L’institut Moaï (groupe The Links) rendra public en septembre un rapport sur les tendances de consommation des Français. Stratégies en décrypte quatre en avant-première.
1. La nouvelle normalité
Voilà de quoi redonner une actualité au concept de « new normal », tant discuté après le covid. Cette idée se recroise en effet dans « L'Explorateur 2024 », un baromètre sur les tendances et comportements de consommation des Français, réalisé par Moaï, institut d’études du groupe The Links, et dont les résultats seront dévoilés le 24 septembre. « Ce qui m’a surpris dans cette étude est que l’on pourrait revenir à une forme de nouvelle normalité », pointe d’emblée Thomas Bosque, planneur stratégique chez The Links, agence de communication du groupe du même nom. Compte tenu du contexte, notamment de l’inflation, 82% des Français ont changé leur façon de consommer sur les deux dernières années. C’est le taux le plus élevé jamais observé en quatre ans, depuis la création du baromètre. Mais, dans le même temps, ils sont 69% à penser qu’ils modifieront à l’avenir leur façon de consommer. « C’est beaucoup mais c’est le chiffre le plus bas jamais observé », met en perspective Thomas Bosque, pour qui une certaine « sidération » liée à l’inflation s’est désormais estompée : non pas que les Français ne fassent plus attention à leur budget mais désormais, ils connaissent leurs nouvelles contraintes, s’y sont adaptés. Voilà pourquoi parler de « nouvelle normalité » ne s’imposerait que maintenant, selon l’expert. Plus en tout cas que juste après le covid, où le monde d’après que chacun appelait de ses vœux n’a sans doute jamais eu lieu en termes de consommation.
2. Le burn-out du colibri
Dans la continuité de 2023, 2024 marque la persistance « d’une forme de polarisation et de contradiction internes », dépeint Thomas Bosque. Consommer engagé, c’est bien, mais consommer engagé en permanence peut s’avérer contraignant… Chacun est donc enclin, plus ou moins, à s’autoriser des achats plaisir, en parallèle des efforts fournis pour mieux consommer. Même si ce plaisir implique une dépense peu utile ou autre. C’est un équilibre que chaque personne trouve pour elle-même au nom d’un certain « crédit moral », qui permet de justifier d’éventuels écarts au nom de sa bonne conduite. Au-delà, Thomas Bosque convoque aussi l’image du « burn-out du colibri » (un autre concept hors étude), qui survient quand l’effort demandé devient trop long ou complexe.
« Pour les marques, il s’agit d’éviter tout jugement moral, poursuit-il. D’épouser cette complexité et d’éviter une pensée simplifiante. » Sans oublier le fait de « balayer devant [leur] porte », puisque « celles-ci ont aussi leurs paradoxes » (sont-elles vraiment prêtes à la déconsommation ?). En témoignent, par exemple, les remous suscités fin 2023 par une campagne de l’Ademe qui mettait en scène, de façon humoristique, un « dévendeur ». Les films, imaginés avec Havas Paris, avaient fait grincer des dents une partie de la profession. « Il y a autant de chemins que de marques », assure Thomas Bosque. E.Leclerc ou Decathlon ont choisi de défendre le pouvoir d’achat, quand Naturalia a, au printemps, avec Altmann+Partners, déployé en affichage, dans les points de vente et sur les réseaux sociaux des visuels décomposant ses prix de vente. De quoi satisfaire un certain besoin de transparence du consommateur tout en illustrant « l’importance de la communication pour ne pas être perçu comme profiteur de crise », analyse-t-on chez The Links.
3. Une certaine politisation du discours de marque
Les marques tentées par le greenwashing feraient d’autant mieux désormais d’y réfléchir à deux fois. Le baromètre montre, en effet, que l’attention aux valeurs de marque est en baisse. En 2024, 70% de Français déclarent qu’ils seront attentifs aux valeurs des enseignes auprès desquelles ils vont acheter, contre 83% en 2020. Et ils sont plutôt de moins en moins nombreux à rechercher des informations sur les pratiques RSE des marques qu’ils plébiscitent (42% en 2024 contre 47% en 2023). « Les marques se sont souvent vu reprocher leur opportunisme. C’est le moment pour elles de prouver que ce n’est pas le cas. L’époque fera le tri », estime Thomas Bosque. « On va voir celles qui y croyaient vraiment », ajoute-t-il. Pour les concernées, cela passe par « trouver de nouvelles façons d’agir ». Y compris en s’invitant dans le champ politique. À l’instar de La Vie, marque de viande végétale, qui avait plus tôt dans l’année multiplié les communications autour d’un décret qui les privait, ses concurrentes et elle-même, du droit d’utiliser les mot « steak », « escalope », « jambon » pour désigner leurs produits. « Cela rapproche certaines marques du politique », traduit Thomas Bosque. L’auteur Raphaël Llorca s’est penché sur ce sujet – dans un optique plus large –, dans Le Roman national des marques [lire Stratégies n° 2192 du 26 octobre 2023].
4. Du quotidien à l’imaginaire
Dans un quotidien alourdi par certaines contraintes (les prix qui grimpent, le monde qui va mal…), les consommateurs ont aussi besoin « d’imaginaire ». « Il y a un besoin certes de sens, de preuves mais aussi d’évasion, de sensorialité, qui sont d’autres formes d’engagement. Il s’agit de créer des souvenirs, des rituels », déclare Thomas Bosque. Réconcilier cette tension, « s’ancrer dans le quotidien » tout en le rendant « désirable », c’est par exemple ce que fait Evian dans sa campagne « The Mountain of Youth », sortie au printemps. Avec son agence BETC, la marque d’eaux minérales prône une certaine « légèreté » dans la façon de vivre. C’est aussi le parti pris par Celio avec Buzzman fin 2023, à travers la campagne « Vu dans la rue ». Dans ce cadre, Google Street View a été utilisé pour repérer les « hommes normaux » habillés avec les produits de la marque. Autre exemple, Jeanneau, marque de bateaux du groupe Beneteau, a refondu sa plateforme de marque avec The Links début 2024. L’idée est désormais de mettre l’accent en priorité, lors de ses prises de parole, sur ce que l’on vit quand on monte à bord. Loin d’un quotidien normal…