Rassemblant une audience toujours plus vaste et diversifiée, l’e-sport est devenu un phénomène mondial et grand public. Au point que les autorités souhaitent faire de la France une destination phare des événements liés à ce domaine, qui ne se limitent plus à de simples compétitions.
E-sport, combien de divisions en France ? Le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (Sell) connaît la réponse : le nombre de pratiquants serait compris entre 11 millions et 13 millions ! Tous ne sont pas pour autant des compétiteurs acharnés, tempère Nicolas Vignoles, le délégué général de cette organisation : « Deux tiers d’entre eux sont plus des consommateurs d’e-sport qui regardent des compétitions et aiment s’affronter lorsqu’ils jouent aux jeux vidéo entre amis, soit 8 millions à 10 millions de joueurs. Seulement un petit tiers sont des pratiquants, soit entre 3 millions et 5 millions de joueurs. » Parmi ces derniers figurent des « e-sportifs de loisir », qui jouent en ligne pour se classer mais sans participer à des compétitions, tandis que ceux participant à des compétitions forment un contingent avec des effectifs allant de 1,5 million à 2 millions de personnes. Le Sell estime à 1 500 le nombre de structures associatives d’e-sport qui organisent des tournois désignés sous le terme LAN, pour « local area network », le dispositif informatique qui permet de connecter les machines.
Certaines LAN sont devenues des événements incontournables, comme la Gamers Assembly qui a lieu chaque année à Poitiers. « En 2023, nous avons réuni plus de 21 000 visiteurs et 2 080 joueurs se sont partagé plus de 45 000 euros de cash prize sur 24 tournois, détaille Jérôme Daigueperce, le président de l’association FuturoLAN, à qui l’on doit cet événement. En 2019, nous étions arrivés à 2 500 joueurs, ce qui était la limite maximale pour le Parc des expositions de Poitiers. » L’autre grande LAN, organisée dans la capitale des Gaules par l’association Lyon e-Sport, revendique une moyenne de 10 000 à 15 000 visiteurs. Confrontée à des difficultés financières en 2022 du fait de l’annulation d’une subvention, la structure préfère attendre 2024 pour mettre sur pied un nouvel événement.
L’événementiel e-sport a cependant d’autant plus de chances de prendre de l’ampleur qu’il ne se borne plus à des compétitions, explique Jérôme Daigueperce : « Depuis plusieurs années, il y a aussi un concert le samedi soir, sur la grande scène de la Gamers Assembly. En 2022, nous avons accueilli des musiciens électro et en 2023 un concert de dub. » Autre signe manifeste de l’intérêt croissant que suscitent ces événements au-delà du cercle des initiés : ils attirent des acteurs soucieux d’entrer en contact avec l’audience qu’ils concentrent, explique Marion Strobel, dirigeante de FuturoLAN : « Le village partenaires accueille maintenant des acteurs comme la Sécurité routière, des libraires spécialisés, des associations dédiées aux jeux de société ou encore des acteurs de doublage venus faire du meet and greet et rencontrer leurs fans. »
Attirer les compétitions
Du côté des agences spécialisées dans le domaine, l’optimisme est de mise. « Le gaming est une culture clairement sous-représentée compte tenu de son audience et du revenu qu’elle génère, supérieur à ceux du cinéma et de la musique réunis, estime Antoine de Tavernost, CEO d’Auditoire. C’est un marché de 200 milliards de dollars dont 50 % se font sur mobile. C’est l’industrie culturelle la plus importante du monde. » Les perspectives sont si alléchantes que l’agence va donner le coup d’envoi en octobre du Cannes Gaming Festival afin d’en faire « la première plateforme de communication européenne autour du gaming ».
Autre facteur positif pour le futur : la France commence à avoir une stratégie d’attractivité portée par les pouvoirs publics. « Le pays a réussi à attirer en 2019 la demi-finale de League of Legends qui a réuni 15 000 personnes à l’Accor Arena de Paris, explique Nicolas Vignoles. Le Blast est un autre succès. À l’automne 2024, la France devrait accueillir, en tant que pays organisateur des Jeux olympiques, l’Olympic Esports Week, véritables JO de l’e-sport, déjà testés en juin à Singapour. »
Pour Antoine de Tavernost, le temps n’est plus à la réflexion : « Nous vivons un moment de shift. Le gaming et l’e-sport sont des univers que des plateformes comme Netflix ou Amazon ont déjà commencé à explorer à travers des adaptations à succès du streaming de jeux vidéo (The Last of us, The Witcher...), et ces acteurs vont sans doute bientôt devenir éditeurs de leurs propres jeux. » Avec un nombre de pratiquants et des audiences toujours plus fortes, l’e-sport est bien parti pour devenir l’une des locomotives de l’événementiel dans les années à venir.
Nicolas Besombes, sociologue spécialisé dans l’e-sport
« L’engouement pour l’e-sport va croissant pour plusieurs motifs. D’abord, il y a l’augmentation du nombre et des genres de jeux qui permettent l’affrontement entre joueurs. Ensuite, la nature de cette expérience est ludique, fait appel à l’expertise motrice et cognitive, et propose de l’interactivité entre les joueurs. La qualité des jeux entre aussi en ligne de compte. Ils sont simples à prendre en main tout en proposant une grande profondeur stratégique et tactique. Praticables sur de multiples supports – ordinateurs, consoles, smartphones, tablettes, etc. –, ils sont aujourd’hui dans tous les foyers. Les jeux vidéo et l’e-sport sont devenus un véritable spectacle grâce à l’apparition des plateformes de diffusion sur internet comme Dailymotion, YouTube ou Twitch. Il est clair que le nombre d’événements liés à l’e-sport va augmenter. Trois scénarios se dessinent : le premier pourrait passer par une forte croissance, propulsée par la diffusion dans des régions émergentes, l’Amérique latine, le Moyen-Orient et l’Afrique ; le second serait une croissance modérée qui suivrait la tendance actuelle ; enfin le troisième, peu probable compte tenu des comportements auxquels on assiste en ce moment, serait celui d’une décroissance passant par une limitation du nombre d’événements, afin de réduire l’impact environnemental global. »