Il aura fallu attendre 2023 pour voir le premier team créatif féminin sacré Jeunes créatifs de l’année. Rencontre avec le binôme coloré Margaux Simoen et Hélène Gratzmuller, de LGM&Co.
Apparemment, l’une d’entre vous était encore en vacances lorsque vous avez appris que vous étiez désignées jeunes créatifs de l'année…
Hélène Gratzmuller. Je venais de rentrer de vacances quand Quentin (Talleux), notre directeur de la communication, est venu m’annoncer la nouvelle et j’ai tout de suite crié. J’étais à la fois très contente et paniquée. On ne s’y attendait pas du tout, parce que même si on adore nos projets, on n’est pas forcément nos premières fans, surtout quand on voit plein de pubs trop cool passer. J’avais hâte d’appeler Margaux qui était encore en vacances !
Margaux Simoen. Moi non plus, je ne m’y attendais pas du tout. Au départ, nous n’avions pas vraiment réalisé l’importance de ce prix. Ce sont les autres qui nous ont fait comprendre que c’était une super reconnaissance et forcément ça nous rend fières.
En 24 ans d’existence de ce concours, vous êtes le premier team féminin à gagner. Votre réaction ?
M.S. Je suis étonnée ! J’en ai même des frissons. Ça arrive tardivement mais vaut mieux tard que jamais.
H.G. Je suis à la fois contente et mécontente. Comment ça, le premier team féminin ? Il est évident que le milieu de la création publicitaire est surreprésenté par les hommes mais ce n’est pas notre réalité. Notre agence travaille avec plein de femmes très douées, autant que les hommes. Sans le vouloir, on doit être 80 % de femmes à l’agence sur les 25 salariés au total. Mais c’est bien que cela arrive au travers des Jeunes créas, cela montre que la nouvelle génération est un peu plus diversifiée. On verra ce que ça donne en pub. Après on n’a rien contre nos collègues masculins hein !
Votre parcours en quelques mots…
H.G. Je suis née dans le 92, j’ai grandi dans le 92 et j’habite dans le 92. Mon côté banlieusard, c’est quelque chose que je revendique, surtout dans ce milieu rempli de Parisiens. Après le bac, j’ai intégré l’Iscom dans le but de faire de l’événementiel équestre. Attention, c’est très précis ! Je suis une passionnée de chevaux et je voulais absolument travailler dans ce milieu, j’y ai d’ailleurs fait mes stages. Mais en troisième année, Margaux est venue me chercher pour faire un stage en Afrique du Sud en graphisme. Faire de Photoshop mon métier, j’ai trouvé ça magique.
M.S. De mon côté, je viens des Yvelines (78), à Verneuil-sur-Seine, c’est presque la province mais pas vraiment. Depuis, j’ai déménagé dans le 92. J’ai toujours voulu faire de la communication mais mes parents avaient peur donc pour les rassurer j’ai fait une année de commerce avant de m’engager à l’Iscom où j’ai rencontré Hélène. Dès la première année, on est devenues amies et huit ans ont passé depuis. J’ai commencé par des stages en social media dans des super agences, Marcel et Ogilvy, et là-bas je me souviens que je regardais avec envie les créatifs. J’ai toujours été créative mais je n’avais pas assez confiance en moi.
H.G. Alors on a discuté avec Margaux et on a décidé de se mettre en team. En six mois, on a fait un book avec des projets sortis de notre chapeau. Les Gros Mots nous ont pris en stage, on n’a plus bougé depuis.
M.S. Aussi, le fait d’être deux nous a beaucoup aidées à nous lancer.
H.G. Oui, nous n’y sommes pas allées par talent (rires). Comme Margaux, je viens d’une famille qui ne fait pas du tout partie du milieu publicitaire. Nous avons beaucoup travaillé, ensemble, au point de s’être moulées l’une sur l’autre.
En 2019, vous arrivez donc chez Les Gros Mots. Avant les scandales MeToo ?
H.G. À l’époque, la réputation de l’agence était très bonne. Mais je me souviens de notre premier jour, c’était le 4 mars 2019, date à laquelle Le Monde sortait un papier sur Baptiste Clinet, accusé de harcèlement moral et sexuel. Globalement, ça a mis un froid dans le monde de la pub, les gens ont pris conscience qu’eux aussi pourraient être épinglés.
M.S. Nous étions à la fois DA et CR, nous incarnions quelque chose de nouveau pour ce type d’agence, mais au fur et à mesure, elle a commencé à nous donner des briefs. Lorsque nous avons gagné en interne la compétition pour le budget Nike, nos preuves étaient faites. On nous a proposé un CDI, mais on a préféré demander un CDD pour pouvoir partir à l’étranger. Alors ils nous ont laissé télétravailler depuis l’Afrique du Sud. Un rêve quand même !
