Raphaëlle Archambeaud est chief sustainability officer du Groupe L’Occitane (2,13 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2023, dans 90 pays). Elle explique comment l’entreprise réduit son empreinte environnementale, de la plante au consommateur. Un article également disponible en version audio.

Écoutez cet article :

Quelles sont les activités à plus fort impact sur l’environnement dans un groupe de cosmétiques comme L’Occitane ?

Raphaëlle Archambeaud. Il y a trois gros sujets au niveau de la chaîne de valeur. Premièrement, le plus visible du grand public, c’est tout ce qui est lié au packaging et en particulier le plastique. Le deuxième poste, beaucoup moins connu, c’est la manière dont sont cultivées les plantes qui composent nos matières premières. La marque L’Occitane en Provence achète à peu près 1 500 matières premières pour fabriquer ses produits, dont 90% contiennent des plantes. Notre chaîne d’approvisionnement est basée en grande partie sur la nature et en fonction des techniques agricoles utilisées, nous avons un impact sur la biodiversité, le climat et l’humain. 

Cela fait quelques années déjà que l’on parle de la sixième extinction de masse, qui correspond à un effondrement de la biodiversité. On l’attribue souvent au changement climatique mais ce n’est qu’un facteur aux côtés notamment de la pollution due aux pesticides et de la déforestation. En outre, un sol riche, en bonne santé, est un puits naturel de carbone alors qu’un sol épuisé par la monoculture ne séquestre plus rien. 

Et le troisième impact ?

J’ai parlé jusqu’à présent des impacts en amont de la chaîne de valeur. Le troisième, également méconnu, c’est l’utilisation des produits en aval. Cela représente 45% de notre bilan carbone et 95% de notre empreinte en eau, à travers les douches chaudes prises par les consommateurs.

D’où viennent les 55% d’émissions carbone restantes ?

Environ 30% sont issues du packaging, des matières premières et du merchandising, 10% des transports des produits ; ensuite, vous avez une somme d’autres impacts comme les transports des employés et ceux des consommateurs vers nos boutiques. 

Parlons de l’agriculture. Quelles mesures de protection de la nature mettez-vous en place ?

Il existe de nombreuses techniques d'agroécologie et d’agriculture régénératrice comme les couverts végétaux, un labour minimum pour que la matière reste dans le sol, la polyculture… Nous avons une équipe d’une dizaine d’ingénieurs agronomes qui travaillent sur le terrain auprès des producteurs en les accompagnant avec des connaissances techniques.

Nous faisons aussi partie de coalitions avec d’autres entreprises pour aider le monde agricole dans cette transition. En tant que groupe de taille moyenne, nous sommes toujours preneurs de collaborations avec des concurrents ou d’autres industries autour de projets communs. 

J’aime beaucoup la notion de porte de connexion avec la nature. Les entreprises sont souvent déconnectées de la nature mais une marque comme L’Occitane en Provence, qui est née d’une proximité avec le monde agricole, a toujours gardé cette connexion.

Vous collaborez en direct avec des producteurs ou via des sous-traitants ?

Environ 15% de nos approvisionnements sont achetés en direct à des fournisseurs, pour nos matières premières iconiques comme l’immortelle, la lavande, le beurre de karité, la verveine… La marque L'Occitane en Provence a toujours eu le parti-pris de ne pas être propriétaire de terrain, de ne pas détenir de sol pour laisser le travail aux agriculteurs. Mais nous faisons en sorte de payer les récoltes à l’avance avec des contrats pluriannuels d’au moins trois ans pour qu’ils puissent investir dans des installations. 

Le reste des approvisionnements vient de fournisseurs de matières premières cosmétiques. Nous utilisons la plateforme EcoVadis pour évaluer nos partenaires sur des critères de développement durable. Si certains sont mal notés, nous les aidons à progresser. S’ils ne s’améliorent pas, nous pouvons décider de mettre un terme à la collaboration. Un autre programme s’appelle Partners by Nature et concerne nos partenaires les plus importants avec lesquels on innove sur des solutions de développement durable, en termes de packaging ou de traçabilité des plantes par exemple. 

Concernant les packagings, quelles sont vos actions pour diminuer l’utilisation du plastique ?

Les solutions passent par une somme d’actions, il n’y a pas de réponse unique en cosmétiques. Le premier axe, c’est d’abord de réduire le poids du packaging ; ensuite, c’est d’y injecter de la matière recyclée, et les deux vont ensemble, car comme le plastique recyclé coûte plus cher que le plastique vierge, il y a du sens à réduire la quantité de matière. Un troisième axe est de développer l’éco-conception. On teste également les cosmétiques solides, les recharges, les fontaines à vrac… 

Le consommateur a envie d’acheter responsable mais il veut aussi des produits pratiques, qui sentent bon, il faut donc proposer un panel de solutions et voir celles qui vont s’inscrire dans les habitudes. Au départ, les éco-recharges ne semblaient pas adaptées à notre marché. Nous avons persisté et nous avons eu raison : elles ont finalement été bien adoptées. C’est l’avantage d’être une entreprise familiale, elle se projette sur l’avenir à long terme. Pour être encore là demain, il faut faire partie de la solution et pas du problème. 

Et au niveau des consommateurs, comment limiter l’impact de leurs usages ?

Notre R&D teste toutes sortes de routines pour voir comment maintenir l’efficacité des shampoings et gels douches en réduisant la consommation d’eau. Les chercheurs ont prouvé qu’on obtenait le même résultat avec un shampoing au lieu de deux pour la plupart des types de cheveux. C’est une vraie innovation par rapport au marketing des années 80-90, qui incitait à la consommation. Notre marque Elemis a démontré que son baume nettoyant visage était aussi efficace à l’eau froide qu’à l’eau chaude, et engage donc ses consommateurs à faire des économies d’énergie. Il y a plein de modèles à aller chercher pour inventer la cosmétique de demain dans un monde fini en termes de ressources.

Vous êtes certifiés B Corp depuis 2023. Que vous apporte cette certification ?

La grande force de B Corp, c'est la mesure de la performance. Lorsque je suis arrivée à ce poste il y a six ans, je savais que le niveau des usines en France était excellent mais j’avais moins de visibilité sur les filiales. Grâce au questionnaire B Corp, on a pu évaluer les filiales, les unités de production et donner des objectifs de progression. Outre les ambitions communes au groupe, sur l'eau, le carbone..., les filiales ont la possibilité de mener des actions locales qui ont du sens pour leurs employés, leurs partenaires, leurs consommateurs. Il y a un sentiment de fierté des salariés de voir ce logo car il valorise des actions qui étaient menées parfois depuis longtemps et qui sont maintenant auditées et vérifiées. Aujourd’hui, 20% du bonus des employés est lié à la performance B Corp. 

Parcours

2008. Mastère spécialisé marketing et communication à l'ESCP-EAP Paris.

2008-2012. Entre chez L’Occitane en Provence comme chef de produit international soin.

2013-2016. Face care group manager de L’Occitane en Provence.

2016-2018. International skincare category director de L’Occitane en Provence.

2018-2024. Sustainability director du Groupe L'Occitane.

Depuis avril 2024. Chief sustainability officer du Groupe L'Occitane.

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