« Je suis harcelé par l'huile Puget, témoigne Antoine T., amateur de télévision en replay. Mes programmes sont interrompus parfois jusqu'à 10 fois... Et toujours la même publicité ». «Enceinte de 5 mois, il m’est arrivé de me retrouver sur une page web d’un site commerçant entièrement recouverte de publicités pour les couches Lillydoo : en haut, sur le côté, en plein milieu... », raconte cette autre utilisatrice.
Ad nauseam
Nous avons beau travailler dans la communication, la publicité ou les médias, nous n’en restons pas moins des usagers du web… conscients que l’expérience n’est pas encore optimale. Certes, des progrès ont été faits, et la plupart des sites internet ne ressemblent plus à des sapins de Noël, bourrés de pop-up et d’interstitiels clignotant un peu partout. Les emplacements publicitaires sont mieux réglementés, grâce, notamment, à « The Coalition for Better Ads », une organisation mondiale formée en septembre 2016 réunissant les grands noms de l’industrie digitale. Objectif : lutter contre le phénomène Adblock Plus, le bloqueur de publicités utilisé par plus de 500 millions d'internautes dans le monde [lire l'encadré], et édicter de nouvelles règles de diffusion pour la pub. Ou encore dans le cadre du travail de l’IAB, l’Interactive Advertising Bureau, qui regroupe les acteurs de la publicité sur internet et dont le but est précisément de développer des normes. « L’IAB France, dans le cadre de la nouvelle dynamique insufflée par le conseil d’administration élu en avril dernier, relance actuellement de nombreux groupes de travail dont certains se focaliseront sur les formats, les standards, les protocoles et autres recommandations », assure Jean-Marie Le Guen, directeur général de l’IAB en France.
Et sur la question de la répétition, force est de constater que les progrès restent encore à faire. Pour éviter le matraquage publicitaire, il existe pourtant un outil, proposé par tous les ad servers : le capping. Cette fonctionnalité permet de limiter le nombre d’affichage d’un même élément visuel sur un même individu, que ce soit en vidéo, en display ou en social média. Cette problématique, les médias traditionnels ont depuis longtemps tenté d’y répondre. « En télévision par exemple, on considère que deux expositions ne sont pas suffisantes à une bonne mémorisation publicitaire, mais qu’au-delà de dix on génère une baisse d’attention, rapporte François Lienart, directeur des études de l’agence média My Media. En radio, on a coutume de dire qu’il faut environ six répétitions en moyenne pour une véritable efficacité du message.» Bien sûr, en télévision, comme en radio, les publicitaires gardent la main sur la programmation car la diffusion n’est pas (encore) automatisée. L’annonceur choisit, avec son agence, la fréquence et les heures précises de distribution de son spot. Dans le cadre de la communication digitale, le capping maximal pour une création efficace n’a pas encore été fixé.
Au départ, le capping n’est pas un sujet d'expérience utilisateur. Il a d’abord été inventé dans un souci d’optimisation des campagnes. Il s’agit de favoriser le reach, la couverture. « Mettre en place un capping, c’est s’assurer de ne pas concentrer la diffusion sur une cible hyper-régulière d’un site en particulier, où l’on a acheté un très gros inventaire. En apposant un capping très restrictif, on s’assure de délivrer la campagne sur une plus grande audience», détaille François Lienart. Mais le capping est aussi un sujet de sensibilité marketing, de construction d’expérience d’une marque par rapport à son public. « D’un point de vue média planning, il y a parfois la volonté de ne pas capper, et, au contraire, de saturer l'exposition, rapporte Romain Job, chief strategy officer chez Smart, plateforme de monétisation publicitaire programmatique. Parce que cela fonctionne en termes de performance publicitaire, pour être certain que l'individu est exposé de manière massive à la campagne et générer du clic.»
Identification
« La réalité c’est que l’on ne peut pas, sur le digital, parler d’individu, car on ne sait pas si derrière l’écran il y a un individu, explique François Lienart de My Media. On a plutôt, en matière de capping, une capacité de contenir le nombre de distributions sur une même adresse IP. » Il y aurait ainsi une ambiguïté fondamentale entre individu et machine. Sur internet, les cookies sont censés mémoriser un certain nombre de paramètres quand un internaute vient pour la première fois sur un site : login, password et même les autres pages consultées, etc. L’idée c’est que plus le cookie s’enrichit, plus il adapte la lecture de l’internaute lors des prochaines visites. La machine est donc supposée être capable de savoir si l’internaute a déjà été exposé à une campagne de publicité. On va donc considérer qu’en fixant un capping, on va déterminer le nombre de fois où il va voir au maximum cette publicité... Pourtant, la technique ne fonctionne pas à tous les coups. « Si l’utilisateur a décidé dès le début de bloquer les cookies de son ordinateur ou de son mobile, ou bien s’il a effacé ponctuellement le cache de son navigateur, il sera étanche à tout capping... Et sera donc susceptible de subir une surexposition, et ce, même si la campagne a été paramétrée avec un capping très restrictif », déplore Romain Job chez Smart.