H.G. Après le covid, l’agence nous a proposé de nous associer en plus d’être créas en CDI, avec huit autres salariés dont Nicolas Gandrillon, président-fondateur. Ensemble, nous avons reconstruit l’agence. Pour avoir fait deux ans chez Les Gros Mots et deux ans chez LGM&Co, il n’y a pas photo. Désormais la création prime alors qu’avant c’était une agence assez business. Nous ne sommes clairement pas les copines de la DAF, même si l’agence a remporté onze clients en appel d’offres cette année !
Vous venez d’être nommées directrices de création. C’est rare pour des jeunes de rester aussi longtemps dans une même petite structure…
M.S. On a eu la bougeotte pendant deux ans, LGM&Co était notre première et seule expérience, on avait peur de s’engager. On ne voulait pas être dans le confort, il fallait se faire violence. Et puis finalement on s’est dit que c’était bête de penser comme ça. On a reçu opportunité sur opportunité et on continue d’en avoir, alors pourquoi ne pas rester ?
Quel est votre regard sur le milieu de la pub ?
M.S. Il faudrait évidemment plus de femmes, notamment dans les postes à direction. Balance Ton Agency a notamment participé à ce qu’il y ait plus de bienveillance en interne, plus de représentation et si ça continue, ça se ressentira dans le travail et donc dans les publicités.
H.G. C’est difficile de répondre à cette question parce qu’on ne connaît pas forcément les autres agences ou des pairs de ce milieu, on reste un peu dans notre bulle. Chez LGM&Co, tout a été renversé sans retour en arrière possible.
Une confiance s’est installée entre vous deux ?
H.G. On était jeunes quand on a décidé de s'engager ensemble. Depuis, on s’est toujours laissé la liberté de changer d’agence voire de métier, sans se mettre la pression. Je fais de la pub pour Margaux car elle adore ça tandis que moi j’aime la création, même si je tends à aimer de plus en plus la pub. On se tire vers le haut.
Votre regard sur l’intelligence artificielle ?
H.G. Hormis quelques expériences pour rigoler, on ne s’en sert pas du tout. On sait qu’il va falloir qu’on regarde de plus près l’outil mais pour l’instant on est encore sur la suite Adobe.
La campagne dont vous êtes le plus fier ?
M.S. En vérité, je pense qu’elle n’est pas encore sortie. Il vaut mieux détester ses pubs que les adorer, il n’y a pas une seule fois où on s’est dit « c’est parfait ». Nous sommes peut-être des éternelles insatisfaites…
H.G. Mais parmi les trois qu’on a présentées, à choisir, on dirait « Myriam, la pub c’était mieux maintenant », pas tant pour la création mais pour le message derrière. Il s’agit d’une reprise de la pub d’avant pour mettre en avant la pub de maintenant et dire qu'on a plus besoin de montrer des seins. C’est une phrase à laquelle on a envie de croire, une phrase d’optimiste par rapport à tous ces pessimistes qui regrettent un temps disparu à tout jamais. Et forcément, ça a soulevé le débat. Quand la campagne est sortie, on s’est pris notre première vague de haters sur LinkedIn et Facebook parce qu’apparemment ils voulaient voir des seins. Au final, ils nous ont donné raison. Et ça, c’est une fierté !
Un conseil à donner pour garder l’étincelle créative dans un team ?
H.G. Le concept de team intrigue vachement les gens. Tout le monde nous demande comment ça fonctionne, si on a été recrutées ensemble, si on perçoit le même salaire… L’important en team, c’est de rigoler, nous sommes très à l’aise l’une avec l’autre, sans se mettre de pression. Et faire des activités l’une sans l’autre pour apporter de la nouveauté quand on se revoit.
M.S. Selon moi, le plus important serait de rester en désaccord. Si tu commences à acquiescer à tout, en oubliant tes propres convictions, alors c’est que tu abandonnes ou que tu t’en fous, et c’est là qu’il faut quitter le team. C’est dans le débat que l’idée devient meilleure. On est meilleures potes et binôme de travail, pourtant on parle vraiment comme un couple…
Tom Camus et Guillaume Paulus (Australie.GAD)
Marie Glotin et Gilliane Hellstern (BETC Paris)
Arnaud Cherbonnier et Vincent Tavernier (Buzzman)
Tom Desmettre et Vincent Vigneron (DDB Paris)
Adam Chaple-Triverio et Margaux Capo (Hungry & Foolish)
Bertille Vermot et Jean Estauver (Ogilvy Paris)
Ana Pereira et Noa Bensadoun (Publicis Conseil)