L’homme caucasien hétéro a longtemps régné sans partage dans le royaume de la publicité. A l’heure où les entreprises sont sommées de s’engager vers plus de responsabilité, sur ce sujet aussi les choses doivent changer. État des lieux.
Mais où est donc passée cette planète vendue par la publicité des années 1990, où vivaient des familles plastiquement parfaites ? Rappelez-vous : on promettait l’opprobre à ceux qui auraient voulu raconter autre chose. Scandaleuse, la campagne HIV Positive de Luciano Benetton. Honteuses, les jambes prothétiques de l’athlète Aimée Mullins sur le catwalk d’Alexander Mc Queen. Provocants, les mannequins octogénaires de Jean Paul Gaultier. Résultat de ces années politiquement correctes : zéro pointé ou presque sur la représentation de la diversité en publicité. Rien que sur le volet du handicap, le baromètre créé cette année par Kantar pour Com’ent identifie seulement 160 créations par an sur un quart de siècle, portées par 939 annonceurs sur 50 000. Il va pourtant falloir que les 49 000 autres réagissent, car les Français sont formels. Une étude de Getty Image révélait en 2020 que 75 % d’entre eux attendent de la diversité dans les communications, intégrant la parité des sexes et des origines, ou encore les notions de handicap et de LGBTQIA +. Dans un monde en quête de sens, la publicité est à la fois son reflet et son moteur. « Elle déclenche un affect et une empathie pour les personnages que n’offre pas l’information », aime à rappeler Laura Kaim, fondatrice de l’agence Singularist (lire ci-après). Pour Caroline Guillaumin, DRH et directrice de la communication du groupe Société Générale, les entreprises doivent avoir conscience de ce pouvoir : « Notre force de frappe publicitaire impacte nos clients, nos employés comme le grand public ; il est de notre responsabilité de porter cette diversité pour faire progresser le mieux vivre ensemble. »
Les choses bougent enfin. « Encore au stade de la sensibilisation, nous sommes néanmoins à un moment clef, en particulier au sein des agences », croit Valérie Richard, responsable RSE de BETC, qui multiplie les formations au sein de l’agence. Évidemment, la frilosité est encore palpable, créant des disparités, avec néanmoins un beau peloton de tête. Société Générale, SNCF, Mondelez, L’Oréal, Decathlon, EDF, Publicis, Le Slip Français, BETC ou The Good Company, ceux-là ont ouvert la brèche. Pour le reste, tout dépend. De l’avis général, les Anglo-Saxons ont une sacrée longueur d’avance. Côté secteurs, luxe, beauté, et sport se démarquent aussi. Sur la représentation même des diversités, la parité des genres est digérée, et la dictature du physique cède, renversée par les 14,5 millions de hashtags #BodyPositive. « La question de représentation des origines est elle aussi mieux adressée, à l’exception de la communauté asiatique, grande oubliée de ces combats », constate Sophie Roosen, directrice Marque et impact de l’Union des marques (UDM). Pour l’experte, il reste fort à faire au sujet du handicap : « Encore sous-représentées et à la manière de super-héros, les personnes en situation de handicap doivent apparaître davantage, et surtout comme les autres ». La tâche est également ardue sur les sujets LGBTQIA +, hors secteur mode ou cette communauté est mieux représentée.
De manière plus globale, le chemin reste long. « Il faut maintenant dépasser ce simple stade de la représentativité ou l’on coche les cases de la diversité », raconte Caroline Guillaumin, qui a par exemple demandé à ses équipes de rechercher plus d’histoires de femmes entrepreneuses pour une campagne qui n’en comptait initialement que 20 %. Dans le viseur donc, les stéréotypes encore trop présents, à l’image du gay capricieux, du senior papy gâteau, de la femme en cuisine, ou des médecins toujours hommes et blancs, pour ne citer que ces exemples. Selon Sophie Roosen, « cela exige de la nuance, car il ne faut pas pour combattre ces stéréotypes en créer d’autres ou s’interdire la normalité du banal ». L’Union des marques propose à ses membres l’outil Récurrence, capable de diagnostiquer ces stéréotypes. Caroline Guillaumin n’hésite pas, quant à elle, à solliciter à chaque fois les instances internes des communautés représentées pour éviter les écueils. Des démarches qui semblent indispensables à Valérie Richard, si l’on veut atteindre à plus long terme le Graal de la diversité, où chacun deviendrait un citoyen comme un autre. « Les premières campagnes ont aidé à caricaturer les travers. Nous-mêmes, rappelle-t-elle, tapions du pied dans la fourmilière avec le spot Cillit Bang ou l’un des premiers hommes de la publicité faisait le ménage. Notre travail doit désormais permettre à la diversité de devenir naturelle pour ne plus se remarquer. »
Et nous sommes encore loin du compte, à l’exception de quelques campagnes. En premier lieu l’iconique Hexagonal imaginée par Publicis pour la SNCF, fraîchement primée par les trophées Represente de l’UDM. Remarqués aussi, l’exemplaire C’est vous l’Avenir de la Société Générale ou la campagne Remettons nous en Selle d’Axa. Accélérer la cadence nécessite de la sensibilisation à haute dose. « Pour dédramatiser et éduquer, relate Laura Kaim, nous intervenons beaucoup dans les écoles de scénaristes, auprès d’une jeune génération à l’écoute. » Certains, à l’instar de Caroline Guillaumin, n’ont pas de tabou avec les quotas, puisque « cela a pu faire bouger les lignes sur la parité en entreprise, alors pourquoi pas en publicité ? ». Et beaucoup attendent aussi de la transition écologique et sociétale qui opère dans les entreprises. Pour Valérie Richard, « plus elles s’engageront en interne, plus les lignes bougeront naturellement dans la représentation de leur image. Les deux versants auront un effet miroir ».
Le nouveau modèle de l’agence artistique Singularist
Cette agence artistique inclusive, créée en juin dernier, a pour vocation de représenter tout type de talents, qu’ils soient porteurs de handicap, valides, LGBTQIA +, ou de toutes origines. Le job des fondatrices Laura Kaim et Marie Mingalon ? « Travailler à ce que l’inclusion en publicité et en fiction ne soit plus un sujet de peur, en gérant pour le comédien et la production l’accompagnement, la formation, les aménagements et la création de contrats spécifiques adaptés. ». Démarche prometteuse, s’il en est, puisque des discussions sont en cours avec certaines agences pour systématiser les collaborations.