Creusant un sillon singulier dans le luxe, la marque de joaillerie française Gemmyo revendique un positionnement autour du «smart luxury», que souhaite refléter aussi sa communication.
Il y a dix ans tout pile, un petit chaton rose et mignon portait l’une de ses bagues dans une publicité créée par BETC. Depuis, la marque de joaillerie française Gemmyo a bien grandi : 80 collaborateurs, un début de présence à l’international, une dizaine de boutiques, dont une qui s’apprête à ouvrir à Tokyo fin novembre. Le 19 septembre dernier, autour de Pauline Laigneau, son emblématique cofondatrice, également créatrice d’un podcast de témoignages sur l’entrepreneuriat et les parcours professionnels, elle réunissait quelques journalistes à son siège parisien pour parler « smart luxury », le positionnement qu’elle revendique pour elle-même. Le luxe « smart » ? Répondant à une quête du beau et de l’élégance – plutôt qu’à une recherche de statut et de prestige –, il implique une production locale et artisanale ainsi qu’une expérience client personnalisée, le tout à des prix « empathiques » (sic) (400-800 euros en entrée de gamme, 2000-6000 euros en cœur de gamme). Un retour aux essences du « vrai luxe », en somme, avant qu’il ne se massifie et que, compte tenu de la demande, les prix ne s’envolent, introduisant un écart entre le prix et la valeur des produits. « C’est la zone de faiblesse que semble avoir identifié Gemmyo, en voulant “refaire le Vuitton du départ”, retrouver l’expérience client, la très haute personnalisation, au départ sans prestige mais ce n’est pas grave parce que ce ne sont pas les primo-accédants qui sont visés », détaille Jean-Noël Kapferer, professeur de marketing à HEC, co-auteur de l’ouvrage de référence Luxe oblige. La clientèle de Gemmyo se compose d’hommes et femmes âgés de 30 à 55 ans, attentifs à la qualité ainsi qu’à la fabrication des bijoux. « Prix, qualité, prestige : on ne peut pas tout avoir à la fois normalement. Il [a fallu] changer le fonctionnement de la maison pour rendre cette impossibilité possible. C’est la smartitude », complète le spécialiste.
C’est donc l’ensemble de son business model que Gemmyo, dont les deux fondateurs sont aujourd’hui les actionnaires largement majoritaires, a pensé dès ses débuts pour parvenir à se tailler une place aux côtés des acteurs du luxe traditionnels. Le développement « passe par une culture de l’innovation et de la discipline », assure Pauline Laigneau. Gemmyo fabrique à la commande, ce qui permet de ne pas avoir de stocks à gérer, ce qui évite aussi d’immobiliser de la trésorerie et de subir des pertes financières en cas d’invendus. « Un bijou est détenu 646 jours en moyenne avant d’être vendu », indique la cheffe d’entreprise. Ce qui coûte très cher aux griffes concernées. Par ailleurs, si les marques de luxe promettent traditionnellement la personnalisation, Gemmyo explique la pousser à son maximum : c’est le client qui choisit sa pierre et, à chaque étape de fabrication de son bijou (polissage, sertissage…), il est tenu au courant de la progression. « Comme chez Ferrari », fait remarquer Jean-Noël Kapferer. La moitié du chiffre d’affaires de Gemmyo provient d’ailleurs de bijoux de mariage (bagues de fiançailles, alliances).
Côté retail, le modèle est aussi repensé. Si elle n’a pas les moyens de s’installer place Vendôme ou sur les Champs-Élysées, Gemmyo opte pour des adresses « plus charmantes que prestigieuses », décrit Pauline Laigneau. À l’image de la rue de Seine, dans le chic sixième arrondissement de Paris, aux côtés de plusieurs galeries d’art, ou de la rue de Courcelles, près du parc Monceau. Dans ses magasins, pas (ou peu) de bijoux à vendre : l’idée pour les clients, principalement accueillis sur rendez-vous, est plutôt de visualiser les pierres, d’essayer des modèles, de se faire conseiller. Outre ses boutiques, Gemmyo a imaginé ce qu’elle appelle des résidences : elle loue des suites dans de grands hôtels le vendredi et le samedi pour accueillir ses clients et prospects. Un moyen d’économiser sur un pas de porte mais sans transiger sur le conseil, l’image et la fameuse expérience client. À noter que Gemmyo réalise la moitié de son chiffre d’affaires en digital, ce qui est « énorme » par rapport à ce qui s’observe habituellement dans le secteur. Les exemples pourraient être multipliés…
De la guimauve pour Noël
Cette recherche de différenciation se traduit également dans la communication. « On essaie d’être smart aussi dans la pub, la création, l’influence, le marketing », explique Pauline Laigneau. L’équipe communication, sous la houlette de son directeur Loïc Cardoso Vieira, peaufine actuellement la campagne de Noël de la marque, qui sortira le 11 novembre. Sans égérie célèbre ni mannequin portant le produit, comme souvent dans les publicités de luxe, mais avec un bijou… dans une guimauve, photographiés par Benjamin Bouchet. De quoi nourrir « la valeur perçue de la marque, un côté doux mais audacieux en même temps », traduit Pauline Laigneau. La campagne sera déployée dans le métro parisien et sur les bus touristiques sillonnant la capitale ainsi qu’à Tokyo. Elle sera aussi déclinée sur les réseaux sociaux. Au-delà du ton de la campagne, la marque revendique un autre pas de côté : quand elle communique, elle n’hésite pas à investir le métro, sans multiplier les stations de présence mais en concentrant ses affiches en un seul endroit, dans l’optique d’augmenter sa force de frappe et d’interpeller tout en optimisant ses coûts. Sa feuille de route en communication pour ses prochains mois est claire : « depuis mon arrivée en mai dernier, nous nous attachons à travailler l’awareness [notoriété] de la marque ainsi que sa désirabilité, avec la volonté d’aller vers la cible masculine », témoigne Loïc Cardoso Vieira, venu d’Estée Lauder. Outre la campagne de Noël, un dîner sera organisé en novembre avec des influenceurs. Et une campagne de marque suivra en mars 2025 afin d’accompagner les nouvelles ambitions de Gemmyo, qui souhaite désormais renforcer son internationalisation. Alors que plus de 80 % de son chiffre d’affaires est aujourd’hui réalisé en France, elle a les Etats-Unis en ligne de mire pour 2025 et vise les 100 millions d’euros à horizon cinq ans (sans préciser d’où elle part aujourd’hui).
Un rendez-vous devait avoir lieu avec BETC ces jours-ci : reste à voir comment le petit chaton rose et mignon accompagnera (ou non) cette nouvelle étape…
80 Nombre de collaborateurs (dont 45 au siège à Paris 5e).
9 Nombre de boutiques (en France et à Bruxelles, Genève et Tokyo).
50 % Part du chiffre d’affaires réalisé en ligne.