À l’occasion de Dry January, mois durant lequel les participants sont invités à questionner leur consommation d’alcool, Nelly David, directrice générale de l’association Addictions France, revient sur les enjeux de cette opération et appelle une nouvelle fois le gouvernement à la soutenir.

Pour beaucoup, le début d’année est synonyme de nouvelles résolutions. Certains reprennent le sport, d’autres promettent de moins sortir… Janvier est aussi devenu, depuis peu, le rendez-vous des personnes qui veulent réduire leur consommation d’alcool, avec l’opération Dry January (également appelée Défi de Janvier). Cette détox annuelle invite les Français à se poser et se questionner sur leur consommation d’alcool. Même si cette opération rencontre un certain succès depuis sa mise en place en France en 2020, ni le gouvernement, ni les pouvoirs publics ne la soutiennent. Stratégies a interrogé l'une des associations instigatrices de ce mouvement, Addictions France, pour en savoir davantage.

Pourriez-vous rappeler le rôle de l’association Addictions France ?

Cela fait plus de 150 ans que notre association œuvre dans le domaine des addictions et plus particulièrement autour de l’alcool. Nous accompagnons les personnes souffrantes d’addiction, c’est anonyme et gratuit. Par ailleurs, nous sommes les garants de la loi Evin en France.

En 2019, le gouvernement a retiré son soutien à l’opération Dry January, qui sera lancée en France un an plus tard. Pourquoi ?

À l’automne 2019, Santé Publique France portait un projet de Dry January, à l’image de l’opération créée au Royaume-Uni, avec un moment pour soi où l'on interroge sa consommation d’alcool. Mais en novembre 2019, nous apprenions que la campagne ne sortirait pas. Les associations contre les addictions (Addictions France, Addict’Aide, la Fédération Française d'Alcoologie, Respadd et la Société Française d’Alcoologie) ont donc pris le taureau par les cornes en lançant en 2020 le Défi de Janvier, une campagne s’inspirant des Britanniques et de leur Dry January, le tout avec peu de moyens. C’est aujourd'hui un succès : plus d’un Français sur 10 y participe. En 2023, selon un sondage Ifop, un tiers des Français se disait prêt à participer. En parallèle, nous avons également sorti un sondage avec BVA Xsight sur les usages de l’alcool révélant que deux tiers des Français connaissent ce défi, qu’un Français sur dix a déjà tenté l’expérience et que plus de 60% de la population souhaitaient y participer en 2024.

En quoi consiste cette opération et comment communiquez-vous là-dessus ?

Plutôt que de taper sur les lobbys, nous préférons communiquer un message positif avec le Dry January en incitant les Français, après les fêtes, à se questionner sur leur consommation d’alcool. On ne dit pas d’arrêter d’en consommer, on appelle à en consommer moins. En France, il y a une banalisation de l’alcool en France, on ne cesse d’entendre des arguments tels que : « c’est la culture », « c’est la convivialité ». Le problème, c’est qu’un quart des Français dépasse les repères de consommation et si le tabac entraîne chaque année 79 000 morts, 41 000 décès sont liés à l’alcool. Il y a aussi cette fausse idée qui s’est installée, selon laquelle, si on ne boit pas, c’est mal vu. Ainsi début janvier, avec l’aide de plusieurs associations, nous avons lancé la campagne sur les réseaux sociaux, des influenceurs se sont également associés à l’opération pour partager leurs expériences.

Selon vous, les alcooliers tentent de se réapproprier cette campagne de santé publique pour ne pas risquer de voir leurs ventes baisser ?

En effet, depuis 2020, nous assistons à ce phénomène pour le moins inquiétant : des alcooliers surfent sur l’opération Dry January en incitant les gens à consommer de l’alcool de façon plus raisonnée. C'est le cas par exemple de la campagne pour les vins d’Alsace. De plus, ces entreprises en profitent pour faire la promotion de leurs marques de vins ou de cocktails sans alcool.

Pourquoi le gouvernement est-il si réticent à prendre part à cette opération ?

En France, les lobbys de l’alcool se positionnent comme des acteurs de la santé publique, ils font de la prévention alors que les producteurs ne peuvent ni faire de la prévention ni de la communication, rappelle l’Organisation mondiale de la santé. Les intérêts sont bien trop divergents. Les lobbys impactent l’État, ils ont la place de décideurs qu’on leur donne et le plus gros lobbyiste reste le président de la République. Pour rappel, en 2020, Emmanuel Macron a été sacré « Personnalité de l’année 2022 » par la Revue du vin de France.

Qu’attendez-vous du gouvernement ?

Nous aimerions qu’il soutienne cette opération. Contrairement à l’industrie de tabac, nous n’avons pas de plan stratégique ambitieux car les lobbys ne le souhaitent tout simplement pas. La fiscalité des alcools n’a pas bougé tandis que le prix du tabac augmente chaque année. D’ailleurs, Santé Publique France porte l’opération « Mois sans tabac », menée en novembre, contrairement au Dry January. L’autorégulation, à l’image de l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité), n’existe pas dans le secteur de l’alcool. Si cela était le cas, nous aurions moins de publicités sur le sujet et aucun influenceur ne risquerait de faire de la promotion sur l’alcool. Même le secteur des paris sportifs possède sa propre agence de régulation avec l’ANJ (Autorité national des jeux). La seule barrière de protection concernant l’alcool que nous avons réside dans la loi Evin, même si elle a été détricotée en 2015, permettant ainsi de contourner certaines interdictions de communication autour de l’alcool. Nous avons une autre inquiétude : en France, il y a une obligation d’étiquetage, mais sur les étiquettes des bouteilles d’alcool, rien n’est mentionné, ni les ingrédients, ni le nombre de calories.

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