D’élixir végétal à usage pharmaceutique au 18e siècle à reine des liqueurs aujourd’hui, La Chartreuse, produite en Isère, a su s’adapter à tous les modes consommation sans jamais perdre son authenticité. Au point de devenir aujourd’hui une marque internationale.
C’est un caviste un peu particulier du quartier du Marais à Paris. Plus que de bouteilles de vin ou de whisky, la vitrine est occupée par une liqueur à la couleur parfois verte, parfois jaune : La Chartreuse. En poussant la porte des Caves Bossetti, la collection de vieux flacons et de gadgets à l’effigie de la liqueur saute aux yeux. Créée à Paris en 1755 par l’ordre religieux des Chartreux, elle était initialement destinée à devenir un remède. C’est en 1774 qu’un manuscrit de sept pages officialise la « composition de l’Élixir de Chartreuse ».
Le gérant de la cave, Philippe Beaudet, se souvient de son premier verre. « C’était il y a longtemps, une époque où personne n’en parlait encore. C’est un ami qui m’avait offert une bouteille de mon année de naissance. » Mais ce que le vendeur de 54 ans a goûté n’avait rien à voir avec l’élixir originel qu’en 1840 les moines avaient eu l’idée de transformer en liqueur. La Chartreuse est alors commercialisée. Les ventes, encore aujourd’hui, sont le revenu principal du monastère de la Grande Chartreuse, située en Isère entre Chambéry et Grenoble.
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Composée de 130 plantes, la recette, restée secrète, est connue de deux moines seulement et elle a résisté à l’histoire mouvementée de l’ordre religieux. Au début du 20ème siècle, l’anticléricalisme chasse les chartreux de France. Ces derniers s’exilent en Espagne, à Tarragone. Cette délocalisation participe aux premiers succès internationaux de La Chartreuse, qui se retrouve citée dans le roman de Francis Scott Fitzgerald, Gatsby Le Magnifique publié en 1925. Quelque temps plus tard, c’est Alfred Hitchcock qui fait apparaître la liqueur dans son film Une femme disparaît en 1938.
Nouvelle étiquette, nouveau design des bouteilles, La Chartreuse connaît sa première véritable évolution marketing pendant les Trente Glorieuses. À la fin des années 1950 sont lancées les premières campagnes publicitaires, d’abord des affichages dans les villes puis des publicités radiophoniques. L’engouement monte et les ventes s’intensifient jusqu’aux États-Unis.
De sa cave parisienne, Philippe Beaudet est parvenu à entretenir un lien fort avec la Chartreuse. Les professionnels représentent une grande part de sa clientèle. Dans les bars, restaurants et hôtels de la capitale, ce produit est devenu incontournable.
Aujourd’hui les bouteilles de Chartreuse, devenues objets de spéculation, inondent les sites d’enchères en ligne. Les prix atteignent rapidement le millier d’euros, le record s’est établi l’an dernier à 46 000€ pour un flacon très rare. Un phénomène qui ne devrait pas ralentir dans le futur, puisque les moines chartreux refusent de produire plus pour répondre à la demande croissante. Cela signifierait pour eux une réduction de leur temps de prière. Chartreuse Diffusion a aussi décidé de diversifier ses revenus, avec l’inauguration à Voiron du site des Caves de la Chartreuse, un lieu de culture et d’histoire de la liqueur iséroise. Autant d’initiatives qui devraient accentuer le culte autour de la désormais célèbre liqueur.
La Chartreuse en chiffres
1,5 million de bouteilles produites annuellement
Les ventes ont doublé en 20 ans : de 500 000 litres vendus en 2000 à 1 million de litres en 2021
+25 % de demande sur les douze derniers mois
Ventes fixées à 1 million de litres par an à partir de 2022 malgré la hausse de la demande