Les dispositions sur la publicité de la loi Climat et Résilience, promulguée le 22 août 2021, peinent à convaincre. Le texte est jugé peu contraignant et les Contrats climat tardent à être adoptés par les entreprises, même si le secteur de la communication est plutôt bon élève sur le sujet.
« Tout ça pour ça. » Un an et demi après la promulgation de la loi Climat et Résilience, Sylvain Burquier est furieux. Pour ce responsable pub et médias d’une société de services, tiré au sort avec 149 autres personnes pour participer à la Convention citoyenne pour le climat (CCC) à l’origine de cette loi, promise comme la grande loi environnement du président Macron, le compte n’y est pas. « C’est dommage pour la publicité, dont le propre est normalement de sentir les tendances et le monde de demain, estime-t-il. Mais la filière a préféré, via un intense lobbying, faire un pas de côté plutôt que d’assumer pleinement sa responsabilité. »
Avec une loi jugée peu contraignante, le secteur de la communication et des médias s’en sortirait bien. Exit les propositions de la CCC sur la suppression des publicités « incitant à des modes de consommation excessifs » (soldes, ventes par lots) ou l’obligation de mentions encourageant à consommer moins ou mieux. Par ailleurs, sur le sujet de la distribution de prospectus dans les boîtes aux lettres, le gouvernement a lancé l’expérimentation d’un dispositif « Oui Pub » dans quatorze collectivités durant trois ans. Un bilan sera tiré en 2025. Concernant la publicité digitale, pourtant réputée comme l’une des plus polluantes, la loi Climat est carrément muette. « Cette loi est une blague », résume un directeur d’agence. Seules deux propositions ont été reprises en l’état : l’interdiction de la distribution forcée d’échantillons gratuits et celle des avions publicitaires. « Epsilonesque et inefficace : les avions ont été aussitôt remplacés par des bateaux », s’amuse un autre professionnel du secteur.
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La mesure phare de la loi, l’interdiction de la publicité pour les énergies fossiles et les automobiles, ne concerne plus que les carburants et les véhicules les plus polluants, type SUV. Et l’interdiction de la publicité pour ces derniers a été repoussée au 1er janvier 2028. Reste l’engagement de mettre en avant dans les publicités l’impact environnemental des biens et services, avec un « score carbone » obligatoire pour certains (notamment, depuis le 1er mars 2022, des mentions énergétiques pour les produits électroniques et les voitures). Ou encore, pour lutter contre le greenwashing, l’engagement de ne plus vanter un produit ou un service neutre en carbone sans preuves « aisément accessibles au public ».
Les engagements pris par chacun doivent être matérialisés dans des Contrats climat, clés de voûte de la loi, obligatoires pour les sociétés dépensant plus de 100 000 euros chaque année en publicité. « Franchement, les entreprises sont en ce moment beaucoup plus focalisées sur leurs obligations réglementaires d’affichage de leur bilan carbone scope 3 (sous peine d’amendes de 10 000 euros) plutôt que sur les Contrats climat », relève Imène Boumghar, consultante senior chez Axionable, un cabinet de conseil spécialisé dans les technologies vertes. À leur décharge, un calendrier flou et une procédure complexe, mais « pas sûr que la voie de l’autorégulation choisie par les pouvoirs publics fonctionne ».
L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), chargée de promouvoir des codes de bonne conduite, a rendu un premier rapport sur l’efficacité des Contrats climat qui laisse effectivement perplexe. Seulement 18 % des entreprises assujetties ont souscrit à ce type de contrat. Aux abonnés absents, nombre de constructeurs automobiles tels Honda, Kia, Mazda ou Renault Retail, et pléthore de distributeurs, comme Aldi, Cora, Lidl, Monoprix, Rue du Commerce, Bricorama ou encore Bricomarché. Parmi les 77 signataires des Contrats climat, 30 % n’ont pris aucun engagement portant sur l’objet principal de la loi, à savoir la réduction de la publicité sur les produits défavorables à l’environnement, et seules huit entreprises ont indiqué vouloir lutter contre le greenwashing.
« La plupart des engagements sont trop peu ambitieux face à l’impératif d’une prise en compte des enjeux environnementaux dans les communications commerciales », juge le rapport de l’Arcom. Depuis l’entrée en vigueur de la loi à l’été 2021, sept affaires judiciaires ont même été ouvertes contre des entreprises, à la suite de plaintes pour « pratiques commerciales trompeuses ». Des communications de TotalEnergies et Adidas ont été notamment visées.
