Uber Eats a de l'appétit. Mais c'est l'agence OMD qui a cuisiné. La marque sera sponsor officiel de la Ligue 1 pour la saison prochaine, et donnera son nom à la compétition dès septembre 2020, pour deux saisons, en lieu et place de Conforama. En outre, elle devient le sponsor officiel de l’Olympique de Marseille, et s’affichera sur le maillot phocéen.
Comment tout a commencé ? Fin 2018, Uber Eats, client d’OMD depuis un an, vient proposer à son partenaire un nouveau brief. Arrivée en France en 2016, la marque veut appuyer sur l’accélérateur. Partenaire de 15 000 restaurants dans plus de 100 villes, elle double ses ventes tous les ans, mais veut encore gagner en notoriété. L’application de livraison de repas à domicile a dépassé les 5 millions de téléchargements, mais ce n’est pas suffisant. Dans le modèle économique des géants technologiques, « the winner takes it all ». Seul le leader en parts de marché survivra. Alors la marque doit frapper fort. Grossir vite. Mais elle doit aussi gagner en aspérités… Sa cousine, Uber, prend de la place. Uber Eats doit se différencier. Stratégiquement, toutes les portes sont ouvertes. OMD planche donc sur le brief, et invite les équipes de Fuse dans la partie. « La question n’était pas de savoir quoi faire dans le football pour la saison 19/20, mais plutôt quelle était la meilleure stratégie à mettre en œuvre pour accélérer la montée en croissance en France, le plus rapidement possible », commente Bertrand Nadeau, directeur général de l’agence Fuse.
7 millions de Français chaque semaine
« Dans l’éventail des solutions stratégiques que nous avions sur la table, le sport est sorti du lot », raconte-il [lire encadré]. « La Ligue 1, c’est 7 millions de Français qui regardent toutes les semaines, s’enthousiasme Stéphane Ficaja, directeur général Uber Eats. Le football, c’était très pertinent pour nous. » Et la chance s’invite toujours dans les belles histoires. La Ligue de Football Professionnelle [LFP] était, de son côté, en plein revirement stratégique. Arrivé en 2016, son directeur général, Didier Quillot, est un businessman averti, et il assume totalement, sans sourciller, que « le football n’est pas un sport, mais un spectacle ». Et depuis trois ans, cet ancien président du directoire de Lagardère Active s’évertue à faire grandir le business de la Ligue, et ses trois marques filles : Ligue 1, Ligue 2 et Coupe de la Ligue. Augmentation des droits TV, image internationale, naming des compétitions… Lui et son accent du sud transforment les buts en euros. « Le spectacle s’est amélioré avec plus de stars internationales, et aussi plus de buts par match (2,8 en moyenne). Résultat, l’image a gagné 10 points en considération positive sur la Ligue 1. Et lors de notre dernier appel d’offres, les droits TV ont grimpé de 60 % », énumère-t-il fièrement. La LFP est une marque à part entière. Elle vient de refaire son logo, plus digital, elle valorise son patrimoine au travers d’un podcast sur les grandes figures de la Ligue 1… Et veut s’associer à une marque jeune, technologique et internationale. Didier Quillot sait ce qu’il veut, il sait ce qu’il vend. « Nous avons beaucoup appris avec Conforama. Nous avons tout mesuré, et savons ce qu’un partenariat avec la Ligue 1 apporte », nous confie-t-il. Résultat, en 2019, les prix montent : la Ligue demande le double.
Échange de bons procédés
De leur côté, OMD et Fuse s’activent. « Dans ce genre de contrat, on ne voit jamais d’agence média, confie un expert du secteur. Ces discussions sont “trustées” par des agences spécialisées, comme Havas Sports Entertainment ou Lagardère Sport. » Mais dans cette association, l’approche a complètement changé. Le sport a été perçu comme un média et mesuré plus précisément. « Nous avons effectué une analyse complète des retombées, mais également des niveaux de répétition, grâce à la récurrence », décrit Bertrand Nadeau. Et outre cette approche inédite pour un partenariat de naming, « nous avons pu nous projeter très vite, et aller dans le concret », assure Stéphane Ficaja. Activations, et surtout échange de bons procédés sur le digital où les bases de données vont se compléter parfaitement. Deux mois auront suffi pour boucler le deal, en dehors de soirées entières à discuter des risques avec les avocats… car Uber questionne. Pas tant du point de vue de la rémunération des chauffeurs que des risques financiers : dans un monde de géants technologiques dont la valeur boursière suit le sens du vent, quid du long terme ? Pourtant, si Uber n’a encore jamais réalisé de profit, elle a mis la main à la poche sans hésiter. Selon des chiffres « non officiels », le contrat s'élève à 15 millions d’euros par an. Moins la première année, car il n’y aura pas de naming. Et ça fonctionne : la notoriété a grimpé dès l’annonce du contrat. Quant aux « aspérités », c’est tout le but du partenariat avec l’OM, déjà vivement – voire âprement – discuté depuis le premier juillet… Gagner en caractère, Uber Eats n’en demandait pas moins.
Bertrand Nadeau, DG de l'agence Fuse
On n’attend pas une agence média dans ces partenariats. Comment êtes vous arrivés là ?
Nous travaillons pour Uber Eats depuis 2017. Elle ne nous a pas posé une question « sport marketing », mais une question « business » : comment accélérer la montée en croissance en France le plus rapidement possible. Nous connaissions l’univers et du sport marketing, mais ce n’est qu’après un travail d’analyse de toutes les options, avec les équipes d’OMD que ce partenariat s’est imposé. Nous avons ensuite négocié l’ensemble des droits et acté quelques premières activations comme celles du « delivery ball », où un chauffeur viendra livrer le ballon sur le terrain.
Fuse est connue en Angleterre sur le sport. Est-ce un virage que vous voulez prendre ?
Nous sommes ravis que cette annonce nous mette en lumière sur ce domaine en France, mais notre ambition n’était sincèrement pas là. Nous travaillons pour les clients des deux agences d’OMG (OMD et Re-Mind PHD). Si nos recommandations doivent passer par le sport, nous recommencerons… mais si nous n’y voyons pas d’intérêt stratégique, nous imaginerons autre chose. Selon nous, les annonceurs ont plus que jamais besoin de sérénité et de lisibilité sur les acteurs de ce marché… Chaque effet d’annonce, présentant une nouvelle « spécialité », a plutôt tendance à le complexifier.