La condamnation de Deliveroo par le tribunal correctionnel de Paris pour travail dissimulé est-elle clairement le procès de l'uberisation ? Réponse avec Arnaud Touati, avocat associé au cabinet Hashtags Avocats.
Deliveroo a été condamné pour travail dissimulé. En quoi cette décision est-elle importante, selon vous, pour l’économie des plateformes ?
Arnaud Touati.Ce n’est pas une décision anodine.Tout d’abord, par sa sévérité. En effet, même si elle est en conformité avec les réquisitions du parquet, outre une amende de 375 000 euros correspondant au montant maximum prévu par les textes, la décision est assortie de lourdes peines de prison avec sursis pour certains de ses dirigeants et d’une publication de la condamnation sur son site Internet.
Il est probable que cette décision ait vocation à faire œuvre d’exemplarité pour d’autres sociétés du secteur qui pourraient avoir été par le passé ou être concernées à l’avenir par ces pratiques.
Ensuite, cette décision fait écho à un débat qui existe déjà depuis de nombreuses années sur la porosité entre les statuts de salariés et de travailleur indépendant pour ce type de plateforme. Des discussions ont eu lieu en France et plus récemment en Europe pour mettre en place un cadre législatif pérenne.
Que dit la décision exactement ?
La décision se prononce sur deux sujets majeurs. D’abord, le tribunal rappelle que la Société Deliveroo ne serait pas seulement une plateforme de mise en relation, mais également une plateforme de services. Ce qui supposerait que la plateforme exécuterait par elle-même une prestation des services nécessitant de ce fait de la main d’œuvre dédiée. D’autre part, le tribunal considère qu’il existerait bien un lien de subordination entre les livreurs et la plateforme en utilisant la technique dite du faisceau d’indices. C’est à dire, réunir un ensemble d'éléments matériels de nature à déterminer si les rapports entre les parties relèvent ou non du salariat. A ce titre, le Tribunal considère que Deliveroo disposait d’un pouvoir de direction tant à travers la formation des livreurs, que le suivi de la livraison.
De plus, Deliveroo aurait imposé d’importantes amplitudes horaires aux livreurs, disposerait d’un pouvoir de surveillance en s’assurant de la présence des livreurs, mais également d’un pouvoir de sanction en supprimant des créneaux horaires. Ce faisant, le Tribunal considère que Deliveroo aurait sciemment contourné la législation en vigueur à son profit. Attention toutefois, la décision n’est pas définitive et elle est susceptible d’appel, étant entendu toutes choses égales par ailleurs que quel que soit l’issue de cette procédure pénale, le volet civil est quant à lui prévu pour début 2023.
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Cette condamnation doit-elle amener à reconsidérer l’uberisation ?
Je ne pense pas qu’il faille remettre en cause le modèle sur la seule base de cette condamnation, notamment du fait qu’elle se fonde sur des agissements qui remontent à plusieurs années et qui semblent-ils ne sont plus d’actualité aujourd’hui, les sociétés s’étant depuis adaptées. En revanche, cette décision s’inscrit indéniablement dans un mouvement de remise en cause du statut de travailleur indépendant. Alors que les Espagnols l’ont purement et simplement supprimé, les Anglais en ont créé un nouveau, à mi-chemin entre indépendance et salariat. Tandis qu’au niveau européen, la Commission Européenne a annoncé fin 2021 se pencher sur une Directive qui renverserait la charge de la preuve, petite révolution attendue en la matière s’il en est. Autrement dit, ce serait désormais à la plateforme de démontrer l’absence de salariat et non l’inverse ! Précisément, ladite directive fournit une liste de cinq critères permettant de déterminer la nature du contrat liant les parties. Dès lors que la plateforme remplit au moins deux de ces cinq critères, elle est juridiquement considérée comme employant des salariés. Dans cette hypothèse, le travailleur peut bénéficier des droits garantis aux salariés via la législation du pays dans lequel il travaille.
Cela pourrait-il concerner d’autres secteurs ?
Cette décision me semble transposable à toute société faisant appel à des travailleurs indépendants, peu importe le secteur d’activité. Moralité, les sociétés faisant appel à des travailleurs indépendants devront être particulièrement vigilantes quant aux critères qui pourraient conduire à la requalification des contrats de prestation de services en contrat de travail.