Cette association de groupes de parole entre toxicomanes a réalisé sa première réunion dans le métavers en présence de journalistes. Cette opération inédite, qui pourrait aider à terme les personnes réticentes à se confier en présentiel à franchir le pas, est saluée par le Grand Prix des stratégies digitales.
Sans le confinement, voilà une opération qui n’aurait peut-être jamais vu le jour. En privant les membres des Narcotiques anonymes de leurs groupes de parole sur leurs addictions pour cause de restrictions sanitaires, la période a donné des idées aux communicants de Socialyse (groupe Havas), une agence récemment fusionnée avec Havas Sports & Entertainment sous le nom d’Havas Play. « Il y avait bien des réunions Zoom, mais elles ne pouvaient réunir que des membres déjà actifs, il n’y avait plus de possibilité d’en recruter de nouveaux », raconte Emmanuel Quéré, planneur stratégique chez Havas Play, qui découvre fin 2020 cette situation lors de sa première rencontre avec les membres des Narcotiques anonymes.
C’est lui qui a monté cette opération dans le métavers avec Émilie Cabanié, responsable influence à l’agence, qui œuvrait déjà pour l’association de manière pro-active dans ses agences précédentes. Mais le virtuel, au-delà de l’opportunité donnée de pouvoir se réunir à tout prix, présente surtout un autre avantage, selon Emmanuel Quéré. « Le problème principal des réunions en physique, c’est la honte, la peur d’être reconnu et de se voir coller une étiquette d’addict », analyse le planneur.
Dans ce cadre, le métavers, découvert par le planneur à la suite d’une présentation faite par les équipes de Meta (Facebook), lui est apparu comme la solution idoine. Il respecte un anonymat total des participants tout en leur permettant d’évoluer dans un espace où l’on ressent la présence des gens, le tout sans le trac que l’on peut éprouver lors d’une réunion en physique. Les communicants d’Havas ont par ailleurs été incités à être créatifs dans la mesure où cette association se refuse à prendre la parole de manière classique pour recruter des membres. Ce sont eux qui doivent venir à elle, sans qu’elle fasse de « réclame ».
Une cible élargie. Une fois l’idée approuvée par l’association, qui y a adhéré immédiatement, les équipes d’Havas Play ont fait appel à un prestataire, VR Académie, pour monter la réunion en virtuel dans l’univers du métavers. Un groupe de huit membres, nouveaux et anciens, a été constitué. Chacun a été formé à créer son avatar et a été équipé d’un casque de réalité virtuelle pour participer, le jour J, à la réunion. Le choix du décor s’est porté sur un loft lumineux, de manière à reproduire de la façon la plus fidèle possible les conditions d’une réunion réelle.
Pour pouvoir toucher une cible plus large, huit journalistes (Ouest-France, Libération, Brut, Huffington Post…) ont été conviés à participer, à la fin de la réunion, à une conférence de presse, elle aussi dans le métavers, avec la possibilité d’échanger avec les participants. « C’est important de pouvoir toucher une cible plus large parce que ce sont souvent les proches, famille et amis, et les médecins qui tirent la sonnette d’alarme », relève Emmanuel Quéré. Le résultat de ce plan de relations presse a dépassé les attentes de l’agence, avec une augmentation de 158% du trafic sur le site de l’association et un total de 81 millions de personnes touchées par cette couverture médias.
Ces retombées ont offert à cette association, petite sœur des Alcooliques anonymes, une notoriété qu’elle a du mal à obtenir en France, où elle ne bénéficie pas du soutien que des stars du cinéma comme Brad Pitt peuvent lui offrir aux États-Unis. D’autant qu’en France, l’approche de la toxicomanie passe d’abord, en première intention, par un traitement médical. Au-delà de ces retombées, l’association dispose désormais d’un nouvel outil permettant de diversifier ses types de réunion, en allant conquérir des membres qui n’auraient jamais osé se rendre à une réunion en physique par crainte du regard porté sur eux. Comme le dit Emmanuel Quéré, « le métavers, nouveau point de contact comme ont pu l'être les réseaux sociaux il y a dix ans, est une nouvelle arme qui peut créer une brèche dans le mur de la honte ».
Coordinateur national des Narcotiques anonymes pour la France, qui souhaite rester anonyme
« Cette opération nous a permis de faire une vraie réunion avec une véritable sensation d’immersion. Cette sensation est renforcée par une concentration encore plus grande que lors d’une véritable réunion. En effet, avec le casque sur la tête, on ne pense pas à prendre son téléphone et on n’est pas dérangé par d’autres facteurs extérieurs. Nos représentants de la région France feront un rapport au World Services Office de NA basé à Los Angeles après l’été sur cet événement. »