Le 3 octobre dernier, WPP ouvrait les portes de son campus français, situé à Levallois-Perret et qui regroupe en son sein 18 agences. Mark Read, CEO du groupe, était à Paris pour l’inauguration. Il partage ses projets pour le groupe mondial de communication, mais aussi sa vision des sujets tech du moment, IA et métavers…
Vous venez d’inaugurer le campus de WPP en France, quel est votre objectif dans l’Hexagone ? Pourquoi avez-vous choisi ce fonctionnement en campus au niveau mondial ?
Mark Read. En France, sur ce campus, nous regroupons 2000 personnes dans 18 agences. En plus de 10 000 abeilles sur le toit (rires). Plaisanterie à part, ce que je veux, c’est que lorsqu’un client se tient devant le bâtiment, il lève les yeux et puisse réaliser la richesse des talents que nous comptons dans notre groupe. Vous savez, le marketing à succès, en 2023, requiert que toutes les disciplines travaillent ensemble : on ne peut plus fonctionner en silos. Cela rend aussi les choses plus faciles pour remporter de gros appels d’offres. C’est quand même plus facile aujourd’hui que lorsque nos vingt agences françaises étaient éparpillées dans autant de bureaux dans Paris. Au Campus, les bureaux sont plus vivants. Nous avons construit le bâtiment dans l’esprit du coworking. Et je suis certain que les collaborateurs vont comprendre le bénéfice de ce travail en coworking. Enfin, les campus envoient un message aussi aux jeunes talents qui finissent le lycée ou l’université, je veux qu’ils se disent qu’ils peuvent démarrer leur carrière ici, et entrevoir d’un seul coup d’œil toutes les opportunités de d’évolution que nous offrons.
Aujourd’hui, WPP compte 115 000 salariés dans le monde, dont 60 000 travaillent dans nos 37 campus. Ils sont la manifestation physique de notre stratégie. Nous combinons à la fois l’identité des marques et leur faculté à collaborer. Quand un client vient vers nous pour un conseil sur sa marque, sa réputation, son plan média, l’IA, son e-commerce ou le marketing d’influence, toutes ces expertises sont à disposition en un seul endroit.
En janvier, WPP prévoyait une croissance organique de 3 % à 5 % pour l’ensemble de l’exercice. Le groupe a révisé en août ses prévisions à la baisse, ciblant désormais une croissance comprise entre 1,5 et 3 %. Vous avez évoqué la baisse des investissements dans la tech qui a pesé sur le chiffre d’affaires en Amérique du Nord lors du deuxième trimestre… Était-ce la seule raison ?
Nous avons connu une forte croissance avec ces acteurs-là : 20 % de notre business provient des tech companies. Elles réduisent leurs budgets, mais cela est dû en partie à leur grosse progression ces deux dernières années. Peut-être la révolution de l’IA y est aussi pour quelque chose, car elle les amène à revoir leurs directions stratégiques… Ce que l’on a pu observer lors du second trimestre nous montre que nous ne sommes pas seuls à être touchés. L’industrie dans son entier a été impactée par le désinvestissement des sociétés de technologies. Cela nous entraîne à nous montrer un peu plus prudents dans notre approche du reste de l’année.
Pensez-vous que ce ralentissement des investissements des tech companies est une tendance amenée à durer ?
Aujourd’hui, les sociétés de tech sont parmi les plus puissantes du monde, et parmi les plus gros annonceurs. Elles connaissent une période d’ajustement, mais sans aucun doute, nous continuerons à assister à leur montée en puissance.
Quelles acquisitions a réalisé WPP cette année ?
Nous avons été plutôt actifs dans le domaine de l’influence marketing cette année en achetant Goat Agency, Obviously… Je pense que pour nos clients, il est très important de comprendre comment construire leurs marques et utiliser l’influence marketing de la bonne manière, et ils cherchent à accroître leurs compétences dans ce domaine, nous devons donc les aider en ce sens. Nous allons donc poursuivre les acquisitions dans l’influence, mais nous sommes également concentrés sur des secteurs d’expertises tels que l’e-commerce marketing, la data, la tech… mais aussi dans les investissements organiques que l’on peut faire dans l’IA. Nous avons d’ailleurs réalisé une acquisition il y a deux ans au Royaume-Uni, avec l’agence Satalia [rachetée, selon la rumeur, pour 75 millions de livres sterling, soit 87 millions d’euros].
Comptez-vous réaliser des acquisitions en France ?