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Alors, comment se comporte la filière communication ? Plutôt en bon élève, selon l’Arcom, hormis la faible mobilisation des plateformes en ligne. L’Autorité salue l’engagement d’acteurs non assujettis de la chaîne de valeur de la publicité, qui ont souscrit volontairement un Contrat climat. Ainsi, vingt-quatre agences, douze médias audiovisuels, trois régies pub et les principaux syndicats représentatifs de la profession (AACC, Udecam, SRI, SNPT, UPE) ont signé un Contrat climat. Si la majorité des acteurs s’inscrivent déjà depuis plusieurs années dans la transition écologique, tous prennent cette loi au sérieux.
« Dès sa promulgation, tout le personnel de l’agence a reçu une formation dédiée, indique Valérie Richard, responsable RSE chez BETC. La filière communication a une grande responsabilité dans les représentations de la société. On se doit d’avoir un rôle moteur pour mieux éduquer les annonceurs. Comment ? Au-delà des bonnes pratiques de l’agence (écoconception, calculette carbone…), en réussissant à les convaincre de mettre en avant de nouveaux imaginaires liés à la transition environnementale. » Par exemple, en insistant sur la durabilité et la réparabilité des appareils dans la campagne Bouygues Telecom « Keep on fallin’ » (BETC), sur les nouvelles façons de consommer durable dans la dernière campagne de Leroy Merlin (BETC Fullsix) ou en faisant la promotion des écogestes dans celle d’EDF (Havas-BETC).
Même discours chez France.tv studio, société de production de France Télévisions. « En tant que service public, nous voulons être une locomotive et un exemple », affirme sa directrice générale déléguée, Laurence Schwob. Après avoir obtenu le label RSE Lucie 26000 en décembre 2022, la société a rejoint en février dernier l’association Ecoprod, qui sensibilise le secteur de l’audiovisuel et du cinéma à son impact environnemental. Un si grand soleil, le feuilleton phare de France 2, n’est ainsi tourné depuis 2018 qu’avec des matériaux écoconçus. « S’inscrire dans la transition écologique, c’est non seulement un enjeu d’attractivité des talents et de motivation des équipes, mais aussi un enjeu de business. Alors forcément, cela commence à bouger sérieusement dans le secteur », souligne Laurence Schwob. En cause, l’écoconditionnalité des aides du CNC depuis le 1er janvier 2023 à la fourniture d’un bilan carbone détaillé.
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Dans la lignée de la loi Climat et dans la logique de promotion des actions positives, la secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire, Marlène Schiappa, a lancé l’Observatoire de la communication à impact positif, en compagnie notamment de Mercedes Erra (La Filière communication), Hervé Navellou (Union des Marques) ou encore François d’Aubert (Autorité de régulation professionnelle de la publicité). Un rapport annuel listant les meilleures pratiques sera publié au premier trimestre 2024. Si le secteur avait voulu faire un concours d’engagements, il ne s’y serait pas pris autrement. « Pour être plus crédibles dans les démarches et pouvoir convaincre les annonceurs, les acteurs de la communication doivent s’entendre dans chaque filière sur un référentiel commun unique pour mesurer les empreintes carbone », prévient Valérie Richard.
Stéphane Martin, le directeur général de l’ARPP, est moins inquiet : « Aucune loi ne peut seule répondre au changement climatique, on s’inscrit dans du temps long. L’important est que la trajectoire soit déjà bien empruntée. » L’ARPP a reçu cette année 4 000 demandes d’avis d’annonceurs sur des engagements environnementaux dans leurs campagnes avant diffusion. « Certes, nous en avons retoqué la majorité, mais ces demandes ont doublé en deux ans, c’est un bon signal », assure-t-il. Temps long contre urgence climatique… Le débat est loin d’être clos.
Dans la presse également, on s’active pour se verdir. Les différentes familles du secteur ont, sous l’égide de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), fait paraître en février dernier un livre blanc. Au programme, renforcement de la couverture éditoriale des enjeux environnementaux, plan de réduction de l’empreinte carbone, démarches de sobriété énergétique (performance thermique des locaux, télétravail…) et engagement « à produire de façon durable ». Par exemple, en accélérant le taux de recyclage des journaux et des magazines, en misant sur des solutions d’envoi sans emballage ou, pour les diffusions numériques, en repensant le choix des serveurs et en optimisant le poids des vidéos en fonction du type d’écran. Des engagements bienvenus pour crédibiliser la demande des éditeurs du maintien du « dispositif vertueux d’écocontribution en nature », dont la disparition est prévue en 2023. La fin de ce régime dérogatoire pourrait se traduire par une taxe sur les éditeurs estimée à 22 millions d’euros en 2023.