Nouvelle année, nouveaux élus. Le duo de concepteurs-rédacteurs de l’agence Marcel, Aurel Cablan et Alexandre Dodille, remporte le Prix Stratégies des Jeunes créatifs 2022. Rencontre.
Entre votre team et celui de Rosa Paris, le choix était serré mais vos campagnes ont su faire la différence. Que faisiez-vous au moment où vous avez appris la nouvelle et comment l’avez vous prise ?
Alexandre Dodille. Nous ne nous y attendions pas ! J’étais en train de ressusciter un mannequin durant une formation aux gestes de premiers secours quand j’ai appris la nouvelle. Autant vous dire que j’ai lâché le mannequin et j’ai directement appelé Aurel.
Aurel Cablan. Quand Alexandre m’a appelé, j’étais dans le train direction les Pyrénées pour aller chez mon père. J’ai fêté ça dans le wagon bar. Nous sommes honorés, surtout au regard de la liste de nos prédécesseurs dans ce prix. Il y a eu du lourd : Alexandre Hervé, Benjamin Marchal, Olivier Dermaux, Dimitri Guerassimov…
A.D. Oui, Aurel m’a envoyé l’article de Stratégies « Les jeunes créas : que sont-ils devenus ? », beaucoup ont gravi les échelons, ça nous met à la fois en confiance et la pression.
Votre parcours en quelques mots…
A.D. Je suis né à Bucarest en Roumanie où j’ai grandi pendant quinze ans. Je suis venu à Paris en 2009 pour finir le lycée et commencer des études de com mais j’en ai eu marre de la ville, du coup je suis reparti à Bucarest où je me suis un peu égaré. J'y ai fait de la vente, de la finance pour finir barman et comprendre que cela n’était pas fait pour moi. Un jour, à la télé, je vois une pub Intermarché qui m’a rappelé que j’aimais bien ça. Je me suis lancé et me voilà en alternance chez Marcel.
A.C. J’étais chez Marcel depuis trois quand Aurel a débarqué, c’était mon alternant. Au départ il était tout timide mais avec le temps, ce rapport de tuteur-alternant s’est effacé pour laisser place à de la complicité. Sinon, je ne suis pas né en Roumanie mais à Saint-Lys (Haute-Garonne). J’ai connu un parcours plutôt classique avec un IUT Information-Communication option pub à Besançon, puis j’ai intégré l’Iscom à Lyon. J’ai fait des stages chez Buzzman et Leg à sa toute fin, Gabriel Gaultier venait de revendre l’agence à Havas. J’ai connu la fin de l’âge d’or de la pub et de la rédac. À l’époque, les publicitaires étaient des personnages et il existait une culture de l’ego. Même si je n’y suis pas resté, c’est grâce à cette expérience que j’ai voulu être rédac.
Marcel serait un savant mélange des genres, comme vous ?
A.C. Marcel représente le meilleur des deux mondes, une agence à la fois traditionnelle et digitale. Les talents y sont éclectiques, un pôle rédac existe, un pôle gaming vient de se créer, et quand tu vois les activations qu’il y a eues à Cannes sur le gaming, il est certain que cela va devenir une catégorie à part.
A.D. Lorsque j’étais étudiant, même si je n’avais pas une culture pub immense, on n’entendait pas trop parler de Marcel. Alors que ces derniers temps, c’est l’inverse. C’est devenu «The place to be».
Vous êtes les savants fous derrière la campagne « Hack Market » qui semble faire l’unanimité dans le milieu…
A.C. Oui, c’est un peu la campagne de l’année, rien que de hacker Apple, le symbole du consumérisme, c’est génial. D’ailleurs quand j’ai commencé à l’école, on nous citait souvent la pub « Think différent » d’Apple comme référence, l’enseigne se caractérisait justement comme celle qui pensait différemment. Depuis, Apple est devenue la marque de la pensée unique. Finalement avec Back Market, nous sommes devenus le Apple d’il y a vingt ans.
Pouvez-vous revenir sur le brief de « Hack Market » et raconter vos souvenirs de tournage ?
A.C. Nous avions déjà réalisé des campagnes d’affichages traditionnelles pour l’annonceur mais nous voulions aller plus loin. Il fallait viser les Apple addicts et eux ne sont pas dans la rue, ils sont déjà dans les Apple Store. Partant de ce constat, on s’est souvenus que tous les appareils des magasins Apple sont connectés au wifi. Un lundi matin, on s’est donc retrouvés dans l’Apple Store des Champs-Élysées et Alexandre, qui était à l’extérieur, m’envoyait plein de bêtises, dont des mèmes de chats via AirDrop. J’ai tout filmé pour avoir une démo technique. Le mardi on l’a montrée au directeur de création Clément Séchet qui a adoré, puis le fondateur de Back Market a validé l’idée.