Nous cherchons toujours à élargir et renforcer notre business, donc nous regardons les opportunités dans votre pays, absolument.
Comment percevez-vous des concurrents comme Accenture, qui commence à remporter de gros pitchs créatifs mondiaux ?
Écoutez, je pense qu’Accenture est une entreprise formidable, mais je ne pense pas qu’il s’agisse vraiment d’une organisation créative comme WPP ou nos pairs. Accenture est très performante sur beaucoup d’expertises, et nous sommes en compétition avec eux sur l’e-commerce, la transformation digitale et les technologies marketing, mais je dirais qu’ils ont eu moins d’impact sur notre business créatif que certains l’avaient anticipé.
En termes de créativité, combien de prix avez-vous gagnés cette année ?
C’était une bonne année. Nous avons gagné quatre Grands Prix à Cannes, un Titanium, Mindshare a gagné le prix d’agence de l’année, Ogilvy est arrivée deuxième dans les réseaux de l’année… Créativement, ça a été une bonne année et c’est important pour nous. Et l’IA va permettre de nous développer plus encore créativement. C’est ce qui nous différencie et nous donne de la valeur pour nos clients.
Effectivement, vous avez déclaré que l’IA serait cruciale dans le développement de WPP dans les prochaines années…
Oui, je pense que l’IA va être à la fois passionnante et disruptive dans notre industrie, parce que pour la première fois, on peut voir les machines créer des choses : créer des images, prendre des photographies, écrire des brouillons de communiqués de presse, synthétiser des textes… Maintenant, ce n’est pas toujours parfait…
L’IA est-elle un ennemi ou un allié de l’industrie publicitaire ?
Quoi qu’il en soit, il faut s’emparer de l’IA… Comme dans toute disruption, des métiers vont être disruptés, mais il faut regarder les autres métiers que l’IA va créer… Ce que l’on voit, c’est que nos meilleurs éléments, les plus brillants créatifs, embrassent l’IA. Ils l’utilisent pour donner vie à leurs idées plus rapidement, pour les aider dans leurs brainstormings… Je pense que l’intelligence artificielle offre des solutions dans ce casse-tête actuel : nos clients ont de plus en plus besoin de contenus, sur Instagram, Tiktok, Facebook, Amazon, et les coûts de production crèvent le plafond… Avec l’IA, on peut produire des contenus de haute qualité. C’est une opportunité de production substantielle pour nous.
De plus, je pense que de nouveaux métiers seront créés. Si vous scrutez le groupe WPP, vous trouverez des métiers qui n’existaient pas il y a vingt ans, ou même dix ans, comme les search engine managers, programmatic media managers… Idem avec l’influence marketing. Si l’on réduit le temps passé sur certains métiers, on crée plus d’activité sur d’autres… Je comprends les craintes de certains sur les suppressions d’emplois mais vous savez, on a traversé tellement de vagues d’innovations ces dernières 150 années…
Que pensez-vous des débats sur la rémunération des agences, et les révolutions que pourrait entraîner l’IA dans cette rémunération ?
Oui, les agences sont payées au temps passé… Est-ce que ça va changer ? Je ne sais pas. Nous nous en débrouillerons. Je pense que les gens vont devenir plus productifs et créer plus de valeur. Nous devrions être payés advantage pour nos talents. Nous trouverons d’autres moyens d’être payés par nos clients. Peut-être sur nos résultats ? Peut-être sur l’impact de ce que nous produisons ? Être payé sur la qualité des idées et pas sur le temps passé à la trouver est peut-être plus judicieux…
Votre prédécesseur, Martin Sorrell, croit encore fermement au métavers, alors que nombre de voix expriment leur scepticisme. Quelle est votre position sur le sujet ?
Est-ce qu’il porte encore ses Oculus ? (Rires). Je ne suis pas convaincu. Je suis certain que l’IA va avoir un impact d’une magnitude beaucoup plus ample et à beaucoup plus de niveaux sur notre industrie que le métavers. Ce que je dirais, c’est qu’il faut attendre de voir le nouveau device d’Apple. Je parlais à Kara Swisher [fondatrice du site Recode et spécialiste de la tech] qui l’a essayé et m’a dit que c’était incroyable. La technologie n’en est qu’à ses prémices. Mais pour l’heure, c’est difficile de penser qu’on veuille porter des casques… Regardez les téléphones portables. Je me souviens, dans les premières années du marketing mobile, les gens n’avaient que huit ou dix applications sur leur téléphone. Aujourd’hui, ce serait plutôt 80 ! Combien en ai-je sur mon téléphone, pour ma part, que je consulte régulièrement ? (Il compte). Un, deux, trois… dix… 55 !
