-Paul Agon, son PDG, a déclaré à la fin août qu'il entendait poursuivre ses investissements pour soutenir ses produits.

«On est en crise, on ne peut pas se voiler la face, modère Thierry Jadot, président de Starcom. Une crise molle et qui peut durer. Les annonceurs qui avaient désinvesti en 2009 vont y réfléchir à deux fois. Mais il y a la hausse des prix agricole dans l'alimentaire et la pression des distributeurs. Et les grandes batailles de l'explosion des télécoms, comme de la distribution, sont derrière nous.»

Météo maussade à court ou moyen terme

Qu'en est-il du côté des médias ? Constance Benqué, présidente de Lagardère Publicité, livre un témoignage parlant: «J'ai été très étonnée en rentrant de vacances: on est à +10% en net en septembre. Mais c'est plus dur en octobre, notamment en presse. Et je ne vois pas comment on n'aurait pas un retour de bâton en fin d'année et au début 2012. Dès que la consommation des ménages va piquer du nez, on va commencer à souffrir.»

Martine Hollinger, présidente de TF1 Publicité, reconnaît qu'elle «s'attend à une année 2012 difficile, d'autant qu'il s'agit d'une année électorale». Toute la question est, pour elle, d'arriver à transformer son travail de reconstruction de la valeur de l'espace TV. «Les chaînes ont eu un bon mois de septembre, mais devine un horizon très incertain en fin d'année», relève Gérard Noël.

Le mot d'ordre des grandes régies sera-t-il toujours de regagner de la valeur? Elles peuvent être tentées de renouer avec de fortes négociations consenties pendant la crise 2008-2009. En dehors d'Internet, seules la TNT et les opérations spéciales devraient tirer leur épingle du jeu.

Guillaume Astruc, directeur général d'IP France, confirme que «septembre est exceptionnellement bon et octobre bon. Pour la première fois, on est en train de démontrer que la radio est vraiment un média de crise. Mais c'est le fruit d'un travail de fond de diversification des secteurs annonceurs et des agences.»

Reste que rien ne dit que cette fidélisation d'une nouvelle clientèle résistera à une année 2012 délicate. Pierre Conte, président de Figaro Média, estime que la fin 2011 «pourrait être relativement épargnée compte tenu des fêtes et la nécessité d'écouler les produits». Même la «mise au pilori des banques» peut entraîner de la communication de crise, comme l'a fait la Société générale avec sa page sur ses «fondamentaux». «Mais si les nuages continuent de s'accumuler, cela se traduira forcément par plus de prudence dans les budgets.»

Alors nuage, mauvais grain, bourrasque, tempête? La météo est, quoi qu'il en soit, plutôt maussade à court ou moyen terme. Sans doute convient-il, avec Hervé Brossard, de lorgner l'avenir à la longue vue pour garder le cap: «Les annonceurs sont perplexes, mais on les sent déterminés à aller vers quelque chose qui va durer en revoyant leur modèle économique. Ils veulent passer à une valeur d'usage et c'est lié à l'économie “verte. Nous devons être tout aussi résolus dans nos conseils même si on voit freinés en France nos projets d'acquisition.»

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