Gabriel Gaultier, président-fondateur de Jésus & Gabriel
« C’était évidemment mieux il y a vingt ans, puisque j’avais vingt ans de moins. Mais la production publicitaire, il faut bien le reconnaître, est bien plus sophistiquée aujourd’hui. Il faudrait hybrider l’insouciance, l’idiotie des individus – clients et agences – des années d'avant-crise avec la qualité et la souplesse des outils d’aujourd’hui. Paradoxalement, on a plus d’intelligence, mais moins le courage de faire des choix. Résultat, on fait des films intelligents où l’on dit tout au lieu de raconter des histoires puissantes où l’on ne dit qu’une seule chose. Il faut savoir redevenir idiot pour faire de la bonne publicité. »
Gilles Fichteberg, cofondateur de Rosa Paris
«La différence majeure avec le 20ème siècle, c’est la montée en puissance de la prise de pouvoir par les consommateurs, c’est la transformation majeure de notre industrie. Ils ont pris le pouvoir sur les messages publicitaires chaque jour un peu plus depuis une quinzaine d’années ! Et pour le coup, c’est une bonne chose !
Le duo agence-annonceur se doit d’être connecté à la réalité d’un monde qui se transforme en temps réel. Construire solidement à toute vitesse, c’est ça le tour de force que l’on demande à ce métier aujourd’hui !Un monde qui fait sa mue presque chaque jour sous nos yeux, c’est le nouveau rythme auquel sont confrontés les messages publicitaires. Avant c’était pépère, le monde changeait à peu près chaque décennie. C’est cette véritable révolution temporelle qui demande aux communicants d’être en alerte permanente. Certains annonceurs ont du mal à suivre le rythme, certaines agences aussi !
La valeur de l’agence aujourd’hui se situe dans sa faculté d’accompagnement, elle n’a jamais été aussi essentielle. Ne pas juste faire du marketing, pas juste faire de la créa, l’agence se doit d’avoir aussi une acuité du monde ultra précise pour ses clients. On ne peut plus passer en force ou juste faire le mariole en pensant que ça va connecter avec les besoins des gens. L’agence est aujourd’hui le trait d’union entre ce que les consommateurs pensent vraiment de la marque et ce que la marque aimerait qu’ils pensent d’elle. Ce rôle est fondamental, plus important aujourd’hui que la copy strat.
Pour bien accompagner leurs clients, Les agences des années 2020 doivent d’abord travailler pour les gens avant de travailler pour les marques. Les marques qui n’ont rien à dire de pertinent, qui ne savent pas s’adapter, qui n’ont pas de combat clair, sont priées par les consommateurs de retourner bosser ! En réalité, aujourd’hui c’est le consommateur qui fixe la date et l’heure du rendez-vous avec la marque, pas l’inverse.
La data, les parcours, la granularité des médias nous permettent aujourd’hui d’être plus précis sur ces mises en relation. Avant, avec le sacro-saint rendez-vous de 20h50 avant le film du dimanche soir sur TF1, on ne se posait pas trop la question quand on poussait un petit salé lentille Saupiquet devant des millions de téléspectateurs qui venaient juste de dîner ! C’était le seul gros rendez-vous, fallait pas laisser passer l’occasion, quitte à créer une indigestion !
Le métier n’est pas mieux ou moins bien, il est juste devenu plus essentiel. Une marque, ce n’est pas juste du lifestyle, c’est aujourd’hui aussi un combat politique, les consommateurs ont plus de pouvoir avec leur carte bleue qu’avec leur carte d’électeur. Nous accompagnons, en tant que publicitaire, la transformation positive du monde, ce métier est devenu très sérieux. Raison d’ailleurs pour laquelle le rôle de la créativité n’a jamais été aussi majeur, car on peut s’engager dans un combat très sérieux sans se prendre au sérieux. Du contenu oui, du sens oui, c’est là qu’ils nous attendent, mais comme nous restons avant tout un métier d’offre, nous devons offrir de la surprise aux gens, de l’étonnement, pas leur servir la soupe.
Les consommateurs attendent aujourd’hui beaucoup cela des marques. Du sens et de la créativité, c’est le combo magique, le trésor des agences qui font du bien à leur époque.»
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Fabrice Valmier, codirigeant du cabinet conseil en choix d’agences VTscan
«Pour éviter tout discours d’ancien combattant, allons à l’essentiel. Jusqu’à la fin des années 90, les agences et leurs clients travaillaient sans trop avoir à rendre de comptes, les KPIs n’étaient pas calés, le monitoring n’était pas une attente particulière et on jugeait aux résultats d’image et de ventes. L’impact de la bulle internet des années 2000 a tout changé. On a basculé vers plus d’immédiateté dans les campagnes, ce qui s’est répercuté dans les briefs remis aux agences. Cette bascule a aussi eu lieu dans les discours des marques car les pure players arrivant, la désintermédiation entre les marques, les distributeurs et les consommateurs est devenue une réalité, avec un besoin de justifier le “pourquoi” d’une marque. Cela se reflète au sein des agences, avec la montée du planning stratégique –au-delà de l’idée créative– pour mieux cerner les attitudes des consommateurs.
Les agences ont donc changé. Les fonctions stratégiques se sont renforcées, les fonctions omnicanales –la célèbre stratégie des moyens– aussi, la data plus récemment. Le rationnel a pris de la place au détriment de l’intuition talentueuse de la création. Cela a sans doute un peu désenchanté le métier… Mais les agences, qui savent actionner au mieux la complexité de l’époque, étaient et restent des acteurs majeurs de la transformation de leurs clients. La pub, la communication, servent encore plus à vendre et à convaincre. D’ailleurs, quand la communication fait bien son travail, elle en crée ! Le challenge, demain, c’est probablement de ne pas tomber dans une posture d’exécution, savoir rester au bon niveau de la chaîne de décision auprès des annonceurs et des décisions stratégiques.»
Marie-Catherine Dupuy, présidente du Club des directeurs artistiques, fondatrice et directrice de création de l’agence BDDP / TBWA
«Est-ce que la pub, c’était mieux avant ? Pour le savoir, je vous recommande le très bon livre très bien écrit de mon ami Monsieur Pierre Berville, J'enlève le haut : Les dessous de la pub à l'âge d'or. Récit. À part cela, je pense que toutes celles et ceux qui adorent chercher et trouver des idées, pouvoir se servir de matériaux que sont tous les métiers des arts appliqués, des plus anciens comme le dessin aux plus nouveaux comme le VFX ou CGI, etc. et qui apprécient de pouvoir approcher et s’immerger dans autant de sujets, de produits, de problèmes sociétaux différents pour satisfaire leur immense curiosité estiment qu’ils ont la chance de faire un très beau métier. Hier comme aujourd’hui.»
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Stéphane Xiberras, président et directeur de la création de BETC
«Il y a beaucoup de choses à dire (et qui ont été très bien dites) sur l’évolution de nos métiers. Sur la responsabilité notamment, sur les stéréotypes de représentation que notre industrie a véhiculée, sur la place des femmes dans nos organisations… Pour aller sur un thème un peu moins abordé, je ressens personnellement à quel point notre métier a changé avec la technologie, notre capacité à communiquer, travailler, fabriquer d’une façon qu’il était inconcevable de même imaginer il y a vingt ans. La technologie nous a ouvert des perspectives, des possibilités qui ouvrent le champ d’expression créatif de nos métiers de façon inouïe. C’est plus qu’un progrès, c’est une révolution.»