Tout cela pour dire qu’une fois que les équipes de l’innovation auront compris comment bien utiliser les devices, la même chose se passera pour le métavers. Mais encore une fois, je pense qu’il s’agit d’être plus affûtés sur l’IA qu’on ne l’est sur le métavers.
Comment intégrez-vous la pratique de l’IA chez WPP ?
Nous l’avons déjà employé dans de nombreux travaux, comme notre campagne La Laitière pour Nestlé, qui est un bon exemple. Ogilvy a fait des travaux très intéressants en France tout comme AKQA… L’IA s’intègre déjà totalement à nos travaux créatifs. Nous l’intégrons également dans un grand nombre d’applications que nous utilisons pour gérer notre business et nous créons des plateformes afin de mettre les outils d’IA dans les mains des créatifs. À plus long terme, nous réfléchissons à l’impact transformatif de l’IA sur notre business, comment réinventer la manière dont nous travaillons.
Nous avons publié un article qui évoque ces clients qui font signer à leurs agences des clauses leur interdisant d’utiliser l’IA, pour des raisons de confidentialité notamment…
Oui, alors il existe des solutions, comme des accès propriétaires à des outils employant l’IA. Encore une fois, je pense qu’il faut s’emparer de l’intelligence artificielle. Rob Reilly, qui est mon partenaire créatif, me disait : « Est-ce que tu te souviens des directeurs artistiques qui refusaient d’utiliser Photoshop et préféraient dessiner à la main ? ». La curiosité est l’attribut le plus important de notre industrie aujourd’hui. On va montrer aux gens des choses qu’ils n’avaient jamais vu auparavant.
Vous étiez à Cannes cette année. Quelles tendances avez-vous repérées ?
D’un point de vue personnel, j’adore aller à Cannes, je suis très heureux que le festival se déroule dans le sud de la France et j’espère que cela sera toujours le cas dans le futur ! Je dirais que de plus en plus de clients s’y rendent, qu’ils comprennent de mieux en mieux le pouvoir de la créativité. Il y a également de plus en plus d’acteurs de la tech sur la Croisette. Les Cannes Lions ont été très innovants en termes de catégories, avec un focus bienvenu sur l’entertainment et le gaming.
Quid du gaming ?
Cela fait des années que nous investissons dans des agences, de WildTangent à Anzu en passant par SuperAwesome… Le gaming est une activité de masse pour les moins de 24 ans. Aujourd’hui, le temps qu'ils passent à jouer est bien plus important que le temps passé devant la télévision ou les vidéos, donc évidemment, le challenge pour nous est d’y insérer des publicités… Nous l’avons fait pour la chaîne de burgers américains Wendy’s dans le jeu Fortnite, dans lequel nous avons donné vie au personnage de Wendy. Nous avons réalisé une campagne Burger King avec le petit club Stevenage United sur le jeu Fifa. On voit bien qu’il y a mille manières de montrer sa créativité dans le gaming.
L’un des marchés les plus prometteurs pour les géants de notre secteur c’est le nouveau pays le plus peuplé du monde, l’Inde…
Nous étions en Inde il y a deux semaines pour un board meeting. La dernière fois que je m’y étais rendu, c’était il y a trois ans, juste avant que le covid ne se propage mondialement. Les choses ont beaucoup changé entretemps. D’abord, 1,4 milliard d’Indiens ont désormais une identité digitale. Sept cents millions d’entre eux ont adopté le paiement digital, 10 milliards de paiements se font par ce biais chaque mois. Si vous achetez un macaron en Inde, vous le paierez en digital, dans n’importe quel magasin, plutôt qu’avec de l’argent liquide. L’Inde est bâtie pour les infrastructures du XXIe siècle avec son système digital qui permet de connecter le pays entier. Économiquement, cela va être une source de croissance pour notre industrie dans les années à venir. Un travailleur sur cinq dans le monde est Indien : 700 millions sur les 3,5 milliards de travailleurs mondiaux… L’Inde va représenter un marché extraordinaire en termes de business, nous employons 10,500 personnes en Inde à la fois pour les clients indiens et en collaboration avec WPP offshore. Par ailleurs, il est également très fort créativement. Nous y avons réalisé la campagne Cadbury avec Ogilvy Mumbai, Grand Prix Creative Effectiveness à Cannes. Je vois dans ce pays un énorme potentiel.