Il y a un an, le Groupe La Poste adoptait le statut d’entreprise à mission et se dotait d’une raison d’être. Muriel Barnéoud, sa directrice de l’engagement sociétal, en dresse un premier bilan.
Le 8 juin 2021, le Groupe La Poste adoptait en assemblée générale extraordinaire des actionnaires le statut d’entreprise à mission. Le fait d’être déjà une entreprise à mission de service public ne suffisait-il pas ?
Muriel Barnéoud. On pourrait se dire que cela ne change rien, car nous sommes dans la continuité de notre mission de service public, telle qu’inscrite dans nos statuts depuis 2010. Mais en réalité, cela change tout ! Ce statut nous permet d’abord d’inscrire notre ambition de devenir entreprise à mission directement dans notre plan stratégique. Une vision portée et proposée par le management de l’entreprise à ses parties prenantes. Il nous fait embrasser quelque chose de plus large et de plus pérenne.
Jusqu’à présent, le contexte nous plaçait dans un rôle d’exécutant d’une mission, par la volonté de l’autorité. Jusqu’à donner un côté vintage et suranné à notre mission et poser la question de son impact et de son utilité pour l’ensemble du groupe. À l’image de notre mission de diffusion de la presse et de la pensée démocratique, qui nous avait été confiée à une époque où plus de 90 % des informations passaient par le support papier. La diversification et la multiplication des supports (TV, réseaux sociaux etc.) remettent en question la manière d’assurer cette mission.
Vous avez dû définir une raison d’être car vous n’en aviez pas, ce qui paraît incroyable pour une entreprise en général, de service public en particulier…
C’est une aberration que met en relief la loi Pacte. Jusqu’à présent, une entreprise se définissait par une communauté d’intérêt, pas par un objet ! La question de la raison d’être arrive au moment où se pose celle de l’intérêt général, où le sens que l’on donne à l’activité économique est majeur. Si une entreprise veut recruter les meilleurs - collaborateurs, partenaires, investisseurs, clients… - elle doit être capable de valoriser le sens qu’elle donne à son activité. Ce que les GAFAM et les disrupteurs ont très bien compris.
La raison d’être raconte le sens que le management et les parties prenantes donnent à la société. La nôtre est d’accompagner les transitions de la société dans les domaines territoriaux, numériques, écologiques, démographiques. Elle parle d’intérêt général, de bien commun, de lien humain… Elle n’est pas descendante depuis un comex, mais s’inscrit dans un héritage et un ADN. Elle est intemporelle. Ce n’est pas un claim, ni un plan stratégique, cela touche à l’essence même de l’entreprise : l’humain, la création des liens, le souci de l’intérêt général, l’universalité, la proximité… Elle prolonge et projette ça dans le monde de demain. Elle va donc aussi concerner les sujets d’innovation, de performance… C’est un bon mix entre l’ancrage historique et la projection vers l’avenir.
Qu’est-ce que ça change pour l’entreprise et ses collaborateurs ?
Rien du tout, j’espère ! Cela traduit ce que nous faisons déjà. Quand nos facteurs font de l’écoconduite ou quand une chargée de clientèle explique à dix personnes le fonctionnement d’un livret, d’un compte chèque pour faire de l’inclusion bancaire, ils déclinent notre raison d’être. Ils sont déjà dans l’action pour limiter nos impacts. C’est en cela qu’il ne s’agit pas de greenwashing, c’est le quotidien de nos postiers.
Ce changement de statut, s’il ne change rien, n’est donc qu’un prétexte de communication ?
Non bien sûr. Il nous permet de nous inscrire dans le temps, de mettre en place une gouvernance qui vérifie le respect de nos engagements, anticipe et pilote les évolutions à venir. Qui sait à quoi ressemblera la mise en œuvre nos engagements dans dix ans ?
Comment vos engagements actuels se traduisent-ils dans votre relation avec vos partenaires, notamment agences et médias ?
La Poste s’est dotée d’une politique d'achat responsable. Lors des consultations, les prestataires sont notamment informés des règles d’accès au marché, des critères de choix, en amont de leur candidature. Les acheteurs sont mobilisés en donnant de leur temps pour les accompagner et leur répondre. Pour garantir la juste mobilisation des fournisseurs en réponse aux appels d’offres européens, nous mettons en place une présélection sur candidatures avant toute réception des offres et définissons un calendrier de réponse adapté. Par exemple, en neutralisant les périodes de congés, ce qui permet aux candidats de mobiliser les équipes sans mettre en risque leurs activités opérationnelles.
Sur certains appels d‘offres, La Poste peut mettre en place une indemnité compensatoire fixée en amont dans le règlement de consultation. Nous mettons un soin particulier à débriefer les agences perdantes, afin de les aider à mieux comprendre l’analyse qui a été faite de leur proposition pour être en capacité de répondre aux prochains marchés.
La Poste considère ses prestataires comme des partenaires et met en place des actions de suivi tout au long des contrats, pour assurer une vraie relation équilibrée et pérenne.
Étant une entreprise engagée, votre communication ne devrait-elle pas être plus militante ?
Être une entreprise à mission ne veut pas dire que nous sommes devenus une ONG. Nous ne portons pas l’idée d’un monde où la valeur économique, la performance ou la croissance seraient interdites ! Nous sommes là pour proposer un monde qui se développe sans « manger » la planète. Nous sommes là pour amortir, voire effacer nos impacts et aider nos clients à en faire autant à travers ce qu’ils nous achètent.
Notre communication reste axée sur la preuve. Quand nous parlons RSE, c’est à travers nos offres, sur des éléments probants. Nous voulons informer les gens de leur impact, en les laissant libres de leurs choix.
Le côté militant nous l’avons auprès des fournisseurs avec lesquels nous sommes déjà engagés dans une démarche de progrès, ou à travers le soutien de collectifs d’entreprises et la signature de plaidoyers sur l’ISR [Investissement socialement responsable], la biodiversité etc. Nous n’avançons pas seuls et préférons embarquer un maximum de monde, car c’est le seul moyen de faire bouger les écosystèmes.