Concernant le tournage, ça ressemblait plutôt à Ocean 12. Le fondateur nous a imposé de tourner dans trois villes en même temps : Paris, Londres et Berlin. Le jour J c’était un peu «rock n'roll», sur les Champs on a dû se cacher dans un kiosque à journaux en planquant la caméra derrière des cartes postales. À Londres, un caméraman s’est fait courser par un vigile mais il a réussi à s’enfuir. Tandis qu’à Berlin, nous nous sommes cachés derrière le rideau d’un magasin de cosmétiques pour filmer l’Apple Store d’en face.
A.D. Dans le Publicis des Champs, il y avait une sorte de «war room» avec toute une équipe technique de Marcel et toute la journée ils envoyaient des «AirDrops» à Berlin, à Londres et à Paris. C’était dingue.
A.C. Forcément il y a eu quelques doutes avec ce projet. En interne, le juridique nous avait refusé le projet en nous listant les risques : 200 000 euros d’amende, cybercriminalité, six ans de prison… Nous avons tout de même consulté un juridique externe pour trouver des solutions en contournant les problèmes, comme ne pas filmer à l’intérieur mais depuis la rue, ne jamais dénigrer des produits Apple dans les accroches… autant d’astuces pour limiter la casse. Nous avions prévu une enveloppe de 100 000 au cas où mais nous n'avons pas eu de retour d’Apple.
A.D. Cette campagne de mots qu’on a réalisée sans Virgile Lassalle, comme des grands, nous a fait gagner des Lions. Nous sommes très fiers.
Quelle est votre vision du métier ?
A.C. Je suis assez pessimiste, d’ici trente ans je pense que notre métier sera mort. Avec la crise écologique, nous allons devoir revenir à quelque chose de plus primaire, les marques vont diminuer leur communication et revoir leur modèle.
A.D. De mon côté, je pense naïvement qu’il y a des premiers pas certes maladroits mais faits. Les agences existeront encore, c’est notre métier qui va changer.
Et des nouveaux modèles d’agences 3.0 ?
A.C. Alors les NFT ça ne m’inspire pas du tout, ça révolutionne le droit d’auteur numérique mais c’est tout. Tout le monde se jette sur les NFT en pensant que cela vaut forcément de l’argent mais c’est comme un tableau physique, si l’œuvre est cool, elle vaudra quelque chose mais si elle est décevante, elle ne vaudra rien.
A.D. Malheureusement les gens font un peu n’importe quoi avec, on travestit les NFT alors qu’on pourrait en faire quelque chose de bien.
A.C. Pareil pour le métavers, je reste très sceptique…
A.D. Encore une fois, ça dépend de ce que l’on fait avec. Il y avait une campagne réalisée par TBWA Paris d’un SDF dans le métavers. J’ai trouvé ça bien fait car il y a des études qui montrent que les gens sont très généreux dans le métavers et tragiquement un SDF aura plus de chance de survivre dedans que dans la vraie vie.
Du côté des plateformes plus traditionnelles, qui faut-il suivre sur les réseaux ?
A.C. MSCHF, un collectif basé à New York qui représente la culture du hacking.
A.D. Le dark side de la créa, les Banksy du capitalisme !
Comment fait-on pour garder pour garder l’étincelle créative en team ?
A.C. Comme dans un couple, il faut s’écouter.
A.D. Il ne faut pas oublier que nous sommes avant tout des êtres humains, et que la relation qu’on construit est certes professionnelle mais il faut aller plus loin et l’entretenir en dehors de l’agence aussi. Dans ce boulot, on a la chance de vivre toujours des nouveautés, des nouveaux projets, ce genre d’interview… On est toujours stimulés, on ne s’ennuie jamais.
Ninon Peres et Geoffrey Poulain (Buzzman)
Alexandre Puchnaty et Édouard Delcourt (Fred & Farid Paris)
Noémie Triau et Grégoire Péronne (Ogilvy Paris)
Léa Vaubourgeix et Thibault Saumitou-Laprade (Orès)
Thelma Cherpin et Robin Schneider (Publicis Conseil)
Hanna Diraison et Alexis Dumont (Rosa Paris)
Dany Huang et Lauren Hatton (Steve)
Pauline Sénéchault et Cyrielle Declarey (TBWA Paris)