Symbole de l’ultra fast fashion, mais aussi de certains paradoxes de ses jeunes consommateurs, la marque d’origine chinoise Shein déploie une communication digitale qui porte ses fruits, à grand renfort d’influence et de codes promotionnels.
De loin, elle peut fasciner. Une croissance impressionnante – elle est devenue, selon une étude Kantar Worldpanel réalisée au premier semestre 2021, sixième des sites d’achat dans le secteur de la mode, faisant une « entrée fulgurante » au classement dominé par Zalando –, un ancrage auprès des plus jeunes, une maîtrise des codes digitaux, une capacité à mobiliser sur les réseaux sociaux. D’un peu plus près, elle interroge, pour ne pas dire qu’elle révolte. Elle a ainsi été épinglée pour ses conditions de production, comme par l’ONG Public Eye en novembre, son manque d’éthique, la piètre qualité de ses produits ou encore son opacité.
Reste que la marque d’origine chinoise Shein a changé les choses sur un marché de la mode où Zara, Mango passent désormais pour des marques quasi premium. Son positionnement : le créneau de l’ultra fast fashion. « Elle se différencie par la rapidité à laquelle elle lance des nouveautés », remarque Marie Dupin, directrice business, mode et lifestyle chez NellyRodi, agence de conseil en stratégie, qui la rapproche de Nasty Gal ou PrettyLittleThing (groupe Boohoo). À raison de milliers par mois, un rythme intenable pour qui ne maîtrise pas, comme elle, toute la chaîne de production. Ce qui lui permet à la fois de mettre très rapidement sur le marché des articles dans la mouvance des tendances repérées sur les réseaux sociaux grâce à des algorithmes adaptés d’analyse du Web mais surtout – et c’est le point central de son positionnement – de proposer des prix redoutablement bas, accessibles à la Gen Z (née après 1995), sa cible numéro un. Pour dix euros, on peut remplir un panier à plusieurs articles.
« Les jeunes ne viennent pas y chercher de la qualité et du durable mais de la mode jetable, il s'agit pour eux d'avoir la pièce vue sur les réseaux sociaux immédiatement », expose Marie Dupin, à propos de son image de marque. « Shein symbolise les paradoxes de cette génération », analyse Jean-Baptiste Bourgeois, directeur de la stratégie de l’agence de communication digitale We Are Social. « C’est un modèle antinomique avec l’image que l’on peut avoir des teenagers engagés. Il y a un petit côté schizophrène entre le “moins mais mieux” recherché et ici le toujours plus rapide et moins cher », développe Marie Dupin. Une génération qui veut consommer autrement mais qui, avec Shein, se prête au jeu de la surconsommation. Une génération volontiers engagée mais que les révélations sur les dessous de la production de leurs vêtements n’arrête pas. Une génération qui exige une transparence qu’elle n’obtient pas vraiment dans ce cas ?
Haut les cœurs
Malgré tout, donc, la marque séduit, grâce en particulier à une communication qui fait mouche, essentiellement digitale mais pas uniquement, comme en témoigne une récente campagne d’affichage dans le métro parisien. « C’est une marque qui a su créer un phénomène social media avec le "haul" Shein », dépeint Jean-Baptiste Bourgeois, tout en relevant son manque d’éthique et de responsabilité. Si elle n’a pas inventé cette tendance, équivalente de l'unboxing pour les commandes de mode, elle en joue habilement. « Encore une fois, cela repose sur le prix. N’importe qui avec un petit budget est capable de se créer une ligne éditoriale sur les réseaux sociaux digne des influenceurs, avec un certain nombre de produits présentés par semaine. C’est comme ça que le phénomène a pris », poursuit le spécialiste du digital.
L’influence, et plus particulièrement la micro-influence, constitue le cœur de son modèle. C’est un moyen notamment de partager des codes promotionnels, qui constituent l’épicentre d’une « économie Shein » qui s'est créée sur Internet. Ceux-ci fleurissent sur le web, partagés par des influenceurs. « La marque a mastérisé la promotion social media en rendant viraux les codes promo avec de l’influence », indique Jean-Baptiste Bourgeois. Donnant même naissance à des challenges, consistant à composer des paniers d’achat avec le plus grand nombre d’articles à moindre prix. « La marque vise cette génération d’hyperjeunes pas adressés par le secteur, les jeunes filles de 14 ans qui se créent des paniers comme un jeu, tellement les produits sont peu chers. Avec Shein, elles ont accès à la mode des influenceuses qu’elles suivent, alors qu’avant, elles devaient attendre six mois pour retrouver chez Zara une déclinaison accessibles des tenues portées », précise Marie Dupin.
Créer l’événement
Si Twitter, YouTube ou Instagram accueillent les hauls ou le partage de codes promo, c’est particulièrement aussi le cas de TikTok, où le format de vidéo courte est adapté au déballage d’une commande et à la présentation express des différents habits tout juste acquis. « La campagne dans le métro parisien est la suite logique de la success story social media. À travers ce mode de communication, la marque veut s’installer comme une référence comme les autres », note Jean-Baptiste Bourgeois qui, observant que Boohoo ou Missguided communiquent en télévision, ne serait pas étonné de voir Shein monter en puissance sur ce terrain.
Au-delà, la marque joue aussi la carte de l’événementiel. Par exemple, pendant le premier confinement, elle a organisé un événement virtuel mondial avec une multitude d’artistes, influenceurs, stylistes, dont Katy Perry et Lil Nas X, au profit d’un fonds contre le covid. À l’été 2021, elle a lancé les défis Shein pour permettre à des designers de participer à un défilé de mode virtuel, après passage devant un jury de célébrités incluant Khloé Kardashian. Sur un tout autre plan, elle a aussi, en France, ouvert des pop-up stores, à Paris et à Marseille, au dernier trimestre 2021.
« Positionnée sur un créneau comparable – des produits de lingerie pas chers cachant des problèmes de conception, production, distribution – Savage x Fenty de Rihanna dépense une énergie folle pour raconter qu’elle est une marque premium, inclusive, organisant des défilés avec des stars, représentant tous les corps, les origines sociales, les orientations sexuelles… Shein assume le côté cheap, éphémère », conclut Jean-Baptiste Bourgeois. De ce côté-là, pas de quoi fasciner.