Adobe révèle en exclusivité dans un sondage l’impréparation encore tenace du monde du marketing concernant la suppression du cookie tiers. L’Alliance Digitale, de son côté, s’active pour trouver des solutions. Au cœur du problème, un besoin d’échanges.
Le 14 février dernier, Google lançait officiellement sans crier gare les premiers tests de la Privacy Sandbox sur mobile dans Androïd. Pour le web qui passe par un navigateur – Chrome –, ce sera, selon le planning évoqué, début 2024. Au cœur de ce projet de refonte du web, la suppression des cookies tiers. Il reste donc à peine douze mois au monde du marketing pour trouver de nouvelles solutions afin de continuer à faire de la publicité comportementale ciblée, et surtout en mesurer l’efficacité.
Mais les professionnels n’ont visiblement pas encore tous pris le sujet à bras-le-corps, du moins son importance. Adobe a réalisé une grande enquête dans le monde, sur 1 208 personnes dans huit pays, dont 400 professionnels du marketing et de la relation client en France. Stratégies dévoile en exclusivité les résultats chiffrés de l’étendue du problème en France. Au niveau européen, les tendances sont très sensiblement les mêmes.
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Car selon Adobe, les marques restent encore bien trop dépendantes du cookie tiers, et ce, dans tous les pays. « Bien qu’il soit raisonnable pour les marques de continuer à utiliser des cookies tiers dans le cadre de leurs initiatives marketing, nombre d’entre elles investissent trop d’argent dans cette stratégie, indique les initiateurs de l'étude. Un grand nombre de responsables marketing ne prennent pas les mesures nécessaires pour adapter leurs stratégies de données, malgré les graves répercussions à court et long terme sur leur entreprise. »
Une dépendance qui pourrait leur porter préjudice lors du changement de technologie, en accumulant un retard fatidique. Pourtant, tous les professionnels interrogés sont conscients du danger. 77% des responsables pensent que la fin des cookies tiers va pénaliser – et même « fortement » dans certains cas – leur entreprise. Certains n’y vont pas de main morte : 9% affirment qu’elle va « dévaster » leur entreprise. 26% s’attendent à d’importants préjudices et 42% prévoient des répercussions négatives modérées.
Une vision qui n’est pas que théorique puisque les environnements sans cookies tiers existent déjà et représentent, pour 75% des interrogés, au moins 30% de leur marché potentiel total et 39% affirment que les environnements sans cookies représentent au moins 50% de leur marché potentiel.
Pourtant, nombreux sont ceux qui, encore, restent de marbre. « 79% des responsables marketing et de l’expérience client sont toujours fortement tributaires des cookies tiers », indique Adobe. Début 2023, 38% des responsables consacrent au moins la moitié de leurs budgets marketing aux activations basées sur les cookies et pire, 56% prévoient d’augmenter leurs dépenses dans les activations dépendantes des cookies cette année. Tout va très bien, Madame la marquise.
« Manque d’alternative »
Ferait-on face à une apathie générale ? « Un grand nombre de responsables utilisant massivement les cookies tiers estiment ne pas avoir le choix », indique Adobe, et mettent donc en cause le manque d’alternatives. 53% des responsables qui utilisent des cookies les considèrent comme un « mal nécessaire », selon l’étude, concédant tout de même une nette impréparation de leur part, et admettant que « cette dépendance excessive et continue est une mauvaise stratégie sur le long terme ». Et ils invoquent in fine le manque de documentation pour se préparer. « 44 % affirment ne pas avoir accès aux ressources nécessaires pour adapter leur stratégie » (au-dessus de la moyenne européenne à 37 %).
Pourtant, elles existent. L’Alliance Digitale publiait en février le troisième volet de son rapport sur le sujet, évoquant les alternatives, des cas clients, et des pistes concrètes de réflexion. L’association née de la fusion entre la MMA et l’IAB organisait le 8 mars une matinée entièrement dédiée au sujet.
Augustin Decré, directeur général d’Index Exchange et l’un des initiateurs du rapport annuel sur le cookieless, y estimait que les alternatives sont de plus en crédibles. « Les autres solutions étaient déjà là. Mais on était trop fainéant pour se passer des cookies tiers ! », lance-t-il à l'assemblée. De nombreuses solutions ont été lancées, et sont en phase de tests, avec les éditeurs : les identifiants, les Customer Data Platforms, les solutions contextuelles… S’il reste des océans de questions à résoudre, notamment pour la mesure de l’efficacité, le monde de l’adtech française n’est pas resté les bras croisés, que ce soit au sein des alliances comme le W3C, ou ailleurs. Même Google, au cœur de la polémique sur les cookies tiers, et dont le marché a l’habitude d’accuser de silence, a été remercié par l’Alliance Digitale pour sa « coopération ».
Besoin d'échanges
Mais c’est à croire que les informations ne passent pas les frontières du monde de l’adtech. Dans une interview pour Stratégies, à l’occasion de la sortie du rapport, Augustin Decré indiquait que c’était aussi le but de ce rapport annuel : « montrer que les acteurs comme les agences, les partenaires, progressent sur ce sujet, que les annonceurs peuvent aller les voir et leur poser des questions. Ils ne doivent pas rester seuls avec leurs doutes, à se focaliser sur une seule solution. Un cap a été passé sur le cookieless, et c’est une chance. »
Car dans les chiffres, une grande partie des annonceurs restent figés. Si 53% des entreprises interrogées par Adobe déclarent accélérer leur préparation à un avenir sans cookie, « les 47% restants, soit près de la moitié, ne font rien », constate Adobe (45% au niveau européen). « Une partie de ces responsables disent ne rien changer parce qu’aucune urgence apparente n’est perçue. D’autres prévoient d’opérer des changements, mais diffèrent leur préparation », poursuit l'entreprise.
Et si personne n’y croyait réellement ? Le fait que Google ait reporté deux fois la date fatidique, la décalant finalement de trois ans, a convaincu tout le monde que cela n’arriverait peut-être jamais. Mais Anthony Chavez, vice-président de la Privacy Sandbox de Google, et Hanne Tuomisto-Inch, responsable des partenariats Chrome EMEA, interrogés par Stratégies en décembre 2022 ne semblent pas miser sur un report. Du tout. Il serait peut-être temps de regarder les choses en face.