Entre les annonces polémiques du gouvernement, les Parisiens qui veulent fuir la capitale, la mainmise du CIO, que reste-t-il de la ferveur sportive autour des Jeux olympiques et paralympiques ? A priori pas grand-chose, à en croire la communication en manque d'inspiration des partenaires et des organisateurs. Un article également disponible en version audio.
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Alors que la France s’apprête à recevoir les Jeux olympiques de Paris 2024, une compétition de sport internationale, celle qui n’arrive qu’une fois par siècle, la communication autour se fait comme qui dirait discrète, pour ne pas dire « boring ». À moins de 100 jours du lancement officiel de la compétition, les pubs des partenaires français ne cassent pas trois pattes à un canard. Il suffit d’enlever les logos des marques pour se rendre compte de la supercherie et constater l’uniformité des films proposés. « J’avoue ne pas avoir vu grand-chose. La Pac n’a rien produit pour les JO alors que nous sommes un acteur important dans la production. Du peu que j’ai vu, ce sont des propositions assez attendues en lien avec les athlètes, la performance, du poncif quoi. Après on ne va pas se mentir, les partenaires français pour les JO ne sont pas les plus créatifs », ouvre Jérôme Denis, PDG de la société de production. Dans cette fameuse liste des partenaires, on retrouve EDF, Carrefour, le Groupe BPCE, Sanofi, Accor, Allianz… des annonceurs qui ont tendance à endormir les téléspectateurs à coups de discours dégoulinant de purpose. « Dans la pub Carrefour, on dirait presque qu’ils étaient obligés de montrer des sportifs qui mangent des pâtes pour faire le lien avec les JO. La seule campagne qui m’ait interpellée pour le moment est celle d’Orange », commente Aïcha Fetouhi, fondatrice et dirigeante du cabinet AF Consultants.
Une charte très contraignante
Ce constat établi, Stratégies a tenté de comprendre d’où venait cette aseptisation. Est-ce la faute des partenaires trop mous du genou ou bien des agences sollicitées qui ne seraient tout simplement pas assez créatives ? Tous désignent – à visage couvert – un seul et même coupable, le CIO (Comité international olympique) et par extension le Cojo (Comité d’organisation des Jeux olympiques). « La charte des JO est hypercontraignante », constate Martin Iselt, directeur de création de Landor & Fitch (WPP) dans une interview déjà parue dans Stratégies. « Les exploitations sont encadrées de manière stricte autour par le code du sport, le droit des marques et par la Charte olympique. Nous avons ainsi d’un côté les partenaires et les sponsors « officiels » qui ont l’autorisation d’utiliser des marques et éléments de langage liés aux JO et de l’autre, les sociétés qui veulent pouvoir librement communiquer autour de l’esprit du sport sans utiliser directement ces marques et emblèmes. Le CIO est extrêmement offensif et possède une équipe de juristes formée à être très vigilante et à tenter de limiter les utilisations non autorisées à coups d’actions juridiques ou de mises en demeure », rapporte Vanessa Bouchara, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et fondatrice du cabinet Bouchara & Avocats. Ces éléments visuels en question regroupent à peu près tout ce qui est en lien avec l’événement, que ce soit le symbole olympique (les anneaux) ; les mascottes et les pictogrammes des Jeux ; les termes « olympique », « olympiques », « Jeux olympiques », « Olympiade », « Olympiades » ; le nom de la ville hôte des Jeux et l’année des Jeux tel que « Paris 2024 »… En d’autres termes, s’il n’y a pas eu de soutien financier envers le CIO, faites demi-tour au risque d’être sévèrement puni.
Et a fortiori, de brider la créativité. « Le fait d’être à ce point offensif dissuade les marques et la peur de subir une action judiciaire peut les restreindre dans leur créativité, parfois de façon injustifiée », souligne Louise Lacroix, avocate au sein du cabinet Bouchara & Avocats. Pour autant, ce n’est pas un problème franco-français. Tous les pays organisateurs de cette compétition ont connu leur lot de polémiques et les partenaires associés n’ont jamais vraiment pris de risque dans leur communication. « Les agences subissent déjà pas mal de contraintes, alors avec le cahier des charges des JO, le champ des possibilités est très vite réduit. Au final, je trouve même courageux de la part des agences de sortir quelque chose. C’est vraiment dommage qu’il n’y ait pas de dynamique autour de cette fête. La France possède des agences hyper créatives, le panel des partenaires est varié… Cela aurait pu être une opportunité colossale. À ce jour, le seul truc créatif, c’est l’affiche des JO ! », regrette Aïcha Fetouhi. À en croire le magazine Capital, cet événement sportif serait effectivement une aubaine pour le marché publicitaire avec des projections indiquant une croissance des investissements à hauteur de 6,3%, renforçant la position de la France en tant que troisième marché publicitaire européen et sixième mondial. De l’autre côté de l’Atlantique, le Super Bowl prouve que la créativité peut rimer avec événement sportif. Adoré des publicitaires pour son show épique, ce festival de la créativité – presque aussi marquant que les Cannes Lions ou les D & AD – propose aussi bien des campagnes produites par des réalisateurs de renom dont Martin Scorsese que des films épiques ou bien empreints d’humour comme le film Uber Eats réalisé par l’agence Special Group où le couple des Beckham s’auto-parodie. En quelques secondes de diffusion, les annonceurs donnent tout pour faire parler d’eux sur les réseaux.
Profil bas
À l’heure actuelle, les seuls hashtags en lien avec les JO de Paris portent sur des polémiques. « Il y a celle sur les étudiants expulsés de leurs logements Crous, “le nettoyage de Paris”, la baignade dans la Seine, Aya Nakamura et j’en passe… En termes de communication, c’est quand même très confus », rappelle Aïcha Fetouhi. Ils sont pourtant accompagnés par une des plus grosses agences de com, Havas, elle aussi habituée des polémiques, en témoignent les nombreux candidats politiques qu’elle a représentés. Mais selon Jérôme Denis, notre curseur ne serait pas au bon endroit : « Est-ce que l’audace de la com des JO ne se joue pas plutôt sur ce qui fait l’ADN des JO de Paris, c’est-à-dire un côté responsable, plus low profile au profit d’une proposition créative et spectaculaire ? Il y a quelque chose de rassurant dans ces films qui ne prennent pas de risque, il ne faut pas oublier que la pub permet aussi de maquiller des choses pas si belles. Finalement, peut-être que l’audace vient de l’organisation avec pour figure de proue la cérémonie d’ouverture sur la Seine ? »
Si la ferveur collective autour des Jeux reste inaudible, l’esprit patriotique est quant à lui aux abonnés absents. Selon le sondage Viavoice, seuls 37% des Français attendent avec « impatience » les JO. En cause notamment, les actions menées par le gouvernement entraînant la hausse des prix des billets, des locations, des transports… Et une possible fuite des Parisiens de la capitale, en plus de la désaffection du peuple français. « Le groupe LVMH est, à mon sens, le seul annonceur et partenaire engagé. Il investit les médailles, les malles de transport, tout en embrassant le savoir-faire français et joue sur ce sentiment national. Il y a quelque chose de concret et d’audacieux », remarque Jérôme Denis. À trois mois de la compétition, tout peut encore basculer et qui sait, les marques sortiront peut-être le grand jeu.