Repris par le fonds Bridgepoint en début d’année, Equativ vise les États-Unis et compte sur son expérience pour s’y faire une place. Ingrid Couasnon, vice-présidente exécutive EMEA, et Véronique Pican, directrice générale France, reviennent pour Stratégies sur leur état d’esprit indépendant dans la tech.
Equativ a été repris par le fonds Bridgepoint il y a quelques semaines. Quel est l’objectif de ce changement d’actionnaire ?
INGRID COUASNON. Ce changement d’actionnariat a pour but de nous permettre d’accélérer, sur les acquisitions notamment. Sur le quotidien de l’entreprise, cela ne changera rien, ni sur notre ligne stratégique. Nous resterons les mêmes, mais avec davantage de moyens. Bridgepoint est un actionnaire plus international, avec un réseau qui nous permettra de nous développer aux États-Unis. Ce pays représente déjà presque 50 % de notre chiffre d’affaires, l’ambition c’est de le porter à 60 % en 2024.
Et ces acquisitions, sur quoi porteront-elles ?
I.C. Nous serons très rationnels. Elles doivent cocher les cases de notre programme stratégique : c’est-à-dire accélérer aux États-Unis ou renforcer encore notre intégration verticale, pour accélérer encore sur une demande unique. Nous ne voulons pas reposer uniquement sur l’open auction, comme une SSP [supply side platform] classique. C’est dans ce sens ce que nous avons réalisé l’intégration de Dynadmic, en juin 2021. C’est une plateforme intégrée de service publicitaire spécialisée sur la vidéo, la télévision connectée et le ciblage contextuel. Nous voulons faire en sorte que la demande unique représente la moitié de notre chiffre d’affaires en 2024.
VÉRONIQUE PICAN. On regarde aussi de très près ce qu’il se passe au niveau du retail media. Aujourd’hui, on répond à ce domaine par le biais de la curation, une solution qui s’appelle EBC [Equativ Buyer Connect]. L’enjeu, c’est de convaincre les data providers (côté acheteurs ou côté vendeurs) et les retailers, d’utiliser cette plateforme.
Comment fonctionne-t-elle ?
V.P. Sur EBC, on peut packager les inventaires d’une grande partie des éditeurs qui nous font confiance sur la partie SSP - cela représente 95 % du tout, donc presque tous nos inventaires sont accessibles. Ils sont alors disponibles à la curation pour le media planning, et donc pour choisir les critères de ciblages : geo targeting, desktop ou in-app, intégration de données third party. Elle permet de réaliser des deals ID que le client, en curation, va pouvoir vendre lui-même aux agences, ou nous les confier pour que nous les vendions nous-mêmes. C’est notre plus fort levier de croissance à l’heure actuelle. Le but n’est pas de se substituer aux deals éditeurs, mais de créer des deals multi-éditeurs, puis, de pouvoir y ajouter de la donnée sociodémographique ou contextuelle. On peut ainsi se connecter à l’ensemble des data providers, et c’est compatible ensuite avec tous les DSP du marché. EBC traduit bien le fait que l’on dialogue avec les deux côtés : demand et supply, sans être juge et partie.
Vous affichez de très bons résultats avec +200 % de croissance en trois ans, comment l’expliquez-vous ?
I.C. Cela fait un moment qu’on a nos convictions. Pour une entreprise de tech, avoir vingt ans, c’est avoir la carte senior… Mais on ne le prend pas mal, c’est aussi un signe de reconnaissance de nos actifs, de notre maturité. Nous sommes à la jonction entre le B to B et le B to C. En B to C, pour ce qui est respect du consommateur, avec le consentement, et en B to B, parce que l’on sait parler de planning média et de performance pour les annonceurs, donc des deux côtés, comme Véronique le disait. Nous sommes indépendants dans un monde dominé par la culture des walled gardens [écosystèmes fermés], et nous avons su traduire concrètement cette indépendance. Cela se ressent davantage. On est à un moment où tout le monde à une meilleure compréhension des outils, lesquels sont potentiellement dangereux en ne laissant finalement aucun choix sur les médias. Pour moi, ces bons résultats sont une récompense d’un travail de tous. On a su rééquilibrer le ratio supply-demand, on a travaillé le développement de nos métiers vidéos, notamment in app - c’est le gros enjeu la vidéo in app pour la télévision connectée pour laquelle on observe une grosse bascule des audiences. Et depuis tout ce temps, nous avons évolué dans une diversité de business model, de métiers différents, parfois du métier de régie, et tout cela nous a permis d’être plus résilients. Ça nous permet de nous adapter.
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Est-ce le même état d’esprit outre-Atlantique ?
V.P. On voit que dans cet écosystème complexe, l’ADN européen avec l’application du RGPD nous a permis d’être plus créatifs. Le fait est que cette culture, en ce moment, s’exporte bien. Il faut aussi ajouter les réflexions autour de la RSE sur le programmatique. Nous nous sommes contraints plus tôt sur la transition écologique, c’est un atout. Et nous cherchons donc à avoir la capacité d’exporter tout cela.
L’état d’esprit a changé aux États-Unis ?
I.C. Les Américains sont de plus en plus pointilleux sur les sujets de privacy, et notre positionnement résonne très bien là-bas. L’état d’esprit que l’on a en France se vend bien à l’étranger. Ce qu’on observe c’est que ça ne rigole plus. Ce qu’on racontait sur tout un tas de sujet, sur la transparence, le self-preferencing de Google, tout cela, le marché ne voulait pas l’entendre. Les éditeurs avaient beaucoup de dépenses, et Google mettait de gros moyens de leur côté. Donc ils n’étaient pas prêts à entendre les questions que tout cela posait… Aujourd’hui, ça paye. On a énormément travaillé, mais si on est actuellement en droite ligne avec le marché, c’est autant par le produit que par notre état d’esprit et notre positionnement.
Les opérateurs téléphoniques ont annoncé s’associer pour se lancer dans l’ad tech et créer des identifiants publicitaires. Qu’en pensez-vous ?
V.P. Ce sont de nouveaux partenaires et nous sommes ravis de cette initiative européenne. C’est rare. Il faut souligner que c’est une grande avancée de fédérer des opérateurs d’Allemagne, de France, d’Angleterre et d’Italie. Et d’autres se joindront peut-être. Trouver des ID qui permettront l’adressabilité, c’est l’enjeu majeur [face au cookieless]. Nous sommes agnostiques et travaillons avec tous les ID : Liveramp, The Trade Desk, ID Five… Nous faisons partie des gens qui ouvrent le capot et permettent à tout le monde de comprendre. C’est un investissement pour nous, mais on ne s’épargne jamais de rendre cela possible pour nos clients, et de rendre les choses interopérables, pour respecter leurs propres choix technologiques.