Pour répondre à cette problématique, de nombreux acteurs travaillent actuellement sur des technologies cross-device. Il s’agira, à terme, de reconnaître un même utilisateur, qu’il soit sur un navigateur web, sur une application, etc. Depuis plusieurs mois, certains éditeurs français, membres du Geste (Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne), travaillent sur un projet d’identifiant commun à plusieurs sites. La mise en place de ce login unique permettrait d’identifier automatiquement les visiteurs à chacune de leurs visites chez les éditeurs partenaires du projet. Une véritable alternative aux cookies qui devrait voir le jour prochainement. « Des décisions importantes doivent encore être prises dans les semaines qui viennent », révèle Laure de Lataillade, directrice générale du Geste.
Intelligence artificielle
La difficulté d’identification des internautes n’est pas le seul frein à la bonne mise en place du capping. De nombreuses limites technologiques freinent sa précision. « Ce sujet met en lumière les difficultés d’interopérabilité que l’on rencontre au fil de l’exécution d’une campagne, relève Hélène Chartier, directrice générale du SRI, le Syndicat des Régies Internet. Si le capping se décide en premier lieu au niveau de l’annonceur et de son ou ses agence(s), il doit également s’opérer à tous les niveaux par la suite, et notamment du côté des régies, des éditeurs, mais aussi des devices, des navigateurs, des ad servers, etc. » C’est bien cette multiplication d’acteurs et d’outils qui complexifie le parcours. Chaque partie prenante gère la répétition, mais un annonceur peut difficilement maîtriser le chiffre donné au départ sur toute la chaîne de diffusion. « L’enjeu est de réconcilier toutes les briques et de les faire dialoguer entre elles », martèle Hélène Chartier.
« Le capping ne fait pas tout, tranche pour sa part Emilie Rannou, senior product manager chez Criteo, société spécialisée dans reciblage publicitaire personnalisé (retargeting). Il faut capitaliser sur d’autres technologies pour limiter au mieux l’exposition de l’utilisateur à des publicités qui ne l'intéresseraient pas ». Pour Criteo, la maîtrise de la répétition passe par exemple par l'intelligence artificielle. « Nos algorithmes apprennent la fatigue globale de l’utilisateur face à la répétition. Dans nos modèles de machine learning, on va savoir si un individu a vu beaucoup de publicités. Parce que nous sommes rémunéré au clic, notre objectif demeure d’optimiser les ventes. Nous avons tout intérêt à gérer l’exposition sur un utilisateur, car surexposition est toujours synonyme de fatigue, et de rejet », assure Emilie Rannou. [voir encadré]
Sur les plateformes des géants américains, comme YouTube ou Facebook par exemple, l’internaute a la possibilité de venir paramétrer lui-même le type de publicités qui lui sont adressés. Mais surtout, en cliquant sur une publicité intempestive, il peut signaler qu’il l’a vu de trop nombreuses, et faire cesser le matraquage. Ne serait-ce pas là la solution à la maîtrise du capping: laisser plus de contrôle à l’utilisateur pour personnaliser lui-même son expérience?
L'ad blocking se stabilise... sans ralentir
30%. C’est la part des internautes en France qui utiliseront un adblocker en 2019, vs 28,7% en 2018 sur un terminal au moins, qu'il s'agisse d'un ordinateur, d'une tablette ou d'un téléphone mobile, selon les prévisions du cabinet britannique eMarketer. Sans surprise les tranches d'âge les plus touchées sont les 18-24 ans (près de la moitié utiliseront un adblocker) et les 25-34 ans (38,3%). Si l’expansion des adblockers est moins rapide depuis 2016, la tendance reste tout de même à la hausse. EMarketer précise que la majorité des blocages se font via les ordinateurs, mais l'adoption des adblocker est en forte croissance sur le mobile. La France fait partie des pays où les taux d'adblocking sont les plus élevés, juste derrière l'Allemagne (32%), mais loin devant les États-Unis et le Royaume-Uni (22%).
Combattre le « banner burn out »
Le «banner burn out» désigne l’épuisement d’un individu qui, sur une même page web, se voit diffuser plusieurs bannières publicitaires (sur le côté, en haut et à l'intérieur de la page, etc.) pour un seul et même annonceur. Une répétition qui va provoquer un surmenage (burn-out), et décourager l'internaute de cliquer. C’est le sujet du moment pour Criteo, spécialisé dans le retargeting. La pépite française confie avoir investi massivement en R&D pour répondre à cette question. «C’est un problème éminemment complexe car nous recevons les requêtes pour les bannières en même temps et nous devons répondre de manière instantanée», explique Emilie Rannou, senior product manager chez Criteo. L’entreprise assure d’ores et déjà limiter les achats d’inventaires sur des pages comportant trop d’emplacements publicitaires, ce qui multiplie le risque de «banner burn out».