À l’occasion de la sortie de son livre « Communication et marketing responsables » (éditions Dunod), Assaël Adary, notamment cofondateur de l’institut Occurrence, estime que la mise en œuvre de pratiques vertueuses suppose un changement de logiciel. Car s’il faut consommer moins et mieux, il faut également revoir en profondeur la manière de communiquer.
Pourquoi consacrer votre dernier livre à la communication et au marketing responsables, des thématiques dont on parle déjà énormément ?
L’idée est d’offrir au lecteur une boîte à concepts et outils en faveur d’une communication et d’un marketing responsables. Le sujet est certes loin d’être neuf, en témoigne la norme 26 000 ayant permis d’équiper les métiers de la communication dès 2012. Mais les paroles supplantent aujourd’hui les actes, chaque agence ou annonceur essayant d’en faire un argument concurrentiel. Sans omettre des débats très centrés sur la publicité. C’est une erreur car le sujet est totalement transversal. Au regard des sommes qu’elle véhicule, il est logique que la pub soit mise en avant. Mais il ne s’agit pas que de transformer la publicité ou de se focaliser sur l’environnement. La communication responsable touche absolument tous les métiers –RP, digital, social media, communication corporate... Si la transition écologique reste la mère des batailles, tout a son importance. Ne serait-ce que les rapports entre les agences et les marques, la manière dont les compétitions sont menées… Ce livre évoque aussi largement la transformation des pratiques, avec par exemple un chapitre entier consacré à l’éco-socio-construction.
Un raccourci répandu consiste à assimiler RSE et communication responsable. Comment les différencier et définir cette dernière ?
Il s'agit d’un processus autrement plus engageant et ambitieux que d’embarquer la simple thématique RSE. Cela revient à questionner les pratiques, les outils, et ce jusque dans les moindres détails. Deux exemples sur le digital : le support est-il accessible aux malvoyants ? Quel est le coût carbone du stockage ? D’autre part, communiquer sur certains sujets ne signifie pas être exemplaire dans la manière de communiquer. Et inversement. Un fabricant de missiles peut très bien communiquer proprement, à l’inverse d’une ONG dont la communication serait moins responsable. Autrement dit, il ne faut pas que la RSE devienne un alibi ou que la fin justifie les moyens.
Les marques communiquent à outrance sur ces sujets, un phénomène qui tend à décrédibiliser les prises de parole sincères, noyées dans la masse.
Ce problème de surcommunication appelle à se pencher sur la notion de sobriété, que ce secteur doit apprendre. Il y a en effet un bashing permanent du métier dont les retombées économiques ne sont pourtant plus à démontrer. Cela reste un secteur comme un autre avec des emplois, de la création de valeur… Le sujet central, c’est de faire mieux mais moins. Un autre point traité dans le livre et qui constitue un angle mort de l’argumentaire des antipubs et autres anticom, c’est le cas du financement des médias. Qu’on le veuille ou non, ce sont entre 12 et 15 milliards d’euros qui alimentent chaque année des organes démocratiques essentiels. On assiste en réalité avec cette communication à outrance à une surenchère de laquelle émergent des nouvelles à la fois positives et négatives. Alors que le greenwashing est en baisse, d’autres formes de récupérations font leur apparition : socialwashing, pinkwahing, purpose washing… Car il faut le dire : être une entreprise à mission n’induit pas des pratiques vertueuses.
Autre problème pour la communication responsable, les efforts consentis peuvent parfois sembler infimes par rapport à l’urgence de la situation…
Cela dépend de la manière dont on regarde les choses, que ce soit avec un microscope ou un grand angle. Ce qui est sûr, c’est que des efforts sont réellement fournis mais que les professionnels de nos métiers doivent se discipliner à l’échelle globale. Ce n’est pas un livre pour ou contre les agences car les annonceurs restent les donneurs d’ordres. Si les 10 ou 20 plus gros annonceurs français opèrent la bascule, cela peut d’ailleurs aller très vite. Des outils existent comme on le voit avec le Guide de la communication responsable publié par l’Ademe, le label Agences Actives de l’AACC ou La Belle Compétition, qu’hélas peu d’annonceurs ont signé a contrario des agences. Il faut un mouvement général. Autre enjeu crucial : les talents, alors que les difficultés de recrutement sont récurrentes chez les agences et les annonceurs. La communication ne fait clairement pas rêver la jeunesse. Or la com responsable, à la fin des fins, c’est de pouvoir développer un autre imaginaire collectif que celui qu’on lui attribue classiquement. À savoir : consommer c’est le bonheur. Surconsommer, c’est encore mieux.
Les citoyens ont aujourd’hui plus confiance dans les marques que dans les institutions politiques ou les médias. Que faut-il déduire de ce nouvel ordre mondial ?
Qu’il y a un véritable momentum pour les marques et les agences dans années à venir, à condition de rester à leur place. Et ce même si la communication dispose d’une grande capacité d’influence. Le dernier rapport sur les SUV et la pub de WWF ne dit pas autre chose. Il prouve que les SUV font l’objet d’un véritable matraquage publicitaire et que ceux-ci sont ceux qui se vendent le mieux en France. Cette corrélation, c’est la preuve que la communication a un impact concret. Au-delà du ROI, devenu un indicateur clé, un chapitre du livre est consacré aux KPI’s et à la mesure de la com responsable. Il faut dépasser le stade de la charte même si celui-ci est utile et mettre en place des indicateurs. Cela se fait déjà dans l’événementiel avec le calcul de l’empreinte carbone par exemple mais il faut étendre et généraliser les démarches. Car beaucoup reste à faire. Ne serait-ce que sur la visibilité accordée aux personnes en situation de handicap. Alors que celles-ci représentent 15% de la population, une étude menée par Kantar sur 30 ans de publicité a fait apparaître un taux de visibilité de 1%.
L’expérience prouve malheureusement que l’autorégulation ou les bonnes paroles ne suffisent pas forcément. Faut-il réglementer ces aspects dans un secteur déjà très encadré ?
Il existe trois niveaux de responsabilité : la loi, la déontologie qui concerne tous les métiers et enfin l’éthique, qui renvoie à une notion individuelle qu’il convient de normer ou tout du moins de renforcer. La loi arrive souvent quand l’éthique et la déontologie ont failli au préalable. C’est ce qui est arrivé avec la loi Sapin, qui a sifflé la fin de la récréation sur le volet des achats d’espaces publicitaires. À l’heure actuelle, il faut muscler ces deux aspects, des choses qui relèvent à la fois de la régulation individuelle et sectorielle.