Culture tech

Le secteur de l’informatique, et notamment du big data, prend peu à peu conscience de son impact écologique, tout en tentant de le minimiser. Mais l’équation est complexe.

Au printemps 2021, un nouveau type de crise est apparu dans le milieu de l’informatique et du cloud. Les usines de production de circuits intégrés de la ville de Taichung, à Taïwan, principaux fournisseurs mondiaux, et notamment le plus gros fabricant, Taïwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), ont dû réduire leur production, pour ne sortir que 15 % de la quantité de pièces habituelles. La raison ? La sécheresse. Face au manque d’eau, directement lié au réchauffement climatique, le gouvernement a priorisé l’agriculture et l’approvisionnement des ménages. Il a donc demandé aux fabricants de circuits de couper une partie des machines, très gourmandes en eau, pour la fabrication des microprocesseurs. S’est ensuivie une grande pénurie dans le monde. Des entreprises européennes comme Peugeot, ou Airbus, ont accusé des retards de fabrication du fait même du manque de circuits. Les productions d’ordinateurs, de serveurs, ont directement été touchées.

Bien sûr, le monde de l’informatique et du cloud, au cœur de la transition numérique, n’a pas attendu cette sécheresse pour s’interroger sur son impact climatique, mais depuis deux ans les choses s’accélèrent. « Différentes études convergent pour affirmer que le numérique représente 4 % des gaz à effet de serre, dès lors que l’on raisonne en analyse de cycle de vie, et que l’on prend en compte l’impact des mines pour extraire les matières premières nécessaires à la fabrication des équipements », rappelle Emmanuel Laroche, responsable de l’IT durable pour Airbus, lors d’un séminaire de l'association Aristote, dédié au sujet des data centers durables. « Mais le plus préoccupant, c’est la progression, insiste-t-il, avec une croissance de 6 à 8 % par an. » Sans compter que le fameux chiffre de 4 % est basé sur une étude de 2019, avec des données de 2017-2018, et doit donc aujourd’hui représenter davantage. Du côté d' Airbus, le cloud, avec 21 data centers, représente 50 % de l’impact carbone numérique de l’entreprise en scope 2 (sans les conséquences indirectes). Le groupe a mis en place plusieurs projets en interne pour réduire l’impact numérique et devenir « Sustainable by design ». « Tout commence par la compétence et la formation : les sciences environnementales sont de vraies sciences, c’est primordial », indique Emmanuel Laroche. Mais il est aussi possible d’améliorer de nombreux paramètres d’utilisation d’applications de calculs internes, ou encore, de mieux gérer ses data centers pour remplacer les vieillissants mal optimisés.

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Dans l’univers de la tech, la pression est forte pour considérer ces enjeux, « par les clients, d’une part, les jeunes générations, mais aussi par les employés en internes, qui ont compris que la soutenabilité de la planète, c’était aussi la soutenabilité de leur travail », déclare Emmanuel Laroche. « La prise de conscience est hétérogène sur le marché, estime pour sa part, Caroline Comet-Fraigneau, VP France, Benelux, Afrique et Moyen Orient pour OVH. Pour les marchés publics, c’est un critère pris en compte par les appels d’offres. Pour les grands comptes du secteur privé, cela dépend du poids que représente le numérique dans leur business. » Si la principale source d’impact carbone se situe autour de transports en camions, l’entreprise a davantage intérêt à travailler cette partie.

Cependant, selon Emmanuel Laroche, la plus forte pression vient des actionnaires. Car la catastrophe climatique a aussi des conséquences financières importantes ou représente des opportunités de différenciation. C’est le cas d’OVH, l’expert du cloud français, fondé par la famille Klaba, lors de son entrée en Bourse en 2021. « Ce sont les acteurs financiers qui nous ont dit que notre modèle était particulièrement adapté à une IT durable », raconte Caroline Comet-Fraigneau. L’entreprise a, depuis sa création, opté pour un modèle d’optimisation. « Nous produisons nous-mêmes nos propres serveurs à Croix, dans le Nord de la France, et au Canada, poursuit-elle, nous retirons certaines parties inutiles, donc sans avoir à les refroidir. Nous optimisons aussi en réutilisant les anciens serveurs ou en recyclant certaines parties, ou via encore la création de notre système de refroidissement par eau, spécifique, et créé dès le départ par l’entreprise. L’état d’esprit d’OVH est à l’optimisation économique. » Cela permet de proposer un des prix les plus compétitifs du marché. « En 2021, les actionnaires ont été sensibles à cette partie, admet Caroline Comet-Fraigneau, et ils nous ont dit que c’était un réel avantage sur le plan écologique. » Au point d’admettre que ce sont eux qui auraient impulsé la transformation ? « Il nous a fallu ce regard-là pour le voir. Ce qui nous permet aujourd’hui de mieux formaliser nos engagements, avec davantage de rigueur », continue-t-elle. OVH travaille ainsi sur le sujet, notamment le recyclage des matières premières, en séparant les métaux des composants abandonnés. Une problématique au cœur du projet de cloud souverain pour des questions également géopolitiques et de souveraineté.

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Ce ne sera pas chose facile, car la théorie sur l’impact climatique du numérique n’en est qu’à ses balbutiements. Entre sa naissance et sa mort, un composant informatique émet une grande part de son impact climatique au tout début, lors de l’extraction des matériaux, lors de la fabrication, et à la fin, une fois jeté, lorsqu’ils sont abandonnés dans des décharges nocives. À cela, il faut ajouter l’impact de la production d’électricité pour son utilisation. Entre la France et l’Allemagne, le rapport est de 1 à 7, quand la production est nucléaire.

« Je ne veux pas dire que l’IT n’est pas durable, mais l’IT, telle qu’on la connaît aujourd’hui n’est pas durable, conclut Emmanuel Laroche. L’informatique va devoir prendre en compte sa matérialité, sortir de l’image dématérialisée qui est une image factice et basculer dans un monde circularisé si elle veut durer un peu plus longtemps. » D’autant plus que le cloud est paradoxal. « Sur le réchauffement climatique, il est aussi une partie de la solution. Les solutions d’IA permettent d’optimiser grandement les flux physiques hors du monde numérique, justement », ajoute Caroline Comet-Fraigneau. Quand on vous dit que le problème est complexe